prescrire.org > Libre Accès > Faire progresser les politiques de santé > Les actions publiques Prescrire, par ordre chronologique > Récapitulatif 2011 > Conditionnements des médicaments non soumis à la prescription : Réponse de Prescrire à l'EMA (06/2011)

Faire progresser les politiques de santé

Les actions publiques Prescrire, par ordre chronologique

Les actions en 2011 (récapitulatif)
Conditionnements des médicaments non soumis à prescription :
réponse de Prescrire à l'EMA (Juin 2011)

En 2011, l’Agence européenne du médicament (EMA) a  émis pour consultation publique un draft de recommandations relatives aux conditionnements des médicaments non soumis à prescription médicale autorisés par procédure centralisée, concernant notamment leurs étiquetages.(1) Voici, ci-dessous, l’avis de l’équipe Prescrire sur ce projet de recommandations, développé et étayé dans les références annexées (2à14).

Résumé
L’EMA et la Commission européenne doivent repenser l’encadrement de l’automédication et de la praticité des médicaments en allant au-delà de cette consultation visant l’arrangement avec les firmes.

Que l’EMA s’intéresse aux conditionnements des médicaments de soins courants non soumis à prescription médicale (alias "médicaments d’automédication") est un devoir au regard de la qualité des soins attendus par les patients européens. Il est indispensable de donner la priorité à la qualité des soins et à l’usage rationnel de ces médicaments, et d’empêcher l’exploitation des conditionnements d’automédication comme des supports promotionnels ou des jouets pour enfants.

Mais la nature et la portée des recommandations en consultation depuis mars 2011 du Groupe de travail QRD sont insuffisantes. Ces recommandations ont peu de chance d’être utiles aux patients européens tant qu’elles ne sont pas associées à :

1) une politique d’automédication centrée sur les besoins et la santé des populations, abordant en priorité la sécurisation du nom des médicaments avec mise en valeur des dénominations communes internationales (DCI) ; en interdisant les dénominations ombrelles et les expressions dangereuses de dosages et de concentrations ;

2) une surveillance accrue par la Commission européenne et les Agences chargées de la sécurité des médicaments (centralisée ou nationales) d’une interprétation optimale des dispositions actuelles de la Directive européenne pour la conception de conditionnements de qualité ;

3) l’élaboration d’une Directive ou d’un Règlement pour faire progresser les exigences, aujourd’hui trop laxistes en matière de conditionnement, au niveau requis par des soins de qualité (15), incluant notamment :

  • l’extension des tests de lisibilité et d’utilisation à toutes les mentions de tous les éléments de conditionnement (y compris les dispositifs doseurs) ;
  • le renforcement des activités d’évaluation des conditionnements par les Agences du médicament (centralisée et nationales) ; l’ajout au sein des annexes des AMM (nouvelles ou ayant fait l’objet de variations majeures) des maquettes en couleurs des conditionnements primaires, secondaires, des notices ; l’ajout systématique d’un schéma détaillé des dispositifs doseurs dans les RCP et notices (assorti d’instructions précises).

Introduction
Prescrire, dont l’objectif est de contribuer de diverses manières à l’amélioration et à la sûreté des soins, constate régulièrement la grande importance de la qualité des conditionnements des médicaments (2à12). L’expertise de Prescrire repose sur l’analyse du conditionnement de plus de 5 000 spécialités pharmaceutiques ainsi que sur plusieurs bilans publiés au cours des 30 dernières années (2à12).

L’analyse systématique des conditionnements par Prescrire conduit régulièrement à des alertes sur l’état préoccupant de leur non-qualité. Cette non-qualité est à l’origine de nombreuses erreurs médicamenteuses provoquant des accidents parfois graves, y compris en automédication (2à15). L’analyse du marché des médicaments et des procédés de conditionnement montre pourtant que la qualité est possible.

La non-qualité des conditionnements résulte de la flexibilité d’interprétation, source de laxisme, des dispositions de la Directive 2001/83/CE en matière d’étiquetage (16,17). Les lignes directrices de 2009 sur la lisibilité des étiquetages et des notices renferment des points positifs (18), mais les derniers bilans de Prescrire montrent qu’elles sont peu appliquées (3,4). En particulier, les étiquetages mettant en valeur visuellement le nom de la substance active, la dénomination commune internationale, par rapport au nom commercial sont rarissimes.

Les progrès apportés par la Directive 2004/27/CE imposant des tests de lisibilité des notices s’observent principalement sur la qualité des notices autorisées par voie centralisée, alors qu’ils devraient bénéficier à tous les médicaments quelle que soit l’origine de leur autorisation.

Parmi les conditionnements médiocres ou dangereux, les analyses de Prescrire pointent souvent la mauvaise qualité de ceux des médicaments d’automédication : étiquetages à la similitude renforcée par une dénomination ombrelle ; charte graphique accentuant ces similitudes ; expression des dosages ambigus ; mentions de plaquettes peu lisibles. Sans oublier les dispositifs doseurs, éléments de praticité centrale pour les formes multidoses, trop souvent imprécis ou non adaptés, quand ils sont fournis dans le conditionnement (2à12). Le bilan récent de la Food and Drug Administration (FDA) sur les dispositifs doseurs de nombreux médicaments d’automédication est éloquent et les recommandations de l’Agence étatsunienne qui s’en sont suivies, remarquables (19,20). En matière de notice, selon les bilans de Prescrire, l’exigence des tests de lisibilité n’a pas eu d’impact remarquable sur la qualité de l’information fournie dans les conditionnements des médicaments d’automédication. En France comme dans d’autres États membres, bon nombre de médicaments d’automédication sont issus d’anciennes procédures d’AMM nationales dont les notices sont formatées par des schémas communs nationaux. Des recommandations centrées uniquement sur les AMM centralisées, fussent-elles pertinentes, auront un impact très mineur sur le quotidien des européens.

La consultation de l’EMA révèle un encadrement insuffisant des médicaments d’automédication en Europe
Dans ce contexte, la démarche de l’EMA d’adopter un tel projet du Groupe de travail QRD manque de cohérence et se révèle insuffisante en l’absence de cadre approprié (1). Bien que l’état des lieux détaillé établi par l’EMA des différents marchés d’automédication de l’Union européenne n’ait pas été rendu public, ces marchés ne paraissent pas si disparates en matière de conditionnement.  Les contraintes réglementaires de différenciation des mentions d’étiquetage d’un État membre à l’autre sont faibles (21). Par contre, la liste positive des médicaments accessibles à l’automédication diffère d’un État à l’autre (http://www.aesgp.be). Par exemple, début 2010, la France a refusé une AMM pour le sumatriptan en automédication dans la migraine, alors que ce dernier est disponible depuis 2006 en OTC au Royaume Uni. Ces divergences reflètent l’absence de politique harmonisée en matière d’AMM de médicaments d’automédication.

La Commission européenne doit donner une autre envergure à l’encadrement des médicaments d’automédication
Plutôt que de tenter de concilier les différences existantes au niveau d’un groupe de travail, mieux vaudrait construire les bases d’une politique d’automédication dans l’Union européenne plaçant l’intérêt  des patients au centre des préoccupations, sur la base d’une Directive spécifique de l’automédication, voire d’un Règlement si l’on souhaite guider davantage les États de l’Union européenne vers l’harmonisation (à l’image du processus pédiatrique).

Prescrire propose que chaque situation d’automédication (substance/indication) fasse l’objet d’un avis centralisé par un groupe spécialisé de l’EMA ; que chaque couple substance/indication autorisé par l’EMA fasse l’objet de lignes directrices préalables à chaque commercialisation (à l’image des procédures relatives aux biosimilaires) ; que ces lignes directrices fournissent des recommandations sur les caractéristiques des conditionnements.

Une telle Directive recouvrirait tous les aspects relatifs au nom et au conditionnement des médicaments, notamment d’automédication, élevant les exigences de qualité au moins au niveau des recommandations émises par le Conseil de l’Europe en 2006 (15), tels que :

  • le choix des noms commerciaux dont les principes communautaires actuels ne garantissent pas la sûreté d’emploi des médicaments (14,17). En particulier, Prescrire demande l’interdiction stricte de la pratique dans l’Union européenne des dénominations ombrelles, sources de confusion et d’erreurs médicamenteuses graves ;
  • les règles d’étiquetage des mentions utiles pour les soins reprenant les points positifs des lignes directrices sur la lisibilité des étiquetages et des notices, telles que : la mise en valeur du nom de la substance active par la dénomination commune internationale (sur toutes les faces des boîtes) et des excipients ; la standardisation, dans un but de prévention des erreurs médicamenteuses, de l’expression des dosages et concentrations, dont les fondements administratifs actuels exposent à trop de dangers en pratique (voir notre réponse à la consultation sur le sujet en 2009) (13,22) ;
  • à propos des règles d’usage de la couleur sur le conditionnement des médicaments : Prescrire propose que l’EMA  programme une consultation sur un usage de la couleur sur les conditionnements au service des soins de qualité, incluant la pratique des chartes graphiques, à l’image de la démarche entreprise en 2005 par la FDA (23), en tenant compte de l’impact des anomalies de la vision des couleurs qui touchent une part notable de la population ;
  • les règles de répartition et de hiérarchisation des informations destinées aux patients entre notice et conditionnement secondaire (y compris à l’intérieur des boîtes) dans le cas des médicaments d’automédication : quelles mentions sur la boîte et pour quels objectifs ? Prescrire demande que les tests de lisibilité des notices soient appliqués à toutes les AMM comme l’impose la Directive 2004/27/CE ; que les résultats de ces tests soient systématiquement rendus publics. Prescrire propose que le principe de test de lisibilité soit étendu à toute information présente sur le conditionnement d’un médicament : la notice, mais aussi l’étiquetage de tous les éléments du conditionnement (boîtes, conditionnement primaire, dispositif doseur), notamment toute information reportée sur les boîtes et spécifiques des médicaments non soumis à prescription, en particulier toute information schématisée (pictogramme, signe, symbole). Prescrire propose que des tests d’utilisateur soient mis en œuvre pour étudier les risques de confusion entre des conditionnements proches d’une même gamme commerciale ;
  • les règles de sécurisation des médicaments d’accès direct (alias OTC) pour les patients doivent être discutées.  Faut-il un témoin d’inviolabilité ou laisser aux patients la possibilité d’accéder à la notice avant l’achat ? Comment organiser la mise à disposition de dispositifs de démonstration ou d’entraînement ?
  • les règles d’analyse du conditionnement des médicaments d’automédication sont à appliquer par toutes les Agences nationales, et pas seulement l’EMA (24) ;

Eu égard aux risques encourus, Prescrire propose que l’EMA programme dans les prochains mois l’élaboration de lignes directrices sur les dispositifs doseurs fournis dans les conditionnements, en se référant aux récentes lignes directrices étasuniennes (18).

Conclusion
En somme, il est temps que la Commission européenne donne une autre envergure à l’encadrement de la sécurité des médicaments, en particulier ceux destinés à l’automédication, en exigeant de l’EMA qu’elle repense ses missions en matière de prévention du risque d’erreurs liées aux noms, à l’étiquetage, et à tous les éléments du conditionnement des médicaments.

La déclaration des effets indésirables par les patients eux-mêmes, disposition issue des nouvelles règles européennes de pharmacovigilance, devrait révéler les défauts des conditionnements repérés par les patients en situation concrète de soin, notamment d’automédication.

Dans le secteur de l’automédication trop souvent animé par la seule promotion des firmes et délaissé par les autorités, le moment est venu de ne plus considérer les patients européens comme des consommateurs passifs et de garantir à tous un accès à des soins de qualité.

©Prescrire 30 juin 2011

> Télécharger la réponse complète (en anglais) de Prescrire
> Télécharger la réponse complète (en français) de Prescrire

Références :
1-European Medicines Agency "QRD recommendations on pack design and labelling for centrally authorised non-prescription human medicinal products – Draft" 10 March 2011 : 9 pages. > Télécharger (pdf)

Références Prescrire relatives aux bilans d’analyse sur les conditionnements :
2- Prescrire Editorial Staff "The Prescrire Packaging Working Group" Prescrire Int 2007 ; 16 (89) : 127. > Télécharger (pdf)
3- Prescrire Editorial staff "Drug packaging. One consideration when choosing a treatment" Prescrire int 2011 (under publication process): 3 pages.
4- Prescrire Editorial Staff "2010 drug packaging review: identifying problems to prevent errors" Prescrire int 2011 ; 21 (117) : 162-165. > Télécharger (pdf)
5- Prescrire Editorial Staff "Drug packaging in 2009: a few advances" Prescrire Int 2010 ; 19 (107) : 135-137. > Télécharger (pdf)
6- Prescrire Editorial Staff "Drug packaging in 2008: not enough progress" Prescrire Int 2009 ; 29 (101) : 134-135. > Télécharger (pdf)
7- Prescrire Editorial Staff "Packaging of pharmaceuticals: still too many dangers but several encouraging initiatives" Prescrire Int 2007 ; 16 (89) : 126. > Télécharger (pdf)

Références relatives aux 5 derniers Palmarès Prescrire du conditionnement :
8- Prescrire Editorial staff "2010 Prescrire Packaging Aawards" Prescrire Int 2011 ; 20 (114) : 81. > Télécharger (pdf)
9- Prescrire Editorial staff "2009 Prescrire Packaging Awards" Prescrire Int 2010 ; 19 (106) : 87. > Télécharger (pdf)
10- Prescrire Editorial staff "2008 Prescrire Packaging Awards" Prescrire Int 2009 ; 18 (100) : 82. > Télécharger (pdf)
11- Prescrire Editorial staff "2007 Prescrire Packaging Awards" Prescrire Int 2008 ; 17 (94) : 76. > Télécharger (pdf)
12- Prescrire Editorial staff "2006 Packaging Awards" Prescrire Int 2007 ; 16 (88) : 78. > Télécharger (pdf)

Références Prescrire relative aux noms des médicaments :
13- Prescrire Editorial staff "Prescrire’s comments on QRD Recommendations EMEA/208304/2009. Preventing errors related to the expression of strength on drug packaging" 28 May 2009 : 9 pages. >  Télécharger (pdf)
14- Prescrire Editorial staff "Medication errors. Drug regulatory agencies maintain confusion between brand names" Prescrire Int 2008 ; 17 (94) : 83-86. > Télécharger (pdf)

Références officielles :
15- Council of Europe - Expert Group on Safe Medication Practices "Creation of a better medication safety culture in Europe: Building up safe medication practices" 2006 : 275 pages.
16- European Union "Directive 2001/83/EC amended" 5 October 2009 : 129 pages.
17- European Medicines Agency "Guideline on the acceptability of names for human medicinal products processed through the centralised procedure"  11 December 2007 : 14 pages.
18- European Commission "Guideline on the readability of the labelling and package leaflet of medicinal products for human use revision 1" 12 January 2009 : 27 pages.
19-Food and Drug Administration "Guidance for Industry-Dosage Delivery Devices for Orally Ingested OTC Liquid Drug Products" May 2011 : 14 pages.
20- Yin SH et al. “Evaluation of consistency in dosing directions and measuring devices for pediatric nonprescription liquid medications” JAMA 2010 ; 304 (23) : 2595-2602.
21- European Commission "Notice to applicants-Guideline on the packaging information of medicinal products for human use authorised by the community" February 2008 : 34 pages.
22- European Medicines Agency "QRD recommendations on the expression of strength in the name of centrally authorised human medicinal products (as stated in section 1 of SPC, and in the name section of labelling and PL)" 18 November 2009 : 5 pages.
23-Food and Drug Administration "Meeting Summary. Use of Color on Pharmaceutical Labeling and Packaging" 7 March 2005 : 13 pages.
24-European Medicines Agency "The Revised Checking Process of Mock-Ups and Specimens of outer/immediate labelling and package leaflets of human medicinal products in the Centralised Procedure" 22 January 2007 : 9 pages.