Bruxelles, 23 septembre 2014
Document de synthèse conjoint de 7 organisations. L'avancée majeure en termes de transparence obtenue avec l'adoption du règlement européen relatif aux essais cliniques ne doit pas être neutralisée par les lobbies industriels.
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Document de synthèse conjoint
- Un nouveau règlement européen sur les essais cliniques a été adopté. Il entrera en application fin mai 2016. Son objectif principal est de faciliter les essais ayant lieu dans plusieurs États membres de l'Union européenne.
- Les eurodéputés et les ministres de la Santé des États membres ont bien amélioré les propositions initiales de la Commission européenne, notamment en termes d'accès aux résultats des essais cliniques.
- Cette avancée démocratiquement obtenue risque cependant d'être neutralisée sur le terrain de la propriété intellectuelle par les lobbys pharmaceutiques. En termes d'accès aux données cliniques, la position de l'agence européenne du médicament (EMA) est décisive.
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En juillet 2012, la Commission européenne a présenté une proposition de nouveau règlement européen sur les essais cliniques. Cette proposition visait à déréguler la recherche interventionnelle sur les sujets humains : "disparition" des Comités d'éthique, demande d'autorisation de conduire un essai clinique réduite à une simple formalité administrative, sans réelle possibilité pour les États membres de protéger les participants aux essais cliniques ayant lieu sur leur territoire (1).
Cependant, grâce à la mobilisation de nombreuses organisations représentant la société civile, plusieurs mesures de protection des participants ont été rétablies, et la question des nécessaires analyses contradictoires des résultats des essais cliniques a pu émerger lors du débat parlementaire (1).
Le nouveau règlement européen relative aux essais cliniques (Règlement (EU) No 536/2014 abrogeant la Directive 2001/20/CE) a été adopté fin mai 2014. Il entrera en application fin mai 2016, deux ans après sa publication (2).
Rapports d'étude clinique reconnus d'intérêt publics par les eurodéputés
Les rapports d'étude clinique (en anglais clinical study reports, CSR) sont des documents présentant de manière détaillée les résultats des essais cliniques. Fin avril 2013, les eurodéputés membres de la Commission Environnement et santé publique (ENVI) ont précisé que les données cliniques contenues dans les rapports d'étude clinique « ne doivent pas être considérées comme commercialement confidentielles (…) une fois le processus de décision relatif à une demande d'autorisation de mise sur le marché (AMM) terminé », et ce conformément à la politique d'accès aux documents de l'agence européenne du médicament (European Medicines Agency, EMA) en vigueur depuis 2010 (1,3).
Les ministres de la Santé des États membres aussi en faveur de la transparence
Dans un contexte d'intimidation de l'EMA par deux firmes ayant porté plainte contre elle afin de l'empêcher de donner accès à des rapports d'étude clinique, la position des ministres de la Santé des États membres sur la question de l'accès aux données cliniques était très attendue (1,4).
Fin décembre 2013, les ministres de la Santé des États membres ont adopté leur position commune par consensus (5). Ils ont non seulement confirmé la volonté politique d'une plus grande transparence sur les résultats des essais cliniques en Europe, mais aussi précisé que les rapports d'étude clinique doivent être rendus publics dans les 30 jours suivant l'octroi de l'AMM (5). Ils ont aussi demandé aux États membres de prévoir des sanctions en cas de non-respect de cette obligation (5).
Le 2 avril 2014, en séance plénière, les eurodéputés ont adopté le règlement relatif aux essais cliniques tel qu'amendé par la Commission ENVI et le Conseil à une très large majorité (594 voix pour, 17 voix contre, 13 absentions) (6). Le Conseil a ensuite adopté la version finale du règlement, qui a été publiée au Journal officiel de l'Union européenne le 27 mai 2014 (2).
Un nouveau règlement facilitant les essais ayant lieu dans plusieurs États membres
Comme prévu par la Commission européenne, ce règlement permettra aux promoteurs des essais de soumettre un dossier de demande unique via un portail centralisé pour tous les États membres où ils souhaitent conduire leur essai clinique. La demande fera l'objet d'une "évaluation scientifique" conjointe par les États membres concernés, coordonnée par un État membre rapporteur ("reporting Member State"). En parallèle, chaque État membre aura à conduire une "évaluation éthique" (2). En pratique, cette évaluation "éthique" est limitée à la vérification des modalités d'obtention du consentent éclairé, et l'autorisation de conduire l'essai sera automatiquement acquise en cas de non-respect par les autorités des délais pour répondre (autorisation dite tacite) (1,2).
Le Conseil des ministres de la santé a néanmoins rétabli plusieurs mesures de protection des participants aux essais cliniques. Il a notamment fait préciser que si un comité national d'éthique émet un avis défavorable, l'essai ne pourra pas avoir lieu sur le territoire de l'État membre concerné (2). Et il a rétabli des délais plus raisonnables pour l'évaluation des demandes : 45 jours au total, avec possibilité de prolonger ce délai d'autant pour certaines catégories de médicaments (la Commission prévoyait un délai compris entre 10 et 30 jours) (2,5).
Une occasion manquée de renforcer la qualité de l'évaluation clinique des nouveaux médicaments
Ni les eurodéputés ni les Ministres de la santé des États membres de l'Union européenne n'ont saisi l'opportunité de l'adoption du règlement pour exiger la conduite d'essais comparants les nouveaux médicaments aux traitements de référence.
Pire, avec ce nouveau règlement, certains essais cliniques portant sur des médicaments utilisés hors indication (alias "hors AMM") pourront être considérés comme des essais "à faible niveau d'intervention", c'est-à-dire moins bien encadrés (2). Les fabricants auront dès lors intérêt à demander une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour une indication thérapeutique étroite, susceptible d'être accordée sur la base d'une évaluation minimaliste car concernant peu de patients, puis à promouvoir des utilisations hors AMM, qui leur permettront ensuite de demander des extensions d'indications sur la base d'essais "à faible niveau d'intervention".
Transparence : une avancée à confirmer
Malgré l'adoption du règlement relatif aux essais cliniques fin mai 2014, les firmes continuent à s'opposer à la transparence (a). Pour restreindre l'accès public aux données cliniques, le lobby des firmes se place désormais sur le terrain de la propriété intellectuelle. Il argue que les données cliniques relèvent du "secret des affaires" et de la "confidentialité commerciale", quitte à mésinterpréter les accords de l'Organisation mondiale du commerce (b)(7).
Et mi-mai 2014, l'EMA annonçait un revirement de sa politique d'accès aux données cliniques, avec un accès très restreint afin de protéger la "confidentialité commerciale" des données pour le compte des firmes (lire en encadré ci-dessous) (8).
Accès aux données : l'EMA en position-clé
- L'agence européenne du médicament doit respecter ses obligations de transparence et résister à la pression industrielle.
En juin 2013, l'agence européenne du médicament (EMA) avait mis en consultation publique une proposition bienvenue de politique d'accès aux données cliniques (1). L'EMA prévoyait de mettre à disposition du public sur son site internet de manière proactive la quasi-totalité des données cliniques support des dossiers d'autorisation (données notamment contenues dans les rapports d'étude clinique) (1).
Opposition industrielle. Fin novembre 2013, une proposition de directive européenne sur les secrets d'affaires a été publiée par la Commission européenne (2,3). À la satisfaction du syndicat européen des firmes pharmaceutiques, cette proposition couvre les aspects relatifs au développement clinique des médicaments (3). Et début 2014, le syndicat des firmes étatsuniennes a fait part de son opposition à la proposition de politique de l'EMA. Il a notamment demandé au gouvernement étatsunien d'agir dans le cadre des accords commerciaux de "libre échange" entre les États-Unis d'Amérique et l'Union européenne en cours de négociation (2).
Rétropédalage de l'EMA. Mi-mai 2014, malgré le soutien du Parlement européen et du Conseil des ministres de la santé dans le cadre du règlement essais cliniques, l'EMA a reculé sur ses engagements en faveur de la transparence (3). Sous couvert de « se mettre en conformité par rapport au message clair de la Commission relatif au nécessaire respect [par l'EMA] des obligations nationales et internationales (…) incluant et n'étant pas limités aux accords sur les adpics et les droits d'auteur et de reproduction », l'EMA a proposé d'exiger la signature d'accords de confidentialité avant de donner accès aux rapports d'étude clinique (3,4). Elle a aussi prévu une procédure permettant aux firmes de censurer les rapports d'étude clinique avant leur mise en ligne, et diverses restrictions rendant les rapports d'étude clinique inexploitables à des fins d'analyse ou de recherche (consultation uniquement à l'écran, sans possibilité de téléchargement ni de sauvegarde) (3).
Ne pas brader la transparence. De nombreuses organisations de la société civile mais aussi la médiatrice européenne et l'eurodéputée rapporteure sur le règlement essais cliniques ont dénoncé ce revirement de l'EMA et l'ont appelé à respecter ses obligations en matière de transparence (3,5à9). Face à cette mobilisation, l'EMA a annoncé mi-juin 2014 que les chercheurs seraient autorisés à télécharger les fichiers, mais pas le public (10). Et début juillet 2014, l'EMA a accepté de repousser à début octobre 2014 l'adoption de sa politique d'accès aux documents afin d'encore l'améliorer (11). À suivre avec vigilance.
Références :
1- Prescrire Rédaction "Débat mondial sur l'accès aux données cliniques : l'Agence européenne en position clé" Rev Prescrire 2014 ; 34 (367) : 377-379.
2- Cohen D "Trade talks between US and EU could increase cost of drugs, new report says" BMJ 2014 ; 348 : 1 page.
3- AIM, Collectif Europe et Médicament, HAI Europe, ISDB, Collaboration Cochrane Nordique "Backpedalling on EMA's "proactive publication of clinical-data" draft policy: Was it all just a window-dressing exercise? Who or what is the EMA afraid of?" communiqué de presse conjoint ; 20 mai 2014 : 4 pages. > Pdf
4- Rasi G "European Medicines Agency response to European Ombudsman letter regarding proactive publication of and access to clinical trial data" 22 mai 2014 : 2 pages.
5- European Ombudsman "Ombudsman concerned about change of policy at Medicines Agency as regards clinical trial data transparency" communiqué de presse 16 mai 2014 : 2 pages.
6- "Mrs Willmott's Open letter to Executive Director of the European Medicines Agency on clinical trial transparency" 6 juin 2014.
7- IQWIG (German Institute for Quality and Efficiency in Healthcare) "Just look, but don't touch: EMA terms of use for clinical study data are impracticable" press release 27 mai 2014 : www.iqwig.de : 2 pages.
8- Jefferson T et Doshi P "EMA's double U-turn on its Peeping Tom policy for data release" 13 juin 2014 : 2 pages.
9- AIM, Collectif Europe et Médicament, HAI Europe, ISDB, Collaboration Cochrane Nordique "EMA's new policy on access to clinical data: About to privatise pharmaceutical knowledge? The proof will be in the pudding" communiqué de presse conjoint ; 23 juin 2014 : 4 pages. > Pdf
10- EMA "European Medicines Agency agrees policy on publication of clinical trial data with more user-friendly amendments" communiqué de presse ; 12 juin 2014 : 1 p.
11- EMA "Management Board delays formal adoption of EMA publication of clinical trial data policy to October 2014" communiqué de presse ; 9 juillet 2014 : 2 pages.
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En somme
À défaut de réorienter la recherche clinique vers des besoins de santé non couverts, le nouveau règlement européen relatif aux essais cliniques (règlement (UE) N°536/2014) est cependant susceptible de constituer une avancée majeure en termes de transparence. À condition de ne pas être neutralisé par le renforcement du protectionnisme industriel, et d'être correctement appliqué par la Commission européenne et les agences du médicament (10).
Le processus démocratique sera-t-il respecté malgré l'importance des intérêts économiques particuliers en jeu ? La décision du nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, de retransférer la politique des produits de santé et l'agence européenne du médicament de la direction générale Santé à la direction générale Entreprise et Industrie est de mauvais augure. Glenis Willmott, députée rapporteur du règlement Essais cliniques, a expliqué que, quand elle négociait les mesures relatives à la transparence des résultats des essais cliniques, « c'était la DG Entreprise qui voulait affaiblir les règles. Maintenant, ils vont piloter l'agence européenne du médicament alors que c'est le moment de la mise en œuvre du régime de transparence, c'est franchement inquiétant » (11). Le 16 septembre 2014, vingt-huit organisations ont co-signé une lettre demandant au président Juncker de reconsidérer sa décision (12).
Organisations co-signataires :
Association Internationale de la Mutualité (AIM)
BEUC
International Society of Drug Bulletins (ISDB)
Medicines in Europe Forum (MiEF)
Nordic Cochrane Centre (NCC)
Transatlantic Consumer Dialogue (TACD)
Wemos
©AIM, BEUC, ISDB, MiEF, NCC, TACD, Wemos Septembre 2014
Notes :
a- Par exemple, dès l’adoption du règlement relatif aux essais cliniques, la fédération européenne des firmes pharmaceutiques (EFPIA) a notamment appelé « la Commission et l’EMA à interpréter le règlement essais cliniques de manière à ce que (…) les incitations pour les entreprises à faire des investissements à long terme en recherche biomédicale [NDLR : protection de ce qu’elles considèrent comme relevant de la confidentialité commerciale] soit respectée » (réf. 9).
b- L’article 39(3) des accords internationaux sur la protection des droits intellectuels (accords sur les adpic) vise à protéger une firme ayant colligé des données cliniques d’une concurrence déloyale en empêchant des firmes concurrentes d’utiliser ces données pour demander une AMM. Cet article n’empêche pas la divulgation des données cliniques au public : la protection de la santé publique est justement une exception au principe de non-divulgation des données (réf. 7).
Références :
1- Prescrire Rédaction "Essais cliniques : un nouveau Règlement européen à améliorer" Rev Prescrire 2013 ; 33 (360) : 781-783.
2- "Règlement (UE) n° 536/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain et abrogeant la directive 2001/20/CE" Journal officiel de l'Union européenne du 27 mai 2014 : L 158/1 – L 158/76.
3- Commission ENVI "Rapport sur la proposition de règlement relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain (COM(2012)0369 – C7-0194/2012 –2012/0192(COD))" 7 juin 2013 : 266 pages.
4- Prescrire Rédaction "Débat mondial sur l'accès aux données cliniques : l'Agence européenne en position clé" Rev Prescrire 2014 ; 34 (367) : 377-379.
5- Council of the European Union "Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on clinical trials on medicinal products for human use, and repealing Directive 2001/20/EC - 2012/0192 (COD)" 20 décembre 2013 : 152 pages.
6- Parlement européen "Procès verbal de la séance du mercredi 2 avril 2014" : 44 pages.
7- Wadlow C "Regulatory data protection under TRIPs Article 39(3) and Article 10bis of the Paris Convention: Is there a doctor in the house?" Intellectual Property Quarterly 2008: 355-415.
8- AIM, ISDB, MiEF, NCC "Backpedalling on EMA's "proactive publication of clinical-data" draft policy: Was it all just a window-dressing exercise? Who or what is the EMA afraid of?" Communiqué de presse 20 mai 2014 : 4 pages. > Pdf
9- European Ombudsman "Ombudsman concerned about change of policy at Medicines Agency as regards clinical trial data transparency" communiqué de presse 16 mai 2014 : 2 pages.
10- Goyens M, directrice générale du BEUC "EMA transparency policy on clinical trial data should not be diluted" Lettre adressée au Professeur Guido Rasi, directeur général de l'EMA (ref.: 164/2014 – dated 22/05/2014) : 3 pages.
11- Willmott G, MEP "Juncker should reverse decision on medicines shake up" 11 septembre 2014 : 1 page.
12- "Medicinal products and health technology belong under the responsibility of the Commissioner for health" Lettre ouverte conjointe de 28 organisations au Président Juncker (AGE, AIM, BEUC, CEO, CPME, EAHP, EATG, ECL, EFA, EHMA, EHN, ELPA, EMSA, EPF, EPHA, ESIP, HAI, HEAL, HOPE, IDF, IFMSA, ISDB, MiEF, NCC, PGEU, SFP, UAEM, UEMS) 16 septembre 2014 : 1 page. > Pdf
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