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Après le Mediator°, la transparence sur les cadeaux des firmes s'impose

Dans un texte paru dans le journal Le Monde du 17 octobre 2012, Irène Frachon, pneumologue à Brest, et Bruno Toussaint, directeur éditorial de la revue Prescrire, déplorent que beaucoup de leçons n'ont pas encore été tirées du drame du Mediator° (benfluorex).

Depuis le drame du Mediator° (benfluorex), nous sommes nombreux à attendre des changements dans les comportements des différents acteurs, firmes, agences, soignants, patients, pour mieux soigner et éviter d'autres désastres sanitaires. Pourtant, l'actualité récente nous montre que beaucoup de leçons n'ont pas encore été tirées. Certes, on peut se réjouir d'une proposition de loi visant à protéger les lanceurs d'alerte. Mais on reste consterné de voir que, face aux patients atteints de valvulopathie cardiaque après avoir pris du benfluorex, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam) et ses experts en sont encore à ergoter autour des preuves incriminant le benfluorex, alors que le moindre doute doit bénéficier aux patients.

Nous sommes aussi consternés de voir qu'un progrès apporté par la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé (loi Bertrand) risque d'être réduit à néant par un décret d'application, en préparation.

Cette loi crée, pour les entreprises produisant ou commercialisant des produits de santé, "une obligation de rendre publique l'existence des conventions qu'elles concluent et des avantages procurés à leurs interlocuteurs intervenant dans le champ de la santé". Le désastre du Mediator° a en effet ouvert les yeux de la société sur la banalité consternante des "avantages" offerts par les firmes aux professionnels de santé, y compris les étudiants, pour capter leur attention et leur sympathie, en vue d'influencer leurs prescriptions.

Tout le monde a pu réaliser avec écoeurement que trop de professionnels de santé dépendent des firmes en leur laissant financer des invitations au restaurant, des inscriptions et des participations aux congrès, des séances de "formation professionnelle continue", etc. Le plus souvent aux frais de la Sécurité sociale, puisque ces dépenses sont financées par les ventes de médicaments et que la plupart des médicaments sont pris en charge par la Sécurité sociale. Tout le monde peut réaliser aussi l'ampleur des dégâts subis par les patients du fait de prescriptions de médecins trop influencés par les firmes.

Manger au râtelier
Mais la ministre de la santé a semé le doute en annonçant la constitution d'un groupe de travail pour rédiger un décret de sorte "que l'obligation de publication [des avantages offerts par les firmes aux soignants] prévue par la loi soit réaliste et adaptée pour être effective et utile".

Effective et utile à qui ?

  • S'il s'agit d'assainir les relations entre les firmes et les professionnels de santé, il faut que toute convention, tout avantage et tout "cadeau" soient déclarés en détail dès 1 euro. La transparence sera maximale.
  • S'il s'agit de permettre aux professionnels de santé de ne plus être soupçonnés de manger au râtelier des firmes, il faut que tout soit déclaré en détail dès 1 euro - ce qui ne pourra qu'être utile à la vérité des coûts de la formation professionnelle.
  • S'il s'agit de minimiser les prescriptions sous influence et de réduire les dépenses de la Sécurité sociale, il faut que tout soit déclaré en détail dès 1 euro. La dépense d'énergie pour déclarer les petits cadeaux anodins mais dangereux pour l'indépendance intellectuelle des praticiens et la sécurité des patients poussera les firmes à abandonner ces dépenses devenues contraignantes. On sait depuis longtemps que les cadeaux des firmes poussent les prescripteurs à des choix contraires à l'intérêt des patients.
  • S'il s'agit de permettre aux patients de vérifier que les choix et recommandations de tel ou tel professionnel sont libres de lien financier avec quelque firme que ce soit, il faut que les déclarations soient regroupées sur un site Internet unique facile à consulter - la mutualisation des frais de déclaration par les firmes réduira leurs dépenses.
  • Mais s'il s'agit d'être utile aux firmes à courte vue et effectif pour ne pas déranger l'ordre établi, en oubliant les patients, il suffit de décréter un seuil de déclaration élevé (au-dessus de quelques dizaines d'euros par exemple), de ne publier que des cumuls de sommes, de les cacher dans de larges tranches (de 1 000 à 10 000 euros) et de disperser les déclarations sur les sites Internet de chaque firme.

La réalité est que les cadeaux des firmes aux professionnels de santé sont empoisonnés et toxiques, d'abord pour les patients. Pour honorer les victimes du Mediator°, du Vioxx°, et de tant d'autres, pour éviter d'autres désastres médicamenteux, un ministre de la santé doit-il agir d'abord au service des firmes, ou au service des patients et d'une Sécurité sociale bien gérée ?

Irène Frachon (pneumologue, Brest) et Bruno Toussaint (directeur éditorial, revue Prescrire)

Déclaration publique d'intérêts d'Irène Frachon :
http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/FRACHON_Irene_20110325112718.pdf

Comme tous les membres de la rédaction de Prescrire, Bruno Toussaint signe chaque année une  déclaration d'absence de conflit d'intérêts, en cohérence avec la Charte “Non merci...” , en libre accès ICI

©Prescrire 16 octobre 2012

Pour en savoir plus :

Cadeaux des firmes
aux soignants :
la transparence ne
se marchande pas.
Collectif Europe
et Médicament
(Septembre 2012)
Accès libre

Petits cadeaux : influence
souvent inconsciente
mais prouvée
(Septembre 2011)
Accès libre

"Non merci..."
aux influences
(Mars 2011)
Accès libre

La Charte
"Non merci..." 2012
Pdf, accès libre