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Faire progresser les politiques de santé

Conditionnements des médicaments et sécurité des soins

Conditionnements des médicaments et sécurité des soins : les actions auprès des agences
Prévenir les erreurs médicamenteuses liées à l'expression du dosage sur les éléments du conditionnement : réponse de Prescrire à l'EMA (Juin 2009)

Réponse Prescrire à la consultation sur les recommandations EMEA/208304/2009 (traduction)

Paris, le 28 mai 2009

Prévenir les erreurs liées à l'expression du dosage sur les éléments du conditionnement des médicaments
En raison de leur impact sur le calcul des taxes versées par les firmes pharmaceutiques, les dosages des médicaments sont définis en détail par la Commission européenne (a)(1p3-4). Ces définitions ne sont pas destinées à l'expression du dosage dans le résumé des caractéristiques (RCP), dans la notice, sur les éléments du conditionnement des médicaments (1p2). Cependant l'usage de ces définitions à visée administrative s'est imposé le plus souvent dans ces différentes situations, ce qui s'avère source de surdoses ou de confusions entre les différents dosages d'un même médicament et expose inutilement les citoyens européens à des effets indésirables évitables.

L'agence européenne du médicament (EMEA) a élaboré des recommandations relatives à l'expression du dosage dans le libellé des médicaments autorisés au niveau communautaire (procédure centralisée), « not only in order to achieve harmonisation across similar medicinal products and pharmaceutical forms, but especially in order to make improvements to medicines labelling to ensure the correct and safe use of medicines and minimise medication errors » (2).

Ce projet fait actuellement l'objet d'une consultation publique (2). Il revêt d'autant plus d'importance que les agences nationales du médicament et le groupe de coordination des procédures décentralisées et de reconnaissance mutuelle (Co-ordination group for mutual recognition and decentralised procedures (CMD)) alignent leur position sur celle de l'EMEA.

C'est pour promouvoir une désignation plus sûre et plus claire des médicaments que Prescrire répond à cette consultation (3).

Mise en avant de la concentration source d'erreurs
En 2009, suivant les lignes directrices de la Commission européenne, l'étiquetage des médicaments est ainsi présenté le nom commercial + le dosage + la forme pharmaceutique et, au-dessous, la dénomination commune internationale (DCI) (4p.12). Mais ces lignes directrices sont ambiguës. Les analyses de conditionnements effectuées méthodiquement par Prescrire revèlent en effet que les firmes mettent surtout en valeur les mentions commerciales noms de fantaisie, logos, chartes graphiques (5à8).

Prééminence de la concentration. Pour ce qui concerne plus particulièrement les formes liquides, le dosage est exprimé en quantité de substance par millilitre (concentration) plutôt qu'en quantité de substance par volume total. Les analyses des conditionnements de médicaments autorisés par procédure centralisée ont révèlé que la quantité de substance par volume total est le plus souvent absente (par exemple Naglazyme°, Torisel°, Ventavis°), ou peu visible (par exemple Abilify°, Atriance°, Increlex°) (6).

Et l'expression proéminente de la concentration s'avère source d'erreurs des surdoses parfois mortelles surviennent lorsque la concentration par millilitre est confondue avec la quantité totale du récipient.

Keppra° surdoses d'un facteur 5. Fin 2007, des surdoses ont été rapportées en France avec la forme injectable de lévétiracétam (Keppra°), un antiépileptique, dus à l'étiquetage ambigu de cette spécialité. Sur cet étiquetage figurait une mention de concentration « 100 mg/ml » de manière proéminente. Des soignants ont pu croire que chaque flacon renfermait 100 mg de lévétiracétam, alors qu'ils contiennent 5 ml de solution à 100 mg/ml, soit 500 mg de substance. D'où l'injection de doses quintuplées par erreur (9).

Courant 2008, ces étiquetages ont été modifiés. Sur les deux faces principales de la boîte et sur l'étiquette des flacons figure la mention « 500 mg/5 ml » en rouge et en gros caractères, ce qui est bienvenu. Néanmoins, sujette à confusions, la mention « 100 mg/ml » figure toujours de manière bien visible sur la boîte et les flacons (10).

Kaletra° surdoses d'un facteur 20. En 2007, en France, une surdose de l'association lopinavir + ritonavir (6,5 ml de solution buvable (Kaletra° - Abbott) au lieu de 0,30 ml, soit environ 20 fois plus) a entraîné le décès d'un nourrisson (11). Bien que ni l'Agence française des produits de santé (Afssaps), ni l'Agence européenne du médicament (EMEA), ni la firme Abbott n'aient rendu publiques les causes précises de la surdose, il est probable que la mention « 80 mg/20 mg » ait été interprétée comme une quantité de lopinavir (80 mg) pour 20 ml de solution résultant à l'administration d'une dose 20 fois plus élevée (12).

En octobre 2007, la mention « 80 mg/20 mg » est devenue « (80 mg + 20 mg)/ml », mais les seringues fournies avec les flacons de Kaletra° buvable demeurent graduées en ml et non en quantités pondérales des deux substances (12). Comme pour beaucoup de dispositifs doseurs fournis avec d'autres spécialités, l'opération de conversion des mg en ml, nécessaire pour préparer le volume à administrer est source d'erreurs (8,13).

Ailleurs aussi. Des erreurs liées à la mise en avant de la concentration dans l'étiquetage ou le libellé des médicaments ont été signalées dans d'autres pays par des programmes de prévention des erreurs médicamenteuses (14,15). Quelques exemples le Torisel°, préparation injectable à diluer pour perfusion IV, contient 30 mg de temsirolimus par flacon de solution à diluer et est étiqueté « 25 mg/ml » (16) ; le libellé des différents dosages du Metoject° mentionne d'abord la concentration « 10 mg/ml » ce qui provoque des erreurs de sélection au cours de prescriptions électroniques (17) ; le Mabcampath°, alors présenté en solution injectable à diluer à 10 mg/ml d'alemtuzumab, en ampoule de 3 ml (soit 30 mg/3 ml) (18) ; etc.

En somme, privilégier la concentration dans l'expression du dosage des médicaments expose au risque d'erreurs, le plus souvent des surdoses, par confusion entre dosages différents d'un même médicament ou par confusion entre contenance totale et concentration. Au regard des ces risques, une initiative de l'EMEA apparaissait donc nécessaire pour clarifier l'expression du dosage sur le conditionnement des médicaments.

Prévenir les erreurs liées à l'expression du dosage sur les médicaments
éléments de méthode
L'expression ambiguë du dosage sur le conditionnement et son étiquetage facilite la survenue d'erreurs de dose. Les mécanismes du "préconditionnement" de ces erreurs sont bien connus et fondent les principes de leur prévention.

Erreurs préconditionnées. Le risque de confusion entre dosages survient notamment parce que des informations contradictoires sont présentées dans le même champ de lecture, même lorsque cette lecture est attentive. De surcroit, le sens de la lecture, sa proéminence dans le libellé, tendent à donner naturellement plus d'importance à la concentration en quantité de substance par millilitre, présentée en premier. Enfin, la disposition de l'étiquetage, laissée à l'initiative des firmes est insuffisamment standardisée, imposant un nouveau processus de recherche des informations cruciales pour chaque médicament.

En somme, les conditions de lisibilité de l'étiquetage des médicaments concernant l'expression du dosage en substance active s'avèrent variables, complexes, ambigües. Lorsque le dosage unitaire en quantité totale de substance n'est pas indiqué, la perception correcte de leur dosage exact est systématiquement brouillée. Soignants et patients, même lorsqu'ils sont particulièrement attentifs et consciencieux, sont alors induits en erreur.

Principes pour la prévention des erreurs de dosage. Les principes de la prévention des erreurs médicamenteuses liés au conditionnement des médicaments sont largement diffusés (19à22). La réduction du risque d'erreur de dosage exige une présentation claire des informations cruciales de l'étiquetage et du conditionnement, à prévoir dès la conception (23). Cette approche ergonomique repose sur des principes élémentaires de sécurité tels que simplification, hiérarchisation, standardisation, différenciation, redondances, contraintes, etc (19à23).

Selon ces principes, il s'agit de simplifier le processus de préparation des doses à administrer en prévenant le risque de surdose grâce à un conditionnement prêt à l'emploi ou, à défaut, grâce à la fourniture d'un dispositif doseur approprié à la substance (graduation en quantité pondérale) et à la posologie. Il s'agit également de garantir la perception immédiate des informations les plus cruciales pour la sécurité d'emploi du médicament, en les indiquant en premier information sur sa nature en mettant en avant sa dénomination commune internationale (DCI) plutôt que son nom commercial (3) ; information sur son dosage en mettant en avant la dose totale contenue dans le récipient plutôt que sa concentration ; information sur la voie d'administration plutôt que sur la forme galénique, etc.

Mieux vaut également retirer les éléments graphiques perturbants ou inutiles.

L'interprétation par l'EMEA du "nom complet" un non-sens, source permanente d'erreurs
Des agences nationales appliquent au moins en partie ces principes de prévention des erreurs de dosage par une expression plus sûre du dosage sur l'ensemble des éléments du conditionnement des médicaments (24à26). On aurait pu s'attendre ce que l'EMEA fasse des propositions allant dans le même sens. Malheureusement, les propositions l'EMEA sont ambiguës, voire contreproductives.

Une base législative claire et souple. Les mentions à apposer sur les étiquetages sont définies dans des lignes directrices de la Commission européenne, révisées en 2009 suite à la modification de la Directive 2001/83/CE par la Directive 2004/27/CE (4,27).

Selon l'article 54 de la Directive 2001/83/CE « L'emballage extérieur ou, à défaut d'emballage extérieur, le conditionnement primaire de tout médicament doit porter les mentions suivantes: a) le nom du médicament suivi de son dosage et de sa forme pharmaceutique et, le cas échéant, de la mention du destinataire (nourrissons, enfants ou adultes); lorsque le médicament contient jusqu'à trois substances actives, la dénomination commune internationale (DCI) ou, si celle-ci n'existe pas, la dénomination commune; (…) » (27). L'article 55 prévoit que ces mentions sont reportées sur le "conditionnement primaire" et précise que « les petits conditionnements primaires sur lesquels il est impossible de mentionner les informations prévues aux articles 54 et 62 doivent porter au moins les mentions suivantes le nom du médicament tel que prévu à l'article 54, point a), et, si nécessaire, la voie d'administration ; le mode d'administration ; la date de péremption ; le numéro du lot de fabrication ; le contenu en poids, en volume ou en unités » (27).

Les termes de la directive sont retranscrits dans les lignes directrices de la Commission européenne relatives à la lisibilité de l'étiquetage et de la notice, dans les termes suivants « Nevertheless, of the information items listed in Article 54 of Directive 2001/83/EC, certain items are deemed critical for the safe use of the medicine. These items are: name of the medicine; strength and, where relevant, total content; route of administration. Where possible these should be brought together using a sufficiently large type size on the labelling. Having these items together in the same field of view should be considered in order to aid users » (4p.12).

Et l'importance de différencier l'expression du dosage au mieux de la sécurité des patients est clairement affirmée « In some cases the packaging may need to contain information on both the quantity per unit volume and on the total quantity per total volume. The total quantity per total volume can be particularly important for safety reasons for injectable products and other medicines available in solution or suspension » (4p.12).

En somme, l'importance de la mention du dosage pour la bonne identification d'un médicament est telle que la Commission européenne exige de le mentionner immédiatement après le nom du médicament. Cette mention doit apparaître dans un champ de vision commun avec le nom commercial, la forme pharmaceutique et la dénomination commune internationale (DCI) (4).

Interprétation restrictive de l'EMEA. Pour éviter de répéter le « nom du médicament tel que prévu à l'article 54, point a) », l'EMEA a bâti une expression administrative pour désigner le libellé usuel d'un médicament (alias "nom complet"), faisant référence aux lignes directrices relatives au résumé des caractéristiques du produit (RCP) (4,28). Pourtant, il n'y a pas lieu d'appliquer les principes spécifiques au RCP à l'étiquetage des médicaments, chacun faisant l'objet de lignes directrices bien distinctes (4,28). C'est bien parce que soignants et patients ne lisent pas l'étiquetage de la même manière que la notice ou le RCP, que des lignes directrices distinctes ont été prévues.

Ce jargon est probablement destiné à faciliter la gestion des dossiers d'autorisation de mise sur le marché (AMM) par l'agence et par les firmes. En particulier, l'expression de la seule concentration (en « mg/ml » par exemple) à la place du dosage permet de ranger différents volumes et présentations dans le même dossier d'AMM, ce qui profite à l'agence qui simplifie le traitement de ses dossiers, et aux firmes qui diminuent ainsi leurs frais d'enregistrement (a)(1,29,30).

La standardisation issue de cette confusion entre dosage et concentration s'avère très contraignante (b). En préconisant de maintenir la mention proéminente de la concentration même lorsque l'expression de la quantité totale de substance par volume total est mise en avant, l'EMEA suscite de nouvelles opportunités d'erreur par un risque accru de confusion entre ces deux mentions (2p5note**).

Ainsi, la priorité donnée par l'EMEA à une conception administrative du dosage réduit à la seule concentration ne permet pas d'élaborer des solutions pratiques correctes. Elle ne permet pas non plus de garantir la justesse des doses à administrer ni la prévention des risques de confusion entre dosages différents d'un même médicament, à l'inverse des objectifs revendiqués (« assurer un usage correct et sûr des médicaments et réduire les erreurs médicamenteuses »).

Défaut d'expertise des conditionnements. Le recours à l'expression administrative du "nom complet" pour ce qui concerne l'étiquetage et le conditionnement d'un médicament témoigne du manque d'expertise de l'EMEA en matière de conditionnement des médicaments, alors que l'Agence européenne devrait analyser systématiquement les conditionnements avant commercialisation afin d'anticiper les risques d'erreur médicamenteuses (20).

L'EMEA doit revoir de fond en comble son approche de la prévention des erreurs liées au conditionnement des médicaments. Pour améliorer la sécurité des patients, il est indispensable de conduire une analyse systématique des risques d'erreurs prévisibles liés non seulement à l'expression du dosage des médicaments, mais aussi à l'étiquetage des conditionnements finaux et des dispositifs doseurs. Cette analyse prévisionnelle des risques doit être encore plus attentive pour les formes multidoses quelle que soit leur voie d'administration, et comprendre le contrôle de la précision effective des dispositifs doseurs.

Propositions Prescrire pour des recommandations moins ambiguës
Si l'agence européenne recourt à une consultation publique, c'est qu'elle souhaite remédier à son manque d'expertise en matière d'analyse prévisionnelle des risques d'erreurs liés aux conditionnements, parce qu'elle ne la pratique pas systématiquement sur les médicaments qu'elle autorise. C'est aussi parce que des divergences entre États membres, voire entre firmes, ne permettent plus de trouver des solutions administratives univoques. Fort de l'expérience accumulée par son Atelier conditionnement, Prescrire propose une approche pragmatique.

Distinguer doses unitaires et multidoses. Pour ce qui concerne les doses unitaires, quelle que soit la forme pharmaceutique, l'expression du dosage est univoque c'est la quantité totale de substance active contenue dans la dose qui doit être exprimée, et elle seule. Dès lors qu'il s'agit d'une unité d'emploi à administrer ou à prendre en totalité, la dose individuelle est contenue, par exemple dans un comprimé, un sachet, une unidose, une ampoule, etc. Il n'y a pas lieu d'exprimer le dosage en quantité totale de substance active par gramme (pour des formes semi-solides ou pulvérulentes) ou par ml (pour les formes liquides).

À distinguer des doses unitaires, le problème de la sécurité d'emploi des multidoses doit être abordé de manière plus cohérente, par forme pharmaceutique. Au demeurant, l'emploi partiel d'un conditionnement unitaire, particulièrement d'une forme injectable, relève de la problématique des multidoses, dès lors que les posologies mentionnées par le RCP permettent de prévoir que l'unité d'emploi ne sera pas systématiquement administrée en totalité (par exemple pour les posologies exprimées en mg/kg ou en mg/m²).

Médicaments à reconstituer la concentration finale n'est qu'une hypothèse. Exprimer le dosage d'une préparation à reconstituer par sa concentration obtenue après reconstitution selon le RCP n'offre ni aide pour y parvenir, ni garantie de la concentration finale effective. Quelle que soit la forme pharmaceutique, la préparation extemporanée nécessite de connaître au moins la nature et le volume de solvant à utiliser et parfois de réaliser des calculs en vue d'obtenir la dose à administrer, si bien qu'il est difficile de préjuger de la concentration obtenue.

Au lieu de la mention de la concentration finale après reconstitution, c'est la quantité totale de substance active par contenant qui devrait figurer de façon proéminente, surtout pour les formes injectables, ou à défaut la quantité de substance active susceptible d'être mesurée lorsque des précautions suffisantes ont été prises pour garantir la concentration après reconstitution, par exemple pour les formes buvables.

Multidoses tout dépend du dispositif doseur. Insuffisamment détaillée par ce projet de recommandations, la précision du dispositif doseur autorisé avec le médicament devrait dicter l'expression du dosage, en conformité avec les posologies mentionnées par le RCP (13). L'expression du dosage doit alors se faire en fonction des quantités susceptibles d'être mesurées plutôt qu'en référence à la seule concentration en mg/ml. Dans ce contexte, le projet de recommandations évoque des expressions de dosage déconnectées de l'usage du médicament et inutiles, telle celle de la quantité de substance active en mg/g pour les formes orales ou locales solides, pâteuses ou gélifiées.

La référence à la cuillérée domestique, alors qu'il s'agit d'une cause patente d'erreur de doses, atteste du manque d'expérience de l'agence dans ce domaine ; tandis que les seringues pour administration orale précisément graduées rendent un service acceptable aux soins (31). Non seulement les mentions figurant sur les dispositifs doseurs devraient être détaillées afin d'être harmonisées avec celles de l'étiquetage et de la notice, mais encore les garanties relatives à leur précision et à la prévention du risque de surdose devraient être renforcées par des recommandations spécifiques, bannissant notamment la graduation des dispositifs doseurs en kg de poids corporel (32).

Il est temps qu'en 2009 la notion de dispositif doseur soit clairement rattachée à la réglementation sur les médicaments, en commençant par l'ajouter dans les meilleurs délais parmi les définitions de la Directive 2001/83/CE (Titre I, article premier). L'ambiguïté du statut des dispositifs doseurs associés ou intégrés à des spécialités pharmaceutiques soumises à AMM, situé entre celui des dispositifs médicaux et celui des médicaments, est dangereuse et nuisible pour les patients.

Formes injectables au plus près de la réalité. Qu'il s'agisse d'une présentation unitaire (par exemple une seringue prête à l'emploi, une poche prête à perfuser, etc.) ou d'une forme multidoses liquide, à reconstituer ou à diluer, l'expression du dosage en quantité totale de substance active par volume total (c'est à dire de manière relative) doit être systématiquement privilégiée. Cette expression décrit la réalité au plus près et permet de prendre conscience de la dose effectivement contenue dans le récipient.

Au contraire, l'expression de la seule concentration peut conduire à des surdoses par erreur chaque fois que le volume du récipient est supérieur à l'unité de volume employée pour l'expression de la concentration. La mise en avant de la concentration doit donc être bannie, encore plus son usage systématique. Pour autant, la mention de la concentration doit être considérée comme acceptable lorsqu'elle vient en complément de l'expression du dosage en quantité totale de substance active par volume total, à condition d'être mentionnée en caractères de moindre importance et dans un cadre bien distinct (22). En somme, la disposition de ces mentions complémentaires doit être standardisée.

Il en va de même pour l'expression du pourcentage dans les cas où il est traditionnellement utilisé il est souhaitable qu'il figure en mention complémentaire pour renforcer la compréhension du dosage. Le programme Prescrire Éviter l'Évitable a ainsi reçu un signalement de confusion entre deux dosages de lidocaïne injectable résultant du retrait de la mention du pourcentage sur l'étiquette à la suite de l'application des recommandations de l'agence française du médicament (25).

Dosages multiples oubliés. En pratique, l'expression du dosage en quantité totale de substance active par volume total permet de distinguer correctement les différents dosages d'un médicament présenté sous la même concentration. Le risque d'erreurs de doses entre dosages différents d'un même médicament exige de s'assurer que les efforts graphiques nécessaires ont été faits sur les étiquetages pour bien différencier les dosages multiples lorsqu'ils existent. Aussi muet sur ce point que les lignes directrices de la Commission européenne, le projet de recommandations ne permet pas de connaître les exigences de l'agence et n'incite pas les firmes à concevoir des conditionnements bien différenciés (2,4).

Dispositifs transdermiques ne pas s'en tenir à la seule mention du débit. La mention du débit annoncé pour un dispositif transdermique ne permet pas de percevoir tous les risques liés au conditionnement, notamment en cas d'ingestion accidentelle. L'étiquetage devrait être complété, au moins sur le surconditionnement ou sur le conditionnement secondaire, par les mentions claires et lisibles de la quantité totale de substance active contenue par le dispositif, ainsi que de la quantité résiduelle prévisible, à l'appui des mentions relatives aux précautions d'emploi. Et la surface externe d'un dispositif transdermique doit toujours être identifiée et comporter la mention du dosage.

Ici encore, des efforts sont à prévoir pour bien différencier différents dosages lorsqu'ils existent.

Évaluer la sécurité de l'étiquetage et du conditionnement avant mise sur le marché. L'Agence européenne indique dans ce projet que ses décisions sont prises « au cas par cas », mais ne dévoile pas ses méthodes d'analyse de l'étiquetage et du conditionnement des médicaments qu'elle autorise. Cela laisse à penser que l'EMEA ne procède pas à ces analyses de manière systématique et permet de mieux comprendre pourquoi elle ne préconise pas de principes de conception d'étiquetage et de conditionnements plus sûrs pour les patients, à l'instar de ceux développés par la National Patient Safety Agency (NPSA) (22).

Au lieu de l'énumération de cas de figure variés dans un tableau désordonné laissant croire qu'il existerait un mode exclusif d'expression du dosage des médicaments, il est indispensable de faire la distinction entre les informations essentielles devant figurer dans un même champ de vision telle que la quantité totale de substance active, et les informations complémentaires telles que la concentration, le pourcentage. On attend d'une agence du médicament qu'elle évalue la pertinence de la mention d'une information complémentaire et lorsqu'elle s'avère nécessaire, qu'elle veille à ce que l'information complémentaire n'ajoute pas à la confusion grâce à une présentation bien séparée des informations essentielles, moins proéminente et n'en perturbant pas la compréhension.

En pratique, des recommandations inaptes à garantir la sécurité des patients européens
Le rôle des agences du médicament est de garantir la sécurité d'emploi, à commencer par une identification claire et sans ambiguïté des médicaments offrant une compréhension complète et immédiate par les soignants et les patients. En particulier lorsqu'il s'agit des informations les plus cruciales pour la sécurité d'emploi du médicament information sur sa nature en mettant en avant sa dénomination commune internationale (DCI) plutôt que son nom commercial (3,33) ; information sur son dosage en mettant en avant la dose totale contenue dans le récipient plutôt que sa concentration.

Au delà du constat des nombreuses déficiences dans sa conception de l'étiquetage des médicaments, la médiocrité de la politique de prévention des erreurs liées au conditionnement des médicaments par l'Agence européenne se mesure à l'absence d'incitation des firmes à fabriquer des présentations prêtes à l'emploi, à différencier soigneusement les différents dosages d'une même gamme, à garantir la précision des doses prévues par le RCP en concevant des dispositifs doseurs adaptés et précis, etc. Un bilan accablant qui augure la survenue de nombreuses erreurs de dose.

L'EMEA doit revoir les règles d'expression des dosages de médicaments afin que leur étiquetage cesse d'exposer les patients européens à des risques d'erreur inacceptables.

Synthèse élaborée collectivement par la Rédaction, sans aucun conflit d'intérêts

©Prescrire Juin 2009

Notes
a- Ces définitions ont été élaborées dans le cadre des règles relatives aux extensions et aux variations des autorisations de mise sur le marché en procédures centralisée ou par reconnaissance mutuelle (réf. 1). Elles sont rappelées dans l'avis de l'EMEA aux firmes susceptibles de solliciter une autorisation de mise sur le marché (AMM) par procédure centralisée (réf. 29). Leurs conséquences tarifaires sont importantes pour les firmes. En effet, en exprimant le dosage par la concentration, la taxe pour une présentation supplémentaire présentée simultanément à la première autorisation n'est que de 6 300 euros, contre 25 200 euros lorsqu'il s'agit d'un dosage supplémentaire ; et l'ajout d'un nouveau dosage est considéré comme une extension d'AMM (taxe de 75 500 euros), tandis que celui d'une nouvelle présentation à une concentration déjà autorisée est considéré comme une variation de type II pour les formes injectables (taxe de 75 500 euros), ou comme une variation de type Ib pour les autres formes (taxe de 6 300 euros) (réf. 1,30).
b- Également issue des règles relatives aux procédures d'AMM, la distinction entre "usage partiel" et "usage total" d'un récipient, non définie par la Pharmacopée Européenne, permet à l'EMEA de mettre systématiquement la concentration en avant au lieu de s'en tenir à l'expression de la quantité totale de substance par volume total ou par dose à mesurer (réf. 1,2). Un "usage total" est d'autant plus virtuel qu'en pratique courante les soignants sont fréquemment conduits à fractionner les présentations disponibles en cas d'adaptation posologique (en fonction de l'âge ou des situations cliniques diverses).

Extraits de la recherche documentaire Prescrire.
1- European Commission "Guideline on the categorisation of New Applications versus Variation Applications" October 2003 ; 11 pages.
2- EMEA "QRD Recommendations on the expression of strength in the name of centrally authorised human medicinal products (EMEA/208304/2009)" 03 April 2009; 5 pages.
3- Prescrire Rédaction "Confusion entre noms commerciaux entretenue par les agences du médicament" Rev Prescrire 2007 ; 27 (290) 941-945.
4- European Commission "Guideline on the readability of the label and package leaflet of medicinal products for human use" 12 January 2009 ; 27 pages.
5- Prescrire Rédaction "Conditionnement des médicaments: le dernier des soucis des agences du médicament" Rev Prescrire 2005 ; 25 (258) 147.
6- Prescrire Rédaction "Conditionnement des spécialités pharmaceutiques encore trop de conditionnements à risques, mais plusieurs initiatives positives" Rev Prescrire 2007 ; 27 (280) 150.
7- Prescrire Rédaction "L'année 2007 du conditionnement" Rev Prescrire 2008 ; 28 (292) 141-144.
8- Prescrire Rédaction "L'année 2008 du conditionnement des spécialités pharmaceutiques trop d'inertie" Rev Prescrire 2009 ; 29 (304) 144-145.
9- Prescrire Rédaction "Keppra° injectable surdoses" Rev Prescrire 2008 ; 28 (293) 182.
10- Prescrire Rédaction "Keppra° injectable étiquetage amélioré" Rev Prescrire 2009 ; 29 (304) 98.
11- Prescrire Rédaction "Lopinavir + ritonavir décès d'un nourrisson" Rev Prescrire 2007 ; 27 (289) 825.
12- Prescrire Rédaction "Kaletra° buvable modification d'un étiquetage ambigu" Rev Prescrire 2008 ; 28 (291) 17.
13- Prescrire Rédaction "Formes buvables trop de dispositifs doseurs inadaptés" Rev Prescrire 2004 ; 24 (255) 741.
14- Cohen MR. "The role of drug packaging and labelling in medication errors" In: Cohen MR (Ed.) "Medication errors – 2nd Edition" Washington (DC): American Pharmaceutical Association 2007; 111-152.
15- Momtahan K et coll. "Using human factors methods to evaluate the labelling of injectable drugs" Healthcare Quarterly 2008 ; 11 (Sp) 122-128.
16- Institute for Safe Medication Practices "Avoid confusion with Torisel dose preparation" ISMP Medication Safety Alert ! 2008; 13 (9):3.
17- Instituto para el Uso Seguro de los Medicamentos "Errores por denominación inapropiada del medicamento en etiquetado y formatos electrónicos" ISMP-España Boletín 2007 ; (25) 3.
18- Instituto para el Uso Seguro de los Medicamentos "Errores por etiquetado o envasado inapropiado" ISMPEspaña Boletín 2003 ; (15) 1.
19- Smetzer JL. "Managing medication risks through a culture of safety" In: Cohen MR (Ed.) "Medication errors – 2nd Edition" Washington (DC): American Pharmaceutical Association 2007; 605-654.
20- Council of Europe - Expert Group on Safe Medication Practices "Creation of a better medication safety culture in Europe: Building up safe medication practices" March 2007: 278 pages.
21- Aspden P et coll. "Preventing medication errors" National Academy Press, Washington 2007: 544 pages.
22- National Patient Safety Agency "Design for patient safety – A guide to labelling and packaging of injectable medicines" NPSA 2008 96 pages.
23- Garnerin P et coll. "Drug selection errors in relation to medication labels: a simulation study" Anaesthesia 2007 ; 62 (11) 1090-1094.
24- UK Medicines and Healthcare Products Regulatory Agency (MHRA) "Best practice guidance on labelling and packaging of medicines - MHRA guidance note N° 25" June 2003 ; 9 pages.
25- Afssaps "Harmonisation de l'étiquetage des ampoules et autres petits conditionnements de solutions injectables de médicaments" 21 décembre 2006 9 pages.
26- Prescrire Rédaction "Étiquetage des médicaments injectables des progrès, à poursuivre" Rev Prescrire 2007 ; 27 (290) 903.
27- "Directive n° 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 modifiant la Directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain" Journal Officiel de l'Union européenne du 30 avril 2004 L136/34-L136/57.
28- European Commission "Guideline on Summary of Product Characteristics" October 2005 ; 26 pages.
29- EMEA "EMEA pre-submission procedural advice for users of the centralised procedure" Décember 2008 ; 113 pages.
30- EMEA "Explanatory note on fees payable to the EMEA" 31 March 2009 ; 20 pages.
31- Prescrire Rédaction "Cuillères domestiques pas pour les médicaments" Rev Prescrire 2007 ; 27 (290) 929.
32- Prescrire Rédaction "En finir avec les seringues graduées en kg de poids" Rev Prescrire 2006 ; 26 (273) 419.
33- Prescrire Rédaction "Confusion entre noms commerciaux (suite)" Rev Prescrire 2009 ; 29 (307) 380-382.

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