16 septembre 2014
Prescrire et le British Medical Journal écrivent au Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker
Communiqué de Presse
M. Juncker, le médicament n’est pas une marchandise…
Monsieur le président de la Commission européenne, en 2009, le Président Barroso a enfin décidé de rattacher la politique des produits de santé (médicaments et dispositifs médicaux) et l’Agence européenne du médicament (EMA) à la direction générale Sanco (santé et consommateurs) plutôt qu’à la direction générale Entreprises. En 2009, de très nombreuses voix se sont fait entendre, dont la nôtre, pour saluer ce rattachement, réclamé depuis longtemps, meilleur gage d’une priorité donnée à la santé publique et aux patients, plutôt qu’aux intérêts industriels et économiques à courte vue.
Incompréhensible retour en arrière. Votre décision de rattacher à nouveau la politique du médicament et l’EMA à la direction générale Entreprises est une immense déception et suscite l'incompréhension de tous ceux qui donnent la priorité à la santé publique en Europe. Quelles sont les raisons d'un tel retour en arrière ? Quelle nouvelle direction cela va-t-il signifier pour l’EMA et les patients européens ?
Nous observons avec attention l’activité de l’EMA depuis son origine (1995). Les intérêts industriels y sont en permanence puissamment défendus. Pour assurer une politique équilibrée, il faut que l’EMA soit davantage sensible aux intérêts des patients et à la protection de la santé publique. Nous ne prendrons qu’un seul exemple récent.
En 2010, l’EMA a annoncé une politique volontariste de transparence et d’accès public aux données sur lesquelles l’agence base ses avis, qui intéressent la santé des Européens. Cette politique était en phase avec une évolution internationale inéluctable de transparence. En phase aussi avec ce que les eurodéputés et le Conseil européen ont voulu dans le cadre du nouveau règlement sur les essais cliniques. À la stupéfaction des observateurs et des acteurs les plus impliqués dans cette évolution positive, la position de l’EMA s’est retournée de manière spectaculaire au cours des derniers mois, concomitamment avec la prise de fonction à l’agence d’un responsable juridique issu des firmes. L’EMA a aussi expliqué son revirement en disant qu’elle devait prendre en compte la position de la Commission dans le cadre des négociations commerciales transatlantiques en cours.
Ne pas sacrifier l’intérêt général. L’expérience prouve que l’intérêt général de la santé publique et les intérêts particuliers des firmes pharmaceutiques ne coïncident que si ces dernières sont orientées vers les besoins réels et prioritaires de santé, si elles sont obligées d’évaluer suffisamment leurs médicaments et si elles sont contrôlées dans leurs activités marketing. Trop de médicaments mis sur le marché européen ne représentent pas de progrès tangible pour les patients, voire sont de véritables régressions.
M. le Président Juncker, rapprocher encore davantage l’EMA des firmes met en danger la protection de la santé des citoyens européens. Nous avons l'impression que votre décision a été prise sous l'influence d'intérêts commerciaux, mais il vous est encore possible d'en prendre une meilleure, mieux tournée vers l'avenir, dans l’intérêt des patients européens et de la santé publique.
Nous comptons sur vous et le monde entier vous regarde.
Fiona Godlee, rédactrice-en-chef du British Medical Journal
Bruno Toussaint, directeur de la revue Prescrire
©BMJ, Prescrire 16 septembre 2014