Paris, le 31 décembre 2012
Réponse à une consultation publique de l'EMA
• Dans sa réponse à la consultation de l'Agence européenne du médicament (European Medicines Agency, EMA) relative à la révision du guideline concernant les médicaments à visée amaigrissante (1), Prescrire rappelle l'importance du principe : « d'abord ne pas nuire ». En effet, une perte de quelques kilogrammes avec le recours à un médicament ne peut suffire à justifier de faire courir des risques d'effets indésirables disproportionnés aux patients obèses ou en simple surpoids, et cela d'autant moins que ces kilos sont très souvent repris en quelques mois après l'arrêt du traitement.
• Tirant les leçons des désastres dus notamment aux médicaments aux propriétés anorexigènes, dont la sibutramine (Sibutral°) et le benfluorex (Mediator°), et au rimonabant (Acomplia°), Prescrire encourage l'Agence européenne du médicament à renforcer ses exigences afin que des médicaments amaigrissants plus dangereux qu'utiles ne puissent plus être autorisés en Europe.
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Prescrire soutient l'initiative de l'Agence européenne du médicament qui propose de réviser le guideline relatif aux médicaments à visée amaigrissante (1,2).
En effet, ce guideline, adopté en 2007 par le Comité des médicaments à usage humain de l'Agence (Committee for Medicinal Products for Human Use, CHMP), s'est révélé insuffisant pour protéger les patients européens obèses ou en simple surpoids des effets indésirables de plusieurs médicaments qui ont depuis été retirés du marché car s'étant avérés plus dangereux qu'utiles (a)(2).
De nombreux médicaments à visée amaigrissante sont en cours de développement, certains à des stades très avancés comme l'inquiétante association phentermine + topiramate ou des substances amphétaminiques (b,c).
Dans ce contexte, la révision de ce guideline est particulièrement nécessaire afin de permettre au CHMP de produire des recommandations solides pour protéger les patients des médicaments en réponse aux demandes d'autorisations de mises sur le marché (AMM) des firmes.
Prescrire attire notamment l'attention du CHMP sur la nécessité d'être particulièrement vigilant dans l'évaluation des demandes d'extensions d'indications au traitement de l'obésité pour des médicaments déjà autorisés dans d'autres indications.
Médicaments à visée amaigrissante : une place limitée dans le traitement de l'obésité, et des risques d'abus
L'obésité est de plus en plus fréquente dans les pays riches, s'accompagnant parfois de troubles du comportement alimentaire, et entraîne une morbimortalité (3,4). Afin de prévenir les complications de l'obésité, notamment cardiovasculaires, la prise en charge est centrée sur des mesures devant favoriser l'amaigrissement : un régime équilibré et modérément hypocalorique, une activité physique régulière et modérée, et un soutien personnalisé, notamment psychologique (4).
De plus, en pratique quotidienne, les médicaments à visée amaigrissante sont souvent prescrits à des patients en simple surpoids, y compris hors indication officielle, souvent afin de soulager un mal-être lié à leur apparence physique. Le nombre de personnes exposées aux effets indésirables de ces médicaments est très supérieur au nombre de patients obèses. Ainsi, le benfluorex (Mediator°) a été largement prescrit et utilisé hors indication de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) comme anorexigène pendant plus de 30 ans jusqu'à son retrait du marché français et européen en 2009 ; il a été estimé comme étant à l'origine de centaines de morts en France et de milliers d'atteintes des valves cardiaques à des stades plus ou moins avancés (5).
L'autorisation de mise sur le marché d'un médicament à visée amaigrissante doit prendre aussi en compte son utilisation inévitablement abusive, comme traitement amaigrissant de "confort". Cette large utilisation des anorexigènes impose que les anorexigènes ne soient autorisés que s'il existe des preuves solides de leur absence d'effets indésirables graves, notamment lors d'une prise prolongée.
Évaluation de l'efficacité : exiger la démonstration d'une diminution de la morbimortalité
Le poids est un critère de surveillance utile notamment dans certaines situations (hypercholestérolémie, diabète). Mais dans la prévention des complications de l'obésité il s'agit seulement d'un critère intermédiaire dont la corrélation avec le devenir clinique est mal établie. Notamment, on ne sait pas quel est le seuil de perte de poids qui peut être considéré comme pertinent. De plus, si la perte de poids ne se maintient pas à l'arrêt du médicament, l'éphémère amaigrissement n'aura aucune répercussion clinique tangible pour les patients.
En ce qui concerne la prévention des complications de l'obésité, une perte de poids de quelques kilogrammes (par exemple 5 % de réduction du poids) ne peut pas être acceptée comme critère principal d'évaluation. La révision du guideline relatif aux médicaments à visée amaigrissante (section 3.6. "Strategy and design of clinical studies") doit ajouter l'exigence d'un suivi au long cours des patients après l'arrêt du traitement pour évaluer la persistance ou non des effets du traitement (4).
En ce qui concerne la prévention des complications de l'obésité, le dossier d'évaluation clinique doit nécessairement comporter des essais comparatifs avec comme critère d'évaluation principal la mortalité et la diminution de la fréquence ou de la gravité des complications de l'obésité, telles que des accidents cardiovasculaires. Cette évaluation de la morbimortalité nécessite un suivi des patients lors des essais cliniques sur au moins 5 années avant demande d'AMM, puis un suivi à moyen terme (étude d'efficacité post-AMM) sur au moins 5 années supplémentaires.
En ce qui concerne le choix des comparateurs, il est important de souligner que les médicaments visant à une perte de poids ne peuvent venir qu'en complément d'une prise en charge hygiéno-diététique. En l'absence d'une telle prise en charge hygiéno-diététique, les patients reprennent souvent en effet les kilos perdus en quelques semaines ou mois après l'arrêt du médicament, ce qui annihile toute répercussion clinique bénéfique tangible (4). La révision du guideline relatif aux médicaments à visée amaigrissante (section 3.6. "Strategy and design of clinical studies") doit préciser les comparateurs les plus pertinents pour évaluer un nouveau médicament à visée amaigrissante : l'évaluation doit être réalisée versus mesures non médicamenteuses (soit associant régime équilibré et modérément hypocalorique, activité physique régulière et modérée, et soutien personnalisé ; soit anneau gastrique ou autre dispositif médical éprouvé) ou versus autre médicament dont l'efficacité sur la morbimortalité a déjà été démontrée avec une balance bénéfices-risques favorable, ou versus des associations de ces traitements.
Évaluation des effets indésirables : approfondie avant mise sur le marché afin d'"au moins ne pas nuire", puis surveillance intensive nécessaire
Les effets indésirables des médicaments à visée amaigrissante doivent être recherchés de manière proactive lors des essais cliniques. La révision du guideline relatif aux médicaments à visée amaigrissante (section 3.7. "Safety aspects") doit bien sûr ajouter la nécessité de rechercher les effets indésirables cardiovasculaires (échographies cardiaques, etc.) et neuropsychiques (notamment idées suicidaires et suicides, dépressions), a fortiori quand les substances étudiées ont des propriétés anorexigènes. Une telle recherche aurait permis de détecter plus tôt les risques suicidaires liés au rimonabant (Acomplia°) (6).
Cependant, une recherche plus globale de l'ensemble des effets indésirables est nécessaire. Afin d'aider les fabricants à déterminer l'ensemble des critères d'évaluation des effets indésirables à étudier lors des essais cliniques, une synthèse des divers mécanismes d'effets indésirables connus avec les médicaments à visée amaigrissante, notamment les anorexigènes, et des effets indésirables des pertes de poids rapides, doit figurer en annexe de la révision du guideline.
La révision du guideline devrait au moins lister les effets indésirables des médicaments amaigrissants déjà commercialisés, en mettant à jour cette liste au fur et à mesure que ces effets sont connus : par exemple, les insuffisances rénales et les pancréatites, effets indésirables de l'orlistat non décrits dans son dossier d'évaluation initial en 1997, devraient désormais être systématiquement recherchés lors des essais cliniques de tous les médicaments amaigrissants (7).
La révision du guideline relatif aux médicaments à visée amaigrissante devrait insister sur la nécessité de bannir l'emploi simultané de synonymes lors du codage des effets indésirables, aboutissant à une dispersion de l'enregistrement des effets indésirables dans différentes catégories et à une diminution de l'incidence de l'effet indésirable recherché (d). Mieux, la révision du guideline relatif aux médicaments à visée amaigrissante devrait proposer quelques modalités de codage pertinentes devant permettre de minimiser ce risque de dilution, en particulier quand en pratique différentes modalités de codage peuvent être utilisées pour un effet indésirable donné.
La révision du guideline relatif aux médicaments à visée amaigrissante doit aussi exiger l'évaluation des risques :
- d'interactions des médicaments à visée amaigrissante testés avec des médicaments d'usage fréquent chez les patients obèses (médicaments antidiabétiques, médicaments antidépresseurs, etc.) ;
- d'addiction aux médicaments à visée amaigrissante par leur effet propre, avec éventuellement des syndromes de sevrage, ou par leur effet sur la perte de poids, étant donné qu'on s'attend à une utilisation par des patients à risque, notamment dans le cadre de troubles du comportement alimentaire.
De plus, la révision du guideline doit tirer les leçons des désastres médicamenteux dus aux anorexigènes (8) : une surveillance renforcée des effets indésirables des médicaments à visée amaigrissante pendant au moins 5 ans après obtention de l'AMM est nécessaire. Mais ces études dites de "sécurité" post-autorisation ne doivent pas servir de prétexte à l'autorisation de médicaments dangereux insuffisamment évalués, ni servir au maintien sur le marché de médicaments dangereux le temps d'obtenir les résultats d'une telle étude comme cela a été le cas avec la sibutramine ou le rimonabant (a). En cas de suspicion d'effet indésirable, en particulier en ce qui concerne les médicaments à visée amaigrissante dont l'efficacité sur la morbimortalité n'est pas démontrée, le doute doit toujours bénéficier aux patients et les nécessaires mesures de protection de la santé publique doivent être prises de manière réactive.
Prescrire encourage l'Agence européenne du médicament à renforcer ses exigences afin que les nouveaux guidelines représentent une avancée tangible par rapport à ceux de 2007.
Fin 2012, il est temps de tirer les leçons des désastres médicamenteux dus aux anorexigènes, dont la sibutramine (ex-Sibutral°) et le benfluorex (ex-Mediator° ou autre), et au rimonabant (ex-Acomplia°) et de ne plus exposer les patients européens aux effets indésirables de médicaments amaigrissants plus dangereux qu'utiles.
©Prescrire Décembre 2012
Notes :
a- Par exemple :
- la sibutramine (ex-Sibutral°), substance aux propriétés anorexigènes, a été retirée du marché européen en 2010, en raison notamment de risques augmentés d'infarctus du myocarde et d'accidents vasculaires cérébraux. Il aura fallu attendre 9 ans et les résultats d'une étude de surveillance post-AMM chez 10 000 patients commencée en 2002 pour que cette décision soit enfin prise (réf. 9) ;
- en 2008, après plusieurs mois d'atermoiements suite aux résultats accablants d'études post-AMM (ajout de nouvelles contre-indications, puis de nouvelles mises en garde et mesures de surveillance), le rimonabant (ex-Acomplia°) a été retiré du marché européen, sa balance ayant enfin été reconnue comme défavorable dans le traitement des patients obèses ou en surpoids avec facteurs de risque par l'Agence européenne du médicament en raison notamment de risques augmentés de suicides (réfs. 6,10).
Quant à l'orlistat (Xenical°, Alli°), encore commercialisé en Europe fin 2012, son profil d'effets indésirables ne cesse d'inquiéter au fil des modifications d'AMM (alias variations), avec une liste d'effets indésirables graves qui s'allonge (hépatites, pancréatites, néphropathies à l'oxalate) et un profil d'interactions médicamenteuses chargé. Autre facteur de risque, l'orlistat est disponible sans ordonnance pour l'automédication dans l'Union européenne (refs. 4,7).
b- L'AMM pour l'association phentermine + topiramate a été refusée en juillet 2011 par l'agence étatsunienne (Food and Drug Administration, FDA), avant d'être accordée un an plus tard, en juillet 2012, suite à un avis d'une commission consultative (advisory committee) devenu positif. En Europe, le CHMP a émis un avis défavorable en octobre 2012 en raison d'un profil d'effets indésirables chargé rendant la balance bénéfices-risques de cette association défavorable (réf. 11). La firme déclarait avoir l'intention de faire appel de cette décision, comme cela se pratique souvent dans l'espoir qu'un avis négatif du CHMP puisse devenir positif. Le CHMP devrait se prononcer au premier trimestre 2013.
c- L'obésité représente une opportunité commerciale majeure pour les firmes pharmaceutiques : selon certains analystes, un médicament utilisé par 1 % des patients obèses génèrerait déjà plus d'un milliard de dollars de chiffre d'affaires (réf. 3).
Fin 2012, différents projets sont à des stades variables, par exemple :
- après un avis défavorable en 2010, la lorcasérine, une substance psychotrope, a été autorisée aux Etats-Unis d'Amérique en 2012 ; elle est en cours d'évaluation par l'EMA ;
- une demande auprès de la FDA pour l'association bupropione (alias amfébutamone) + naltrexone a été annoncée pour 2013 ; la firme a par contre renoncé à demander une AMM pour l'association bupropione (alias amfébutamone) + zonisamide (Empatic°) ;
- la lisdexamfétamine est en cours d'évaluation clinique (essais de phase III) dans le désordre alimentaire (réf. 3) ;
- le liraglutide (Victoza°), un antidiabétique, est en cours de développement dans l'obésité ;
- sans compter les médicaments utilisés hors AMM dans l'obésité tel que par exemple des antidiabétiques comme l'exénatide (Byetta°) ou tel que c'était le cas pour le benfluorex.
d- Par exemple, le risque accru de suicide chez les enfants avec les antidépresseurs IRS (paroxétine : Seroxat°, Deroxat°) a pu être longtemps dissimulé car codé soit comme "hospitalisation", soit comme "labilité émotionnelle", etc.
Références :
1- European Medicines Agency – Committee for Medicinal Products for Human Use "Concept paper on the need for revision of the guideline of medical products used in weight control" London, 20 September 2012 (ref. EMA/CHMP/229823/2012) : 3 pages.
2- European Medicines Agency – Committee for Medicinal Products for Human Use "Guideline on clinical evaluation of medicinal products used in weight control" London, 15 November 2007 (Doc. Ref. CPMP/EWP/281/96 Rev.1) : 9 pages.
3- Mullard A "Anti-obesity drugs: an inventor's perspective" SCRIP intelligence 20 November 2009 : 5 pages.
4- Prescrire Rédaction "Orlistat à demi dose sans ordonnance (Alli°)" Rev Prescrire 2009 ; 29 (305) : 175.
5- Prescrire Rédaction "Benfluorex : combien de morts ?" Rev Prescrire 2011 : 31 (327) : 21.
6- Prescrire Rédaction "rimonabant : suicides et dépressions" Rev Prescrire 2007 ; 27 (287) : 676.
7- Prescrire Rédaction "orlistat – Xenical°. Gare à la précipitation" Rev Prescrire 1999 ; 19 (194) : 243-249.
8- Prescrire Rédaction "La saga des anorexigènes amphétaminiques" Rev Prescrire 2003 ; 23 (243) : 672 – 676.
9- Prescrire Rédaction "Sibutramine: cardiovascular events" Prescrire Int 2010; 19 (107): 125.
10- Prescrire Rédaction "Rimonabant (Acomplia°). Obésité : quelques kilos en moins mais trop d'inconnues" Rev Prescrire 2006 ; 26 (273) : 405-409.
11- European Medicines Agency – Committee for Medicinal Products for Human Use "Refusal of the marketing authorisation for Qsiva (phentermine / topiramate) – Questions and answers"London, 18 October 2012 (ref. EMA/666052/2012 - EMEA/H/C/002350) : 2 pages.
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