Communiqué de presse conjoint
7 décembre 2010
De nombreux désastres de santé publique rappellent sans cesse la nécessité d´une pharmacovigilance efficace et proactive (a). En 2010, en France, l’affaire benfluorex
(Médiator°) l’illustre parfaitement. Au moins 500 décès sont liés à un inacceptable retard de prise de décision devant permettre de protéger la santé publique (b).
Le 21 septembre 2010, le Parlement européen a adopté les propositions de textes relatifs à la pharmacovigilance (une Directive et un Réglement). Ces textes ont ensuite été adoptés par le Conseil des Ministres de la Santé des États membres le 29 Novembre 2010 (1).
Des propositions initiales dangereuses, améliorées par les députés européens
Les propositions de la Commission européenne sur la pharmacovigilance préparaient une régression majeure de la protection de la population européenne :
- généralisation d’autorisations de mises sur le marché (AMM) au rabais, avec l’illusion des “plans de gestions du risque” en réalité utilisés par les firmes pour mettre trop tôt sur le marché des médicaments trop peu évalués (c) ;
- recueil et interprétation des données sur les effets indésirables de leurs produits confiés aux firmes pharmaceutiques, malgré leur conflit d’intérêts.
Grâce à la mobilisation de la société civile et aux nombreux amendements adoptés en Commission Environnement, santé publique et sécurité alimentaire (ENVI) du Parlement européen, les propositions initiales de la Commission européenne ont été bien améliorées. Parmi les progrès :
- clarification quant au rôle des plans de gestion du risque, dont il est désormais spécifié qu’ils ne doivent pas servir de prétexte à la généralisation d'AMM prématurées ;
- renforcement de l’autorité du nouveau Comité européen de gestion des risques en matière de pharmacovigilance par rapport aux Commissions des Agences chargées des autorisations de mises sur le marché (Commission des produits de santé (CHMP) et groupe de coordination pour les reconnaissaces mutuelles et les procédures décentralisées (CMDh)) ;
- droit des patients de notifier les effets indésirables des médicaments dans tous les États membres ;
- notifications des patients aux autorités de santé et non plus aux firmes comme initialement prévu ;
- ordres du jour et comptes rendus détaillés des réunions des Comités de l'Agence européenne du médicament (EMA) rendus publics, mais toujours pas d’accès public au contenu de la base de données communautaire sur les effets indésirables des médicaments (Eudravigilance).
Cependant, deux régressions majeures ont persisté :
- la fin de l’obligation de financement public des systèmes de pharmacovigilance par les États membres, ce qui met en péril l’indépendance des systèmes de pharmacovigilance (d) ;
- l’enregistrement et le codage des effets indésirables directement par les firmes dans la base de données européenne Eudravigilance, avec le risque que les cas cliniques soient dénaturés donc deviennent ininterprétables (e).
Une occasion manquée de réellement renforcer le système européen de pharmacovigilance
Les propositions adoptées manquent d’ambition : elles ne constituent pas la refonte du système qui aurait été nécessaire.
Renforcer la sécurité des patients impose :
- de conditionner l’octroi d’une autorisation de mise sur le marché par les autorités sanitaires à la démonstration d’un progrès thérapeutique tangible pour les patients, comparativement au traitement de référence, afin de cesser d’exposer les patients aux risques de nouveaux médicaments sans valeur ajoutée et aux effets indésirables méconnus ;
- la mise en place d’un système incitant plus fortement les professionnels de santé à systématiquement notifier les effets indésirables observés, en particulier quand il s’agit d’effets indésirables graves, même si ceux-ci sont déjà connus ; l’objectif doit en effet être de mieux connaître la fréquence de la survenue des effets indésirables « dans la vraie vie » afin de prendre les décisions de protection de la santé publique qui s’imposent lors de réévaluations rigoureuses de la balance bénéfices-risques ;
- beaucoup plus de transparence sur les données de pharmacovigilance afin de permettre des analyses et alertes indépendantes, afin de permettre le développement d’une pharmacovigilance plus proactive ;
- des décisions des autorités sanitaires adaptées et réactives, en particulier de la part de l’Agence européenne du médicament (EMA) en cas de procédure dite d’urgence. L’objectif premier des autorités sanitaires doit être la protection de la santé publique (f).
La sécurité des patients, une priorité en termes de santé publique
Les dégâts liés à des médicaments anciens mais dangereux doivent cesser (par exemple, décès liés aux amaigrissants benfluorex (ex-Mediator°) et sibutramine (ex-Sibutral°), respectivement retirés du marché européen en novembre 2009, après 30 années de commercialisation en France, et en mars 2010, après 9 années de commercialisation en Europe). Et la multiplication de nouvelles affaires de pharmacovigilance de grande ampleur (Vioxx°, Accomplia°, Avandia°, etc.) ne doit pas se poursuivre. C’est pourquoi nous demandons d’ores et déjà à la Direction Générale de la santé et des consommateurs de la Commission européenne de proposer rapidement des mesures plus ambitieuses.
Afin de réellement renforcer la sécurité des patients européens, les priorités pour la Commission européenne doivent être :
- renforcer la qualité de l’évaluation des médicaments avant leur mise sur le marché ;
- renforcer l’indépendance des autorités sanitaires, afin de leur permettre de mieux exercer leurs missions de santé publique, notamment l’évaluation et la réévaluation de la balance bénéfices-risques des médicaments.
Health Action International (HAI) Europe
Collectif Europe et Médicament (Medicines in Europe Forum, MiEF)
International Society of Drug Bulletins (ISDB)
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©Collectif Europe et Médicament 7 décembre 2010
Notes:
a - Par exemple : les malformations ayant touché les enfants de femmes exposées pendant la grossesse au thalidomide dans les années 1960 et au D.E.S. (Distilbène°) dans les années 1970 ; les effets indésirables cardiovasculaires liés à l’anti-inflammatoire rofécoxib (ex-Vioxx°, retiré du marché européen en 2004) ou au médicament antidiabétique rosiglitazone (Avandia°, médicament dont l’Agence européenne a finalement recommandé le retrait du marché en 2010), les effets indésirables psychiques (en particulier risque accru de suicides) liés au médicament amaigrissant le rimonabant (ex-Accomplia°, retiré du marché européen en 2008), etc.
b - Le benfluorex (Médiator°) est un médicament indiqué en adjuvant des traitements du diabète dont l’efficacité n’était pas bien démontrée. Cette substance amphétaminique a en réalité été longtemps largement utilisé comme amaigrissant. Il aura fallu la détermination d’une pneumologue française ayant mené une étude cas-témoin pour que la décision du retrait du benfluorex (Médiator°) du marché français et européen soit prise, alors que ses effets indésirables gravissimes (à l’origine d’au moins 500 morts en France, en particulier suite à des déformations des valves cardiaques) ont été dissimulés pendant très longtemps !
c - Ces AMM prématurées font porter au grand public les risques sanitaires d’un essai clinique à grande échelle.
d - L’expérience a montré les limites du financement des Agences des produits de santé par les redevances des firmes. Les Agences se trouvent en position de prestataires d’abord au service de leurs clients, les firmes pharmaceutiques, position incompatible avec leur mission de protection de la santé des populations.
e - Un passage obligé par les systèmes de pharmacovigilance des États membres aurait permis aux autorités compétentes des États membres :
- d’avoir une vision claire des effets indésirables survenant sur leur territoire ;
- d’être en mesure de mettre à jour leur base de données nationale ;
- de rendre ces informations accessibles à leurs populations dans leur langue.
Le fait que les notifications telles qu’enregistrées dans la base Eudravigilance par les firmes pharmaceutiques fassent l’objet, en parallèle, d’un envoi aux autorités compétentes des États membres est insuffisant car les données risquent d’être ininterprétables.
f - Leurs décisions doivent être notamment basées sur la réévaluation régulière et indépendante de la balance bénéfices-risques des médicaments, même ceux autorisés depuis longtemps, sur la base d’indicateurs chiffrés (par exemple fréquence donnée d’un effet indésirable connu ou suspecté devenue supérieure à ce qui avait paru "acceptable" lors de l’octroi de l’autorisation de mise sur le marché).
Références :
1. - “Council acts against adverse effects of medicines” Press release, Brussels, 29 November 2010. http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/en/lsa/118080.pdf