Réorganisation de la pharmacovigilance en Europe :
bilan de la réglementation adoptée en 2010 et complétée en 2012.
Fin 2010, une nouvelle réglementation de la pharmacovigilance dans l’Union européenne a été adoptée. Elle a été complétée fin 2012 suite au désastre Mediator° survenu en France.
Cette nouvelle réglementation permet-elle de mieux protéger les patients ? Quelles en sont les conséquences pratiques pour les différents acteurs de santé ?
Réponses dans le dossier "Réorganisation de la pharmacovigilance européenne", publié dans Prescrire en deux parties (en juillet puis septembre 2014) :
Partie 1 : Pharmacovigilance européenne : sous-traitance accrue aux firmes
Approche quantitative privilégiée, au risque d'affaiblir l'analyse clinique et pharmacologique des notifications spontanées par des équipes indépendantes, notamment de centres de pharmacovigilance, dont le financement est fragilisé ; un suivi des effets indésirables des médicaments laissé aux firmes, juges et parties
Résumé
- Une nouvelle réglementation réorganisant la pharmacovigilance au niveau européen a été adoptée fin 2010, puis modifiée en 2012 suite au désastre Mediator.
- Les propositions initiales de la Commission européenne, rendues publiques en 2008, préparaient une régression majeure de la protection de la population européenne, notamment en facilitant des autorisations de mise sur le marché plus précoces de médicaments.
- La mobilisation de la société civile a permis des améliorations apportées par les députés européens et soutenues par les ministres de la santé des États membres.
- Le rôle du nouveau Comité européen de pharmaco vigilance (en anglais Pharmacovigilance Risk Assessment Committee, PRAC) a été renforcé.
- Dans tous les États membres, les patients ont le droit de notifier des événements indésirables directement aux autorités sanitaires.
- Les obligations de transparence des agences et l'information du public sur les effets indésirables ont été renforcées.
- Cependant, une régression majeure persiste : la place centrale donnée aux firmes dans le recueil et l'interprétation des notifications d'effets indésirables, malgré leur conflit d'intérêts.
- Il est demandé aux firmes d'enregistrer elles-mêmes les notifications d'effets indésirables, dont elles ont connaissance, dans une méga-base européenne de données (Eudravigilance), sans passer par les agences.
- Les firmes restent chargées de produire « une évaluation scientifique du rapport bénéfices/risques » de leur médicament dans le cadre des rapports périodiques d'évaluation bénéfices-risques qu'elles doivent remettre aux agences du médicament. Ces rapports sont analysés par deux États membres pour l'ensemble de l'Union européenne (un rapporteur et un co-rapporteur) en vue d'une prise de décisions harmonisées. Mais ces décisions se prennent sur la base de données préanalysées par les firmes.
- De plus, le paiement de redevances à l'Agence européenne du médicament par les firmes en échange de ces évaluations crée une relation de dépendance financière.
- En 2012, suite au désastre Mediator° en France, quelques mesures modestes ont complété la réglementation européenne adoptée fin 2010. Il s'agissait surtout d'harmoniser les décisions prises en urgence par les États pour des motifs de pharmacovigilance.
- La nouvelle législation européenne a été transposée en droit français notamment par la loi dite de “Sécurité du médicament” adoptée fin 2011 et par ses décrets d'application.
- Dans chacun des États membres, les autorités sanitaires régionales et nationales ont un rôle important à jouer pour faire remonter les signaux de pharmacovigilance vers les instances décisionnelles européennes. Et pour une pharmacovigilance forte, mobiliser les soignants, les patients et leur entourage pour notifier est crucial.
- Enfin, il ne faudrait pas que le développement d'une approche quantitative et centralisée conduise à exclure l'analyse clinique et pharmacologique des notifications spontanées par des équipes indépendantes, notamment dans les centres de pharmacovigilance.
Rev Prescrire 2014 ; 34 (369) : 536-544.
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Partie 2 : Des notifications spontanées aux réévaluations et décisions des agences
Transmettre l'information du terrain aux instances nationales et européennes, agir au niveau local et national
Résumé
- Malgré une sous-notification importante, les notifications spontanées restent le fondement de la pharmacovigilance. Quand leur spécificité est grande, une petite série de cas correctement documentés peut suffire à alerter.
- En France, notifier aux centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) permet une analyse qualitative des signaux de pharmacovigilance, afin de les faire passer du terrain à l'instance décisionnelle nationale, l'Agence française des produits de santé (ANSM). Avec ces éléments, l'Agence française peut alors protéger les patients en prenant des mesures de son ressort ou en déclenchant une procédure européenne.
- Quand une décision nationale concerne un médicament commercialisé dans plusieurs États membres de l'Union européenne, une procédure d'“harmonisation” aboutit à une décision prise au niveau communautaire, valable pour l'ensemble des États membres. Ainsi, certaines décisions permettant de protéger la population de l'ensemble des États membres résultent d'une alerte donnée par un État membre. Inversement, d'autres décisions européennes peuvent contraindre des agences nationales à accepter le retour sur le marché de médicaments dont elles avaient demandé le retrait pour protéger la population.
- Les négociations avec les autres États membres, l'Agence européenne du médicament (EMA) et la Commission européenne nécessitent d'apporter des données solides : raison de plus pour disposer d'une base de données de pharmaco vigilance nationale performante, dont le contenu soit publiquement accessible, ce qui n'est pas encore le cas en France en 2014. Raison de plus aussi pour les soignants et les patients de notifier les effets indésirables pour alimenter les bases de données nationale et européenne.
Rev Prescrire 2014 ; 34 (371) : 692-697.
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©Prescrire Novembre 2014