Brûler des étapes

Quand on modifie en même temps plusieurs éléments d'une recette de cuisine (ajout ou retrait d'ingrédients, variations du temps ou du mode de cuisson, etc.), comment savoir laquelle des modifications a influencé le résultat final ? Agir par étapes est probablement plus efficace pour y voir clair, savoir et comprendre ce qu'on fait, et réussir à reproduire le succès.

Ce principe devrait aussi prévaloir dans le domaine de la recherche clinique, ce qui est loin d'être toujours le cas. Par exemple, en traitement de première ligne de certains cancers urothéliaux, le traitement de premier choix était jusqu'alors une chimiothérapie contenant un sel de platine. Dans un essai, l'association enfortumab védotine (Padcev°) + pembrolizumab (Keytruda°) a été plus efficace que ce traitement de premier choix pour allonger la durée médiane de survie (lire aussi "enfortumab védotine (Padcev°) + pembrolizumab (Keytruda°) dans des carcinomes urothéliaux inopérables ou métastasés"). Mais en l'absence d'évaluation de ces substances en monothérapie, et aussi en l'absence d'évaluation de l'ajout du pembrolizumab à une chimiothérapie contenant un sel de platine, on ne connaît pas l'apport de chacun des médicaments sur ce résultat. En pratique, cet essai incite à utiliser les deux médicaments ensemble, alors que ce n'est peut-être pas le meilleur choix.

Un autre exemple dans ce numéro avec le pembrolizumab dans certains cancers bronchiques non à petites cellules (lire aussi "pembrolizumab (Keytruda°) uniquement après la chirurgie, ou avant et après la chirurgie, dans certains cancers bronchiques"). L'évaluation d'emblée d'une administration avant et après la chirurgie ne permet pas de savoir si cette modalité de traitement est réellement un progrès par rapport à une administration uniquement avant la chirurgie. En pratique, cela incite à toujours utiliser le pembrolizumab à la fois avant et après la chirurgie, peut-être par excès.

En laissant les firmes pharmaceutiques conduire de tels essais, qui servent leur intérêt à court terme, quitte à brûler des étapes, les autorités sanitaires compromettent la qualité des soins et négligent l'intérêt général.

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