Mediator° : la norfenfluramine au cœur du procès

Le jugement dans le procès pénal Mediator° est attendu fin mars 2021, douze ans après le retrait du marché français de ce médicament qui a causé la mort de plusieurs centaines de personnes par hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) ou par valvulopathie (1).

Le benfluorex, une fenfluramine comme les autres

Une des questions-clés du procès est de déterminer à partir de quand la firme Servier a su que le benfluorex pouvait entraîner des HTAP (a).

Le benfluorex (ex-Mediator°), la fenfluramine (ex-Pondéral°) et la dexfenfluramine (ex-Isoméride°) sont des fenfluramines mises au point par la firme Servier à partir des années 1960, en s'inspirant de la norfenfluramine, un dérivé fluoré de l'amfétamine, aux propriétés surtout anorexigènes (2,3).

Des HTAP dues aux anorexigènes amphétaminiques (autres que les fenfluramines) sont rapportées depuis la fin des années 1960 (1,2). Avec la fenfluramine, cet effet a été attesté chez le rat par un chercheur de Servier en 1971 (2). Des cas d'HTAP sous dexfenfluramine et fenfluramine ont été notifiés, notamment en France, et publiés dans des revues internationales à grande diffusion en 1981, 1992 et 1993. Un lien entre la fenfluramine et la dexfenfluramine et des HTAP a été confirmé en 1995 par l'étude Ipphs, commanditée par la firme Servier, ce qui a contribué à leur retrait du marché français en 1997 (2).

Le fait que les fenfluramines ont pour métabolite la norfenfluramine a été établi au milieu des années 1960 (2,3). En 1972, une publication de la firme Servier mentionne la norfenfluramine comme métabolite du benfluorex, lequel est d'ailleurs présenté sous son nom chimique de N-(2-benzoyloxyethyl) norfenfluramine (2).

Le benfluorex est métabolisé en norfenfluramine en quantité proche de celle mesurée avec les autres fenfluramines à leurs posologies respectives, selon l'étude Gordon, interne à Servier, de 1993 (3à5). Cette étude aurait été fournie à l'Agence française du médicament au plus tard en 1998 selon la firme, de manière incomplète selon l'Agence (4).

L'Agence mal informée ?

En somme, dès les années 1970, des données laissaient pressentir que le benfluorex avait principalement les mêmes propriétés que les autres amphétaminiques, dont la fenfluramine. Et dès le milieu des années 1990, il existait de forts arguments pour soupçonner le benfluorex d'entraîner des HTAP, au même titre que les autres fenfluramines.

Mais la firme Servier l'a maintenu sur le marché jusqu'en 2009, au moment où l'Agence française du médicament a enfin décidé le retrait du marché, après la révélation du désastre humain. Une agence dont certains responsables ont cru jusqu'au bout la firme quand elle affirmait que la norfenfluramine issue du benfluorex était produite en quantité négligeable ; voire n'était pas métabolisée de la même manière que la norfenfluramine issue des autres fenfluramines (4). L'« absurdité scientifique » de cette affirmation a été soulignée par une procureure (b).

Ces éléments expliquent à eux seuls pourquoi il est reproché à la firme et à l'Agence de ne pas avoir retiré le benfluorex du marché au plus tard au milieu des années 1990 (6).

©Prescrire

Notes

a- Un lien entre fenfluramines et valvulopathies a été découvert dans un second temps (réf. 1).

b- Citation issue de la prise de notes d'un rédacteur de Prescrire présent à l'audience lors du réquisitoire le 23 juin 2020.

Extraits de la veille documentaire Prescrire

1- Prescrire Rédaction "Désastre du Mediator° : beaucoup de temps perdu et de vies gâchées" Rev Prescrire 2019 ; 39 (432) : 782-784.

2- Bensadon AC et coll. "Enquête sur le Mediator - Rapport définitif" IGAS 2011 : 261 pages.

3- Lechat P "Propriétés pharmacologiques du benfluorex" Afssaps 31 décembre 2010 : 33 pages.

4- "Procès Mediator : l'ex-cheffe de la vigilance évoque une "confusion" autour des données de métabolisation du médicament" APMnews 20 novembre 2019 : 3 pages.

5- Prescrire Rédaction "Maître Charles Joseph-Oudin : "Un procès à visée prophylactique"" Rev Prescrire 2019 ; 39 (433) : 871-1-871-2.

6- "Mediator : Servier a manqué à son obligation de sécurité et de prudence, l'ANSM a fauté par négligence (procureure)" APMnews 25 juin 2020 : 3 pages.