Première marche

Pour construire des politiques publiques, il est précieux de pouvoir s'appuyer sur l'évaluation probante de premières expériences locales. Cela a été le cas en France avec le programme "Un chez-soi d'abord", permettant à des personnes à la rue souffrant de troubles psychiques sévères d'être accompagnées vers un logement et une réinsertion sociale. Expérimenté à partir de 2011 dans 4 villes, pendant 5 ans, il a ensuite été étendu progressivement à plus d'une trentaine de territoires en 2025, à la suite d'une évaluation approfondie (lire Prescrire n° 449 p. 207).

Une autre expérimentation locale, débutée en France en 2016, concerne les salles de consommation à moindre risque, renommées en 2022 "haltes soins addictions". Ces lieux sont conçus pour que des personnes en situation de précarité, aux parcours cabossés, très souvent sans logement ni droits sociaux, puissent consommer des drogues dans un cadre sécurisé et supervisé, en lien avec des équipes médico-sociales à même de les accompagner vers le soin et une réinsertion sociale. Deux associations, Gaïa à Paris et Ithaque à Strasbourg, ont développé ces lieux d'accueil, souvent contre vents et marées. Il s'agissait de surmonter à la fois les peurs d'une partie du voisinage et d'affronter les croyances résumées dans la diatribe simpliste du ministre de l'intérieur en 2021 : « La drogue ne doit pas être accompagnée mais combattue ».

De multiples évaluations, dont l'une réalisée par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), publiée en 2021, ont montré que ce dispositif a permis d'éviter de nombreuses contaminations et les coûts médicaux associés ; de sécuriser l'environnement immédiat en réduisant le nombre de seringues abandonnées dans la rue, et de construire une première marche vers le soin et la réhabilitation sociale (lire aussi "Haltes soins addictions : un blocage politique en France, malgré deux expérimentations probantes"). En somme, des résultats positifs en matière de soins et de santé publique.

Pourtant, ces deux haltes soins addictions en activité depuis maintenant près de 10 ans ont encore aujourd'hui un statut expérimental, précaire, à échéance fin 2025. D'autres projets similaires, à Lille, Marseille ou Bordeaux n'ont pas abouti, faute notamment d'accords politiques. Combien de temps encore faudra-t-il attendre pour sortir des partis pris idéologiques, et tirer des leçons des faits établis par une évaluation probante ?

Prescrire