Médicaments orphelins : règlement européen à corriger

En 2000, l'Union européenne, à la suite d'autres pays, a adopté un règlement encourageant les firmes à mettre sur le marché des médicaments dits orphelins dans le traitement de maladies rares (règlement CE 141/2000) (1). Dès 2006, les limites de ce règlement, et son utilisation abusive par certaines firmes étaient déjà manifestes (2). Des évaluations publiées en 2020 confirment ces défauts (3).

Machine à cash

Le règlement européen sur les médicaments orphelins vise à favoriser le développement de médicaments dans des situations où les firmes estiment qu'ils ne seraient pas assez profitables. Et ainsi à permettre à plus de patients atteints des maladies concernées d'accéder à un traitement (3). Mais rien n'empêche dans ce règlement de vendre les médicaments orphelins à un prix tellement élevé qu'ils deviennent inaccessibles à de nombreux patients, tout en étant une « machine à cash » pour les firmes (3).

Dès 2006, le cas de l'imatinib (Glivec°), avec presque 6 milliards de dollars de ventes cumulées, montrait qu'un médicament pouvait rapporter des sommes considérables en empilant successivement de nouvelles indications bénéficiant chacune du statut de médicament orphelin (2). En 2019, le chiffre d'affaires cumulé au fil des années de Glivec° dépassait ainsi les 43 milliards d'euros. Un autre médicament orphelin, le lénalidomide (Revlimid°), pulvérisait ce record, avec plus de 55 milliards d'euros. Neuf autres médicaments orphelins avaient dépassé chacun un chiffre d'affaires cumulé de 10 milliards d'euros (3).

La Commission européenne ouvre enfin les yeux

Face aux critiques grandissantes et au constat que de nombreux patients en Europe n'ont pas accès aux médicaments orphelins, la Commission européenne a réalisé un audit de cette politique (4,5).

La Commission se félicite que 142 médicaments orphelins aient été mis sur le marché depuis 2000 et que plus de 6 millions de patients au total y aient eu accès plus vite grâce au règlement (4). Mais elle reconnaît de nombreuses limites et faiblesses : seulement une vingtaine de médicaments orphelins sur les 131 encore sur le marché n'auraient pas été commercialisés sans ce règlement ; les médicaments orphelins sont surtout accessibles dans les pays les plus riches d'Europe ; trop de firmes se concentrent sur certains cancers et ignorent les maladies les plus rares ; certaines firmes profitent exagérément du règlement, notamment en multipliant des indications bénéficiant du statut de médicament orphelin car, hyperciblées pour un même médicament (22 médicaments) (4). La Commission propose donc de réviser certaines règles pour limiter les abus et recentrer la politique vers des maladies rares qui restent négligées (4).

Espérons que la Commission ne tarde plus à corriger résolument ce règlement, pour qu'il serve mieux l'intérêt des patients et évite des détournements de ressources publiques de santé vers des intérêts particuliers.

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Extraits de la veille documentaire Prescrire

1- Prescrire Rédaction "Médicaments orphelins. Le règlement européen enfin adopté" Rev Prescrire 2000 ; 20 (206) : 382-383.

2- Prescrire Rédaction "Médicaments pour des maladies rares : bilan contrasté en Europe" Rev Prescrire 2006 ; 26 (277) : 780-787.

3- Marselis D et Hordijk L "From blockbuster to "nichebuster" : how a flawed legislation helped create a new profit model for the drug industry" BMJ 2020 ; 370 : m2983 : 5 pages.

4- European Commission "Joint evaluation of Regulation (EC) No 1901/2006 of the European Parliament and of the Council of 12 December 2006 on medicinal products for paediatric use and Regulation (EC) No 141/2000 of the European Parliament and of the Council of 16 December 1999 on orphan medicinal products" 11 August 2020 : 109 pages.

5- European Commission "Study to support the evaluation of the EU Orphan Regulation - Final report" July 2019 : 414 pages.