D'ordinaire, la rencontre entre un professionnel de santé et une personne en demande de soins est focalisée sur l'état de santé de cette personne. La personne indique quelques "bribes" de son être au soignant, l'interroge et s'interroge sur des troubles, sur la manière d'être soulagée. Le soignant s'intéresse, fait préciser tel ou tel point, examine ou fait décrire le corps troublé, débrouille le contexte, mobilise ses connaissances, ses expériences, compatit, répond, cherche souvent à rassurer, encourage, propose une stratégie de soins, accompagne. Mais pour évaluer son action et la qualité de l'échange, le soignant est souvent seul.
Il est rare qu'une personne plongée dans la tourmente d'une maladie et de soins qui engagent sa vie, voire sa survie, prenne le temps et expose une analyse fine des échanges avec les soignants rencontrés. Cette analyse fine, c'est, entre autres, ce qu'apporte le podcast "Ma vie face au cancer", riche d'enseignements très utiles pour améliorer les échanges lors des soins (lire aussi "Ma vie face au cancer : le journal de Clémentine"). L'écoute de ce podcast va bien au-delà du récit de l'expérience singulière de Clémentine Vergnaud, jeune femme atteinte d'un cancer de très mauvais pronostic. Elle invite à prendre le temps de revisiter, sur pièces, les actes et les échanges, en particulier quand les enjeux de santé sont majeurs.
Dans cette description d'une relation soignants-soignée, le temps apparaît crucial. Le temps nécessaire à écouter et à se comprendre, à comprendre les symptômes énoncés, les non-dits, les questions qui n'appellent pas forcément de réponse. Le temps de se faire comprendre à l'aide de mots choisis et adaptés. Le temps d'échanger des gestes simples, parfois muets, mais riches de sens. Le temps de répéter les informations à mémoriser afin qu'elles soient entendues, digérées. Le temps de choisir le bon moment pour apporter une réponse, de prendre conscience que la personne n'est pas encore prête à entendre ou, au contraire, qu'une information est devenue urgente et décisive. Le temps de s'apercevoir que la personne a compris sans rien dire. Le temps des émotions, de la colère, de la résignation, de la peur. Le temps qui passe et fait changer, voire s'inverser, les priorités et les choix. Le temps de percevoir un décalage de perspective. Le temps de se rendre compte que le temps de la personne soignée est envahi de rendez-vous pour des examens et des soins, à concilier sans cesse. Le temps pour l'entourage. Le temps de récupération. Et bien d'autres temps encore…
Parfois perçu comme une contrainte ou difficile à mobiliser, le temps pris par ceux qui soignent est un déterminant majeur de la qualité humaine des échanges pour accompagner et soigner.