Révision législative européenne : un vote décevant des députés européens

Résumé

Les députés européens se sont prononcés en avril 2024 sur les propositions de la Commission européenne faites dans le cadre de la révision de la législation pharmaceutique européenne.

Globalement, les députés n'ont pas profité de l'occasion pour renforcer l'évaluation des médicaments et la sécurité des patients, même si certaines avancées sont à saluer.

Les députés européens se sont prononcés le 10 avril 2024 en séance plénière sur les propositions de la Commission européenne (une directive et un règlement) faites dans le cadre de la révision de la législation pharmaceutique européenne (alias paquet pharmaceutique) (lire aussi "Législation pharmaceutique européenne : trop d'occasions manquées par les députés") (1,2).

Nous présentons ci-dessous les votes du Parlement européen relatifs aux principaux amendements proposés par Prescrire (et souvent par d'autres acteurs de la société civile). Il ne s'agit pas d'une analyse exhaustive du vote des députés.

Des députés souvent trop favorables aux firmes

En plénière, les députés ont largement repris les amendements proposés par leurs rapporteurs.

Les amendements sur la proposition de directive soumis par la rapporteure (membre du principal parti européen, le Parti populaire européen) défendaient principalement les intérêts des firmes pharmaceutiques, dont elle avait rencontré de nombreux représentants (et très peu de la société civile) (a). Elle proposait notamment de renforcer la protection des données cliniques (et donc la durée de la vente sous monopole des médicaments) ; d'alléger les obligations des firmes relatives à l'évaluation de l'impact des médicaments sur l'environnement ; de permettre aux firmes de ne pas commercialiser leurs médicaments dans les pays qui ne présentent pas d'intérêt économique pour elles (3). Ces amendements et d'autres favorables aux intérêts des firmes pharmaceutiques ont été votés en séance plénière à une large majorité (1,2).

Le rapporteur de la proposition de règlement (membre de l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates) a proposé des amendements reflétant davantage les demandes de la société civile, dont il a rencontré de nombreux représentants. Il a présenté des amendements proches de ceux proposés par Prescrire (et d'autres associations de la société civile), dont certains ont été votés en séance plénière (1à4).

Des occasions manquées

En septembre 2023, Prescrire a proposé une liste d'amendements visant à améliorer les propositions de la Commission européenne sur plusieurs sujets majeurs pour la qualité des soins, notamment :

  • obligation de réaliser des essais comparatifs versus traitement de référence, quand il en existe, avant autorisation de mise sur le marché (AMM) (b) ;

  • refus de la réduction de 210 jours à 180 jours des délais d'évaluation par l'Agence européenne du médicament (EMA) et de l'abolition du renouvellement quinquennal des AMM qui seraient à risque pour les patients (3).

Le Parlement européen n'a pas voté d'amendements en ce sens, et donc non seulement n'a pas saisi l'occasion d'améliorer la qualité de l'évaluation clinique des médicaments avant mise sur le marché, mais a en plus accepté sa dégradation (1,2).

Prescrire avait proposé un amendement au règlement repris par le rapporteur, mais non voté en séance plénière, visant à limiter à des situations exceptionnelles les cas où l'EMA peut recourir au mode d'évaluation expérimenté lors de la pandémie de covid-19 (l'« examen en continu des données »), car l'expérience a montré que cela consommait beaucoup de ressources à l'Agence.

Prescrire avait aussi proposé un amendement au règlement repris par le rapporteur, mais non voté en séance plénière : refuser l'institutionnalisation d'un très haut niveau de dérogation législative, dite bacs à sable, qui permettrait à l'EMA et la Commission européenne de déroger aux règles standard d'AMM sans repasser par le processus législatif européen. Prescrire était aussi opposé aux AMM « temporaires d'urgence », estimant que les AMM conditionnelles suffisaient, mais aucun amendement n'a été déposé ni voté dans ce sens (2à4).

Prescrire et de nombreux représentants de la société civile étaient opposés à l'intégration dans le règlement des "bons (ou titres) de protection (ou d'exclusivité) des données transférables" (en anglais "transferable exclusivity voucher" (TEV)), supposés encourager le développement d'anti-infectieux prioritaires, mais au risque d'augmenter fortement les dépenses sur d'autres médicaments du fait de l'allongement du monopole de commercialisation de médicaments à fort chiffre d'affaires (c)(4). Aucun amendement allant dans ce sens n'a été voté (2).

La proposition de la Commission prévoyait une réduction de la durée de base de la protection des données cliniques, assortie de prolongations incitant à la réalisation d'essais versus traitement de référence, à la commercialisation dans tous les États membres, etc. Cette proposition, soutenue par Prescrire et de nombreuses autres associations, a été largement vidée de sa substance par le Parlement (amendements 196 et 199 à 207 de la directive proposée).

Des avancées bienvenues, à conserver ou à renforcer

Parmi les améliorations apportées par les députés européens, et demandées notamment par Prescrire, on peut noter les suivantes :

  • obliger les firmes à communiquer le montant des aides publiques indirectes dont elles bénéficient (crédits d'impôts), en plus des aides directes, en précisant les médicaments concernés ; centraliser ces données sur le site de l'EMA (amendements 169 à 173 à la directive proposée) ;

  • empêcher que les mêmes personnes qui au nom de l'EMA fournissent des avis scientifiques aux firmes puissent participer ensuite à l'examen des demandes d'AMM (amendements 176 et 177 au règlement proposé) ; assurer une transparence sur les avis scientifiques renforcés et des appuis règlementaires pour des médicaments prioritaires (amendement 180 au règlement proposé) ;

  • améliorer la qualité des informations dans les notices et sur les conditionnements (au niveau de chaque unité de dispensation pour les anti-infectieux) (amendements 184 et 186 à la directive proposée) ;

  • maintenir les notices destinées aux patients sous forme papier (sauf si une consultation préalable des patients, soignants et des autres parties prenantes concernées a été menée) (amendement 176 à la directive proposée) ; supprimer la possibilité pour la Commission européenne de décider seule de la disparition de la notice papier (amendement 180 à la directive proposée) ;

  • envisager au niveau européen l'obligation pour les firmes de constituer des stocks de médicaments critiques (dits d'intérêt thérapeutique majeur) pour en prévenir les pénuries (amendement 293 au règlement proposé) ; permettre aux États membres d'appliquer des sanctions en cas de non-respect de leurs « obligations liées à la disponibilité des médicaments » (amendements 347 et 363 au règlement proposé) ;

  • garantir à l'EMA un financement pour assurer ses obligations de transparence (amendements 23 et 340 au règlement proposé) ;

  • supprimer dans la directive la mention du droit (existant par ailleurs) des États membres à limiter ou interdire l'accès aux médicaments contraceptifs ou abortifs (amendement 85 à la directive proposée) ;

  • obliger les États membres à mettre en place des registres nationaux de transparence sur les avantages offerts aux personnes habilitées à prescrire des médicaments (amendement 298 à la directive proposée) (1,2).

Le Conseil se prononcera sur les deux textes courant 2024 et 2025, après quoi interviendra une négociation interinstitutionnelle entre le Conseil, le Parlement et la Commission (négociation dite trilogue).

©Prescrire

Notes

a- Cette députée européenne a été associée à une démarche visant à censurer ou modifier le rapport du Panel pour le futur de la science et de la technologie du Parlement européen portant sur le système de recherche et développement pharmaceutique. Ce rapport est favorable à un plus grand pilotage public du secteur pharmaceutique européen (réf. 5).

b- Un amendement (numéro 36) au projet de directive a bien été voté dans le sens d'une obligation de réaliser des essais comparatifs versus traitement de référence, quand il en existe, avant AMM, mais il concerne seulement un considérant de la directive, dont la teneur n'a pas été reprise dans un article (réf. 1).

c- Les "bons (ou titres) de protection (ou d'exclusivité) des données transférables" peuvent être utilisés par son détenteur pour un autre de ses médicaments, allongeant ainsi son monopole de commercialisation, ou vendus à une autre firme.

Extraits de la veille documentaire Prescrire

1- Parlement européen "P9_TA(2024)0220 - Code de l'Union relatif aux médicaments à usage humain. Résolution législative du Parlement européen du 10 avril 2024 sur la proposition de directive (…) et abrogeant la directive 2001/83/CE et la directive 2009/35/CE (…)" : 152 pages.

2- Parlement européen "P9_TA(2024)0221 - Procédures de l'Union pour l'autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et règles régissant l'Agence européenne des médicaments. Résolution législative du Parlement européen du 10 avril 2024 sur la proposition de règlement (…) modifiant le règlement (CE) nº 1394/2007 et le règlement (UE) nº 536/2014 et abrogeant le règlement (CE) nº 726/2004, le règlement (CE) nº 141/2000 et le règlement (CE) nº 1901/2006 (…)" : 173 pages.

3- Prescrire Rédaction "Révision de la législation pharmaceutique européenne" Rev Prescrire 2023 ; 43 (482) : 946.

4- Prescrire Rédaction "Révision de la législation pharmaceutique européenne (suite)" Rev Prescrire 2024 ; 44 (483) : 67.

5- Martuscelli C "Big Pharma lobbied MEP lovers days before drugs study was pulled offline" Politico 1er décembre 2023 : 7 pages.