Revue Prescrire, article en une, rofécoxib (Vioxx°) octobre 2004
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Vioxx° (rofécoxib)
Le retrait du marché mondial du rofécoxib n'est pas une surprise !
 
Une fois encore, il suffisait d'examiner objectivement les données disponibles pour prévoir le fiasco commun à l'ensemble des "coxibs", et pour ne pas exposer les malades de manière inconsidérée à des effets indésirables sans bénéfice potentiel.
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Anti-inflammatoires (AINS) du groupe des coxibs : attention aux risques cardiovasculaires

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Pour ne plus avoir à se déjuger - nouvel exemple cuisant : les "coxibs"

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Coxibs : des nouveautés qui ne tiennent pas leurs promesses
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Itinéraire mis à jour le 1er novembre 2004 (27 textes)

Un précédent : le retrait de la cérivastatine en 2001
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Itinéraire mis à jour le 15 octobre 2004 (9 textes)

Il y a juste trois ans, dans les colonnes du journal Le Monde, à l'occasion de l'arrêt de commercialisation mondial de la cérivastatine, un anticholestérol de la firme Bayer, nous avons pronostiqué que la prochaine "affaire" de ce type concernerait le groupe des anti-inflammatoires non stéroïdiens, de plus en plus prescrits et consommés (1).

Et voici que retentit le retrait mondial du rofécoxib (Vioxx°), un antalgique anti-inflammatoire non stéroïdien du groupe des "coxibs", laissant des millions de patients interloqués et désemparés (2).

Pour bon nombre de commentateurs, ce serait une surprise, un cas isolé. Or, une fois encore, il suffisait d'examiner objectivement les données disponibles pour prévoir le fiasco commun à l'ensemble des "coxibs", et pour ne pas exposer les malades de manière inconsidérée à des effets indésirables sans bénéfice potentiel.

La campagne de promotion des "coxibs", en particulier du rofécoxib (Vioxx° - MSD Chibret) et du célécoxib (Celebrex° - Pharmacia puis Pfizer), fut l'une des plus retentissantes du début des années 2000. Pour en rappeler le thème porteur, on peut citer les leaders d'opinion hospitalo-universitaires du domaine : « Les coxibs sont des anti-inflammatoires aussi efficaces que les anti-inflammatoires conventionnels mais beaucoup mieux tolérés au plan gastrique » (3).

Dans le concert enthousiaste et bruyant des firmes et de leurs relais, les synthèses de la revue Prescrire consacrées à l'époque à ces médicaments détonnaient par leur pragmatisme. Intitulées "rofécoxib : un antalgique anti-inflammatoire non stéroïdien décevant" et "célécoxib : aussi décevant que le rofécoxib", ces synthèses constataient simplement que, lors de l'évaluation clinique initiale, les comparaisons adéquates n'avaient pas été faites pour juger de l'efficacité et du profil d'effets indésirables de ces médicaments, et que leur supériorité n'était pas démontrée (4,5).

Parallèlement, tout en pratiquant la vente aux hôpitaux à un prix dérisoire (6), les firmes ont obtenu des prix "de ville" très élevés pour leurs "coxibs". Et pour la seule année 2001, la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés française a remboursé 125 millions d'euros pour Celebrex° (d'emblée à la 3e place des dépenses en médicaments) et 29 millions d'euros pour Vioxx° (7).

À la suite d'un réexamen des données d'évaluation du célécoxib par la Food and Drug Administration américaine, des révélations accablantes de manipulations d'un essai (essai CLASS) ont fait naître des doutes sérieux sur les supposés avantages de ce "coxib" (8). Un essai portant sur le rofécoxib a aussi été mis en cause (9). Pendant ce temps, les données de pharmacovigilance sur les "coxibs" se sont accumulées, en particulier les effets cardiovasculaires et digestifs fâcheux (10).

Les questions relatives à la véritable balance bénéfices-risques des "coxibs" sont devenues si pressantes que l'Agence européenne du médicament a dû réévaluer ces antalgiques anti-inflammatoires. Après la publication des conclusions de cette réévaluation, en avril 2004, la baudruche a commencé à se dégonfler : il n'est pas établi que la balance bénéfices-risques des "coxibs" est plus favorable que celle des antalgiques anti-inflammatoires plus anciens (11). L'Agence française des produits de santé a publié, en juillet 2004, une mise au point qui l'explique et qui rappelle aux patients les règles de bon usage de l'ensemble des antalgiques anti-inflammatoires (12).

En septembre, la firme Merck a tiré la conclusion qui s'imposait : retirer Vioxx° du marché mondial (2).

Quelle douche froide pour les soignants qui n'assument pas de façon indépendante leur formation permanente, et s'en remettent aux commerciaux des firmes pour "s'informer" !

Quelle douche froide pour ceux qui enseignent la thérapeutique à l'Université sur la foi d'extrapolations pharmacologiques, et qui n'aident pas leurs étudiants à percevoir, à l'échelle du patient et non d'un organe ou d'une cellule, la balance bénéfices-risques des interventions !

Quelle douche froide pour ceux qui sont censés réguler le marché des médicaments, et négocier des prix remboursables proportionnels aux vrais progrès thérapeutiques !

Quel démenti cinglant pour les "leaders d'opinions" hospitalo-universitaires qui se comportent en véritables dealers d'idées fausses et de prises de risques insensées !

Quelle mise en cause de la plupart des médias grand public qui se sont faits les colporteurs zélés des mirages promotionnels des firmes pharmaceutiques !

Pour les professionnels de santé lucides, cet nième épisode doit engendrer et soutenir une détermination supplémentaire. Détermination à convaincre l'ensemble des acteurs du système de santé.

Soigner exige l'analyse attentive des incertitudes et des risques, le souci de protéger les patients, le recours à des sources d'information indépendantes et fiables.
Les ordonnances longues, bourrées de "nouveautés" insuffisamment évaluées, portent le signe d'un exercice professionnel mal maîtrisé, à la merci des influences, des effets de mode, le signe d'un exercice non déterminé par l'analyse rigoureuse des données et des enjeux.

Stop aux médecins hospitaliers et spécialistes haut-parleurs des firmes et déclencheurs de modes dangereuses. Stop au recopiage servile des ordonnances à risques par les généralistes. Stop à la distribution passive des boîtes de médicaments par les pharmaciens. Stop à la désinformation des patients et du public. Stop à la confiance excessive dans les firmes pharmaceutiques : entre évaluation de leurs propres médicaments et recherche du profit pour l'entreprise et ses actionnaires, elles sont soumises à un conflit d'intérêts insoluble.

Mettre un terme aux fiascos répétés de pharmacovigilance nécessite une réaction ample et de longue durée de tous les intervenants de bonne volonté. Chacun doit balayer devant sa porte, et joindre ses efforts à ceux des autres pour balayer le paysage actuellement peu reluisant du système de santé.

©La revue Prescrire 15 octobre 2004
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Références
1- Bardelay G "Pharmacovigilance : d'une "affaire" à l'autre" Le Monde 11 septembre 2001, page 19.
2- Prescrire Rédaction "rofécoxib - Vioxx° : arrêt de commercialisation" Rev Prescrire 2004 ; 24 (255) : 669. À paraître
3- "Que sont les coxibs ?". In : Dougados M et coll. "Arthrose en 100 questions" Assistance Publique des Hôpitaux de Paris en partenariat avec Searle Pfizer 2000 : 64 pages.
4- Prescrire Rédaction "rofécoxib - Vioxx°. Un antalgique AINS décevant" Rev Prescrire 2000 ; 20 (208) : 483-488.
5- Prescrire Rédaction "célécoxib - Celebrex°. Aussi décevant que le rofécoxib" Rev Prescrire 2000 ; 20 (212) : 803-808.
6- Prescrire Rédaction "Vioxx° à 1 centime le comprimé !" Rev Prescrire 2001 ; 21 (215) : 193.
7- Prescrire Rédaction "Medic'am 2001 : la déferlante de Celebrex°" Rev Prescrire 2002 ; 22 (231) : 625.
8- Prescrire Rédaction "Célécoxib et "essai CLASS" : un exemple de manipulations industrielles" Rev Prescrire 2002 ; 22 (231) : 623-625.
9- Prescrire Rédaction "Une firme attaque en justice un bulletin indépendant membre de l'ISDB, et perd…" Rev Prescrire 2004 ; 24 (249) : 298-299.
10- Prescrire Rédaction "Effets indésirables cardiovasculaires des coxibs" Rev Prescrire 2002 ; 22 (231) : 596-597.
11- Prescrire Rédaction "Coxibs : pas mieux que les autres AINS" Rev Prescrire 2004 ; 24 (253) : 589.
12- Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé "Mise au point sur la sécurité d'emploi des coxibs" 2 juillet 2004 : 7 pages.