La précédente synthèse comportant un bilan
chiffré du Réseau d'observation de la visite médicale
de la revue Prescrire remonte à 1999 (1). On y trouve
l'histoire de la création de ce réseau sentinelle
composé d'abonnés à la revue, une description
des méthodes de recueil des observations, et le bilan qualitatif
et quantitatif de ses 8 premières années d'activité.
Pour résumer le bilan d'alors :
- l'information apportée par les discours des visiteurs médicaux
est le plus souvent biaisée : modifiant ou élargissant
les indications thérapeutiques officielles des médicaments
présentés (dans 20 % des observations en moyenne
chaque année) ; visant à faire déraper
les posologies à la hausse (dans 10 % en moyenne) ;
et surtout minimisant les risques potentiels du traitement (dans
75 % des observations) ;
- au mépris de la réglementation, le résumé
officiel des caractéristiques du produit (RCP) n'est pas
remis dans 16 % des observations ; et surtout, les conclusions
comparatives de la Commission de la transparence (avec sa cotation
de l'amélioration du service médical rendu (ASMR) (2))
n'est quasiment jamais remis (95 % des observations en 1998) (1).
Le Réseau poursuit inlassablement ses
observations
Depuis, le Réseau d'observation poursuit son travail. Les
fiches d'observation continuent à affluer de toutes les régions
de France.
Ces fiches constituent une source précieuse d'informations
pour les équipes "Médicament" de la Rédaction
de la revue Prescrire. Elles alimentent par ailleurs la rubrique
régulière "Échos du Réseau"
(lire par exemple le "best of" 2002).
Les animateurs du Réseau regroupent en outre les fiches par
année de collecte, et établissent des bilans réguliers
pour tenter de discerner des évolutions dans le comportement
des visiteurs (3).
Durant ces 12 dernières années, les observateurs se
sont relayés. Mais leur nombre (plusieurs dizaines en permanence),
leur répartition (homogène dans toutes les régions
de France métropolitaine), leur concentration en médecine
générale (les fiches transmises par des observateurs
pharmaciens ou hospitaliers se traitent à part) n'ont pratiquement
pas changé.
Les règles du jeu ne changent pas non plus : les observateurs
doivent remplir une fiche si on leur présente un nouveau
médicament, ou si on leur annonce une "nouveauté"
à propos d'un médicament déjà commercialisé
(qu'elle figure dans le RCP ("nouveauté") ou non
("dérapage") (a)).
La réalité est probablement pire
que le constat du Réseau
Année après année, ce qui caractérise
le plus les observations des membres du Réseau, c'est leur
étonnante constance : à l'évidence, le
discours des visiteurs médicaux ne transmet pas une vision
objective des éléments d'évaluation des médicaments ;
ceux-ci sont systématiquement présentés sous
un jour favorable, allant jusqu'à nier tout effet indésirable
pourtant connu ; et cela ne s'arrange pas, ni ne se détériore,
au fil des années.
Ce constat est d'autant plus alarmant que le bilan du Réseau
d'observation doit être compris comme un reflet probablement
optimiste de la réalité. Il y a en effet tout lieu
de penser que, malgré la confidentialité qui entoure
logiquement les membres du Réseau, bon nombre d'observateurs
ont été repérés (et "fichés")
comme étant des "petits prescripteurs", et/ou se
déclarant "abonnés à la revue Prescrire",
et/ou "posant tout le temps des questions et demandant des
preuves", etc. Il est donc probable que le comportement des
visiteurs vis-à-vis du sous-groupe des praticiens membres
du Réseau soit une sorte de profil "soft" de la
visite médicale. Pour l'ensemble des prescripteurs, et particulièrement
ceux réputés "gros prescripteurs", la situation
est vraisemblablement bien pire ; ne serait-ce que pour les chapitres
"cadeaux" et "proposition d'études rémunérées".
Les anciens médicaments sont les plus
mal présentés
En 1998, le Réseau avait constaté que le RCP était
plus souvent remis, et les indications et les posologies officielles
plus souvent respectées pour les nouveaux médicaments
que pour les médicaments plus anciens (1).
Cette impression initiale s'est confirmée, et pour l'ensemble
des 4 dernières années, les observations sont les
suivantes :
- pour les nouveaux médicaments, la présentation des
indications est correcte dans 87 % des observations, partiellement
correcte dans 10 %, totalement incorrecte dans 3 % ;
et les posologies sont conformes au RCP dans 95 % des observations,
partiellement conformes dans 4 %, totalement incorrectes dans
1 % ;
- pour les anciens médicaments, les indications sont correctement
présentées dans 57 % des observations, partiellement
correctes dans 24 %, totalement incorrectes dans 19 % ;
et les posologies sont conformes dans 74 % des observations,
partiellement conformes dans 15 %, totalement non conformes
dans 11 %.
C'est mieux d'un côté ou pire de l'autre, chacun tirera
sa conclusion. Mais chacun devra surtout se rappeler qu'il s'agit
là seulement de la performance de la visite médicale
dans le domaine des indications et de la posologie. Quand on observe,
par exemple, ce qui est dit sur les effets indésirables,
les contre-indications et les précautions d'emploi, on est
très loin du compte, quel que soit l'âge du médicament.
Non merci !
On peut décider de continuer à recevoir les visiteurs
médicaux. Mais pas pour se leurrer en qualifiant de formation
continue le temps passé à se soumettre à cette
désinformation.
"Non merci !", disons-nous pour notre part.
©La revue Prescrire 1er mars 2003
Rev Prescr 2003 ; 23 (237) : 225-227.
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Notes
a- Pour traduire avec plus de nuances la teneur des discours et
des actes des visiteurs médicaux, les fiches d'observation
ont été rendues plus précises à partir
de l'année 1997. On peut ainsi observer les demi-mensonges
par omission, et mesurer la différence d'argumentaire quand
il s'agit de présenter un médicament nouveau, ou une
"nouveauté" pour un médicament commercialisé
depuis longtemps.
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Références
1- Prescrire Rédaction "Visite médicale :
le bilan accablant du Réseau d'observation de la visite médicale"
1999 ; 19 (193) : 226-231.
2- Prescrire Rédaction "Définitions : Amélioration
du Service Médical Rendu (ASMR)" Rev Prescr 2002 ;
22 (234 suppl.) : 889.
3- Prescrire Rédaction "Échos du Réseau :
Dérapages et faux-semblants de la visite médicale"
Rev Prescr 2001 ; 21 (218) : 435.
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