Ce n'est pas la première fois que la revue Prescrire aborde
la question de la visite médicale. Les mots d'ordre "Une
année sans VM" (1), "Adieu à la visite
médicale" (2), et les bilans réguliers du
Réseau d'observation de la visite médicale (3,4)
ont déclenché des débats et des prises de positions (a).
Au fil des années, de plus en plus de lecteurs écrivent
à la revue Prescrire pour dire qu'ils ne veulent plus perdre
leur temps et être pris pour des "imbéciles",
qu'ils cessent de recevoir les visiteurs médicaux depuis
des mois ou des années, et qu'ils s'en portent très
bien.
Des informations toujours aussi biaisées
Parallèlement, le bilan des informations que font remonter
les membres du Réseau d'observation continue d'être
accablant. En 1999, nous constations qu'en 10 ans ou presque d'observations,
rien n'avait changé (3). Quatre ans plus tard, c'est
le même constat : l'information transmise par les visiteurs
reste toujours aussi biaisée, majorant l'efficacité
(voire inventant de toutes pièces des propriétés
mirobolantes) et minimisant les effets indésirables (voire
les niant) ; elle contourne toujours autant la réglementation,
en particulier les conclusions de la Commission de la transparence
ne sont quasiment jamais remises.
D'autres équipes, en "ville" et à l'hôpital,
en France et dans de nombreux pays, dressent le même constat :
on ne peut pas attendre une information objective d'un support de
promotion (b)(5à10).
Ouvrir les yeux sur les motifs de ceux qui
continuent
Si on décide de consacrer du temps à recevoir les
visiteurs médicaux, c'est pour tout autre chose que pour
l'information : le plaisir de la "pause", de voir quelqu'un
qui n'est pas malade, qui ne se plaint pas, qui nous fait des compliments,
qui ne nous critique pas, qui nous dit qu'on fait partie des meilleurs,
qui nous donne des tuyaux pour avoir l'air d'être "dans
le coup" sur le plan thérapeutique, sans effort personnel
de formation, sans investissement financier particulier. Sans parler
des petits ou grands cadeaux, qui tendent à faire passer
de la convivialité à la connivence, poussant certains
à la compromission, voire d'autres carrément au racket.
Il n'est jamais trop tard pour prendre conscience d'une situation (c).
Recevoir un visiteur médical, c'est-à-dire un délégué
promotionnel d'une firme, n'a rien d'obligatoire. Chaque praticien
est libre de sa décision. Comme chaque citoyen est libre
de recevoir ou non un vendeur de bains bouillonnants, ou de répondre
ou non à une "enquête" téléphonique
sur les cuisines aménagées ou sur les vérandas.
Par contre, chaque praticien se doit de définir clairement
les critères de qualité de son information professionnelle,
et les conditions de réussite de sa formation permanente.
Non merci !
Nous faisons partie de ceux qui ont dit une fois pour toutes :
NON MERCI !
Non merci aux sources d'informations biaisées : nous préférons
payer des sources fiables.
Non merci aux cadeaux empoisonnés : nous n'avons besoin d'aucun
"sponsoring" et autre "partenariat".
Non merci à toutes les "facilités" et "bienveillances"
qui conditionnent l'asservissement d'une profession et son appauvrissement
intellectuel et social.
Qu'il s'agisse d'exercice professionnel, de loisirs ou de toute
autre chose, nous préférons nous autofinancer, et
rester entièrement et définitivement libres de nos
choix et de nos actions.
©La revue Prescrire 1er mars 2003
Rev Prescr 2003 ; 23 (237) : 221-222.
_________
Notes
a- Au mot clé "visite médicale", le moteur
de recherche de l'index électronique du CD-Rom de février
2003 indique 199 articles (de toute nature, y compris beaucoup de
courriers de lecteurs) publiés entre janvier 1981 (n° 1)
et décembre 2002 (n° 234), dont 81 pour les 5 dernières
années (1998-2002).
b- Les lecteurs intéressés par les publications concernant
les effets de la visite médicale et plus généralement
de la promotion pharmaceutique, ainsi que par les efforts de résistance
à ces effets, trouveront beaucoup d'informations en consultant
régulièrement les sites internet de deux équipes
particulièrement actives :
- aux États-Unis d'Amérique : www.nofreelunch.org
- en Australie : www.healthyskepticism.org
c- Depuis belle lurette, l'attitude à adopter face à
la visite médicale se pose, collectivement, en France. Ainsi
dès sa création, en 1975, le Syndicat de la Médecine
générale (SMG) appelait « tous les médecins
à refuser la visite médicale (
) » (réf.
11).
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Références
1- Prescrire Rédaction "Une année sans VM"
Rev Prescr 1990 ; 10 (99) : 329.
2- Prescrire Rédaction "Adieu à la visite médicale"
Rev Prescr 1999 ; 19 (193) : 223.
3- Prescrire Rédaction "Visite médicale :
le bilan accablant du Réseau d'observation de la revue Prescrire"
Rev Prescr 1999 ; 19 (193) : 226-231.
4- Prescrire Rédaction "Échos du Réseau :
Dérapages et faux-semblants de la visite médicale"
Rev Prescr 2001 ; 21 (218) : 435.
5- Prescrire Rédaction "La visite médicale à
travers les thèses" Rev Prescr 1999 ; 19 (193) :
228.
6- Jehaes M (Groupe de recherche et d'action pour la santé
(GRAS)) "Visite médicale : trop, c'est trop"
Rev Prescr 2002 ; 22 (234) : 862.
7- Hemminki Elina "Commercial information on drugs : confusing
the physician ?" Journal of Drug Issues 1988 ; 18
(2) : 245-257.
8- O'Mahony B "Interactions between a general practitioner
and representatives of drug companies" BMJ 1993 ; 306 :
1649.
9- Lexchin J "Interactions between physicians and the pharmaceutical
industry : what does the literature say ?" Can Med
Assoc J 1993 ; 149 : 1401-1407.
10- Griffith D "Reasons for not seeing drug representatives :
lightening workload, cutting costs, and improving quality"
BMJ 1999 ; 319 : 69-70.
11- Syndicat de la Médecine Générale "Visite
médicale" Pratiques ou les Cahiers de la médecine
utopique 1975 ; (3) : 38-42.
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