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Prix Prescrire 2020

Prix Prescrire 2020 : 3 ouvrages analysés dans la rubrique "Lu pour vous" ont été primés par la Rédaction

PrixPrescrire  Ouvrages présentant un intérêt pour le public
  et/ou les professionnels de santé
 

Blanc de plomb. Histoire d'un poison légal

Blanc de plomb. Histoire d'un poison légalL’ouvrage "Blanc de plomb. Histoire d'un poison légal" est issu d'un travail de recherche historique méthodique, fouillé et référencé (1). L'originalité du choix de traiter dans une approche historique l'utilisation d'un toxique, et l'importance des dégâts sociaux et sanitaires causés par ce poison, devraient retenir l'attention des professionnels de santé. D'autant que les usages anciens du plomb, et les décisions tardives de restriction de ces usages, continuent à marquer les corps et les esprits, notamment des plus vulnérables, les enfants et les femmes enceintes, avec des dizaines de milliers d'enfants saturnins en France (a)(1à4).

Un toxique connu depuis plus de 2 000 ans

Le blanc de plomb, nom courant du carbonate basique de plomb, alias céruse, est utilisé dès l'Antiquité dans des cosmétiques et des remèdes (1). Son utilisation dans la peinture d'art se développe à la Renaissance. À partir de la fin du 18e siècle, la Révolution industrielle abaisse les coûts de production de la céruse et vulgarise son emploi dans la peinture pour bâtiments. Malgré la réputation de « mouroir » des céruseries et les maladies qui frappent les peintres, la céruse continue à être massivement produite tout au long du 19e siècle. Alors même qu'à cette époque déjà, sont rassemblés sous le nom générique de saturnisme les différents symptômes identifiés de l'intoxication par le plomb, connus pour certains depuis l'Antiquité : douleurs abdominales dites "coliques de plomb", arthralgies, paralysies, encéphalopathies, etc.

L'ouvrage se fonde sur un travail de collecte et d'analyse de très nombreux documents provenant des entreprises productrices de céruse, des administrations, des milieux médicaux et politiques, en France et dans d'autres pays industrialisés. Il est construit de manière chronologique, couvrant une période allant du 18e siècle jusqu'aux années 1930, qui voient l'aboutissement du processus de ratification par la France des premières conventions internationales du travail restreignant l'usage de la céruse.

Rendez-vous manqué avec la substitution

L’ouvrage déroule deux longs siècles de mensonges et de dénis sur la toxicité de la céruse. Ceux-ci visent à réduire la portée des voix discordantes et des observations alarmantes sur la morbidité et la mortalité des travailleurs qui la produisaient et des peintres qui l'employaient. Deux siècles d'accommodements avec l'inacceptable sachant que, dès le milieu du 19e siècle, la substitution généralisée du blanc de plomb par le blanc de zinc était tout à fait possible, ce qui inquiètera vivement les fabricants de céruse. Moment fort de cet ouvrage, des documents témoignant de la résistance d'industriels, et de leurs combats pour continuer à produire la céruse, sont particulièrement choquants.

Ayant les mêmes qualités, mais sans effet indésirable connu, le blanc de zinc avait vu lui aussi son coût fortement abaissé par l'évolution des techniques de production. Pourtant, la substitution ne s'opérera qu'à la marge et l'utilisation de la céruse ne sera plus vraiment contestée jusqu'à son interdiction progressive en France à partir de 1915 (1,3). Bien que fortement ralenti après la Première Guerre mondiale, l'usage de la céruse dans les peintures ne s'est complètement arrêté qu'avec son interdiction totale par un arrêté de 1993, transposant un règlement européen de 1992.

L'inertie à l'œuvre

Il est frappant d'observer avec l'auteure les similitudes entre l'histoire de l'utilisation de la céruse et celle de l'amiante, et le déroulement de processus identiques : utilisation par les fabricants de céruse des incertitudes médicales autour de la dé nition des symptômes du saturnisme ; cofiance abusive dans un discours hygiéniste sur un « usage contrôlé » de la céruse ; report de la responsabilité de dégâts sanitaires sur d'autres causes que la céruse : tabagisme, alcoolisme, débauche ; exagération des difficultés économiques et techniques liées à la substitution ; relais au niveau politique et économique des discours des fabricants pour retarder toute réglementation ; entretien de l'ignorance par l'absence de recueil systématique du nombre des victimes et de leurs maladies (b)(1,5).

La fabrique du doute et son corollaire la construction de l'ignorance vont cependant bien au-delà de ces deux toxiques et concernent de trop nombreux secteurs : tabac, pesticides, changement climatique, etc. (6)

Ouvrir les yeux

Comment éviter que l'histoire se répète indéfiniment si toute la mesure n'en a pas été prise ? L'ouvrage "Blanc de plomb. Histoire d'un poison légal" permet d'appréhender les enjeux actuels complexes liés à la présence de multiples toxiques dans les milieux de travail et l'environnement ; et de prendre conscience de l'enchevêtrement entre les objectifs sanitaires, commerciaux et politiques, qui conduit à une acceptation et une banalisation de ces risques. L'auteure nous incite à ouvrir les yeux, à nous méfier de la routine, des habitudes de consommation, de la force d'inertie, et du discours prémâché, qui endorment la vigilance et poussent collectivement à l'inaction.

©Prescrire 1er octobre 2020

Notes :
a- Prescrire a consacré plusieurs textes à la toxicité du plomb. En 2019, il est admis que le plomb est un toxique sans seuil de dose connu, c'est-à-dire qu'on ne connaît pas de niveau d'exposition au plomb sans effet sur la santé (réf. 4).
b- Autre exemple, l'utilisation du plomb tétraéthyle dans l'essence, utilisé à large échelle au 20e siècle pour empêcher le cliquetis des moteurs, relève des mêmes manipulations (réf. 7). Là encore, cette substance particulièrement toxique a "plombé" la planète, alors qu'elle aurait pu être remplacée, notamment par l'éthanol. (réf. 1).

Extraits de la veille documentaire Prescrire.
1- Rainhorn J "Blanc de plomb. Histoire d'un poison légal" SciencesPo Les Presses, Paris 2019 : 370 pages, 26 euros. Disponible auprès de l'Appel du Livre. L'Appel du Livre est une librairie par correspondance qui peut vous procurer tout ouvrage non épuisé, publié en France ou hors de France. Site internet : www.appeldulivre.fr.
2- Prescrire Rédaction "Le plomb, facteur de risque cardiovasculaire chez les adultes, même à faible dose" Rev Prescrire 2019 ; 39 (429) : 541-543.
3- Prescrire Rédaction "Exposition au plomb des enfants : des sources diverses à rechercher" Rev Prescrire 2015 ; 35 (375) : 64-67.
4- Prescrire Rédaction "Exposition au plomb : pas de dose connue sans danger" Rev Prescrire 2014 ; 34 (372) : 776-780.
5- Prescrire Rédaction "L'amiante : du miracle géologique au désastre sanitaire" Rev Prescrire 2007 ; 27 (283) : 384-386.
6- Oreskes N et Conway EM "Les marchands de doute" Le Pommier, Paris 2012 : 523 pages. Présenté dans : Rev Prescrire 2013 ; 33 (353) : 228.
7- Kitman JL "L'histoire secrète du plomb" Éditions Allia, Paris 2005 : 155 pages. Présenté dans : Rev Prescrire 2007 ; 27 (283) : 390.

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• Textes complets :

"Prix Prescrire 2020" Rev Prescrire 2020 ; 39 (432) : IV de couverture. Accès libre.


"Lu pour vous.
Blanc de plomb. Histoire d'un poison légal" Rev Prescrire 2020 ; 40 (434) : 944-945. Réservé aux abonnés.

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