Résumé
Fin 2024, l'évaluation du phloroglucinol reste indigente. Ses principaux effets indésirables sont des réactions allergiques, dont de rares syndromes de Lyell, et un risque tératogène mal cerné. Son efficacité symptomatique sur les troubles intestinaux bénins récurrents est incertaine. Dans les autres situations cliniques, il n'y a rien à attendre du phloroglucinol au-delà de l'efficacité d'un placebo. Chez les femmes enceintes ou qui pourraient le devenir, il est à écarter quelle que soit la situation clinique. II est prudent de déconseiller sa prise en automédication, banalisée en France.
En 2023, la parution du livre "Pilules roses. De l'ignorance en médecine", de la philosophe Juliette Ferry-Danini, a mis en lumière les inconnues qui entourent le phloroglucinol (Spasfon° ou autre) et l'utilisation massive de ce médicament en France, sur prescription ou en automédication, dans des situations très diverses (a)(1). Cela nous a conduits à envisager l'ajout du phloroglucinol dans le bilan annuel des médicaments à écarter pour mieux soigner.
Voici une synthèse des données rassemblées par notre recherche documentaire. Nous avons recensé sept synthèses méthodiques portant sur divers médicaments dits antispasmodiques et une quinzaine de rapports d'essais cliniques, dont quelques essais supplémentaires depuis notre synthèse de 2020 sur l'utilisation du phloroglucinol dans les situations cliniques de l'autorisation de mise sur le marché (AMM). Nous en rapportons les principaux résultats ci-dessous (2à5).
Une large utilisation, quasi exclusivement en France. Fin 2024, en Europe, le phloroglucinol n'est autorisé qu'en France et en Italie, dans diverses situations comme certaines douleurs abdominales d'origine digestive, biliaire, urinaire ou gynécologique, ainsi que dans les contractions utérines au cours de la grossesse (6,7). En Belgique, le phloroglucinol n'est plus commercialisé depuis 2010. Il n'est pas commercialisé en Suisse.
En 2023, en France, l'assurance maladie a remboursé environ 26,5 millions de boîtes de comprimés de phloroglucinol, pour un montant total d'environ 14 millions d'euros sur une base de remboursement de 45 millions d'euros, dont la différence est en grande partie remboursée par les assurances complémentaires (8). S'y ajoute l'automédication, le phloroglucinol n'étant pas soumis à une prescription médicale obligatoire.
Rares comparaisons versus un antalgique, de très faibles qualités méthodologiques. En 2020, nous n'avions recensé aucun essai randomisé conçu pour démontrer un éventuel intérêt du phloroglucinol par rapport à un antalgique de référence dans les situations cliniques de l'AMM.
Une publication de 2023 fait état d'une comparaison du phloroglucinol versus divers antalgiques, et non versus placebo ou absence de traitement. Il s'agit d'un essai (qualifié par les auteurs de "quadruple") dans des situations douloureuses d'origine urinaire ou biliaire. Le rapport des résultats rendus disponibles est particulièrement confus. Cet essai semble avoir été mené par une équipe de chercheurs italiens, sans précision du contexte d'inclusion des patients, de la méthode de répartition dans les divers essais, et de la méthode de randomisation. Il n'y a pas eu de procédure d'aveugle. Le protocole a été approuvé en Russie en 2015 et 2017. Les caractéristiques des patients inclus ne sont pas précisées, hormis le sexe, le poids, l'âge et la taille (5).
Les résultats sont présentés avec ceux d'une étude de pharmacocinétique, comme émanant de quatre essais distincts ne dépassant pas une centaine de patients chacun : dans les douleurs biliaires, d'une part phloroglucinol injectable versus métamizole (alias noramidopyrine) et de l'autre phloroglucinol oral versus scopolamine ; dans les douleurs urinaires, phloroglucinol (d'une part sous forme injectable et de l'autre orale) versus placebo, en ajout au dexkétoprofène injectable. (5). Cet ensemble est de qualité méthodologique et de puissance statistique trop faibles pour que l'on puisse tenir compte des résultats, présentés abusivement comme démontrant l'équivalence des médicaments testés.
Un autre essai, publié de façon succincte sous forme de résumé, a comparé phloroglucinol versus diclofénac, et versus diclofénac + phloroglucinol, chez 108 patients ayant une colique néphrétique aiguë (4). Fin 2024, on ne dispose d'aucun détail méthodologique et les résultats rapportés ne sont pas chiffrés.
Le reste de l'évaluation du phloroglucinol dans des situations douloureuses a été mené dans des essais versus placebo ou absence de traitement, ce qui ne permet pas d'évaluer un éventuel bénéfice par rapport aux traitements antalgiques de référence.
Coliques néphrétiques : toujours pas d'efficacité démontrée. Dans des coliques néphrétiques, les résultats des deux essais randomisés phloroglucinol versus placebo, en double aveugle, en ajout à un anti-inflammatoire non stéroïdien (489 patients au total) n'ont pas montré de différence d'efficacité antalgique tangible entre les groupes phloroglucinol et les groupes placebo (2,9,10).
Notre recherche documentaire n'a pas recensé d'autre essai de qualité méthodologique acceptable. Fin 2024, les conclusions de la synthèse méthodique Cochrane de 2015 quant à l'absence d'efficacité démontrée des médicaments "antispasmodiques" dans la colique néphrétique restent valables (11).
Douleurs liées aux règles : pas d'évaluation. Une synthèse méthodique de 2020 et notre recherche documentaire actualisée fin 2024 n'ont recensé aucun essai randomisé, en double aveugle, ayant évalué le phloroglucinol dans des douleurs gynécologiques ou liées aux règles (12).
Un essai randomisé versus placebo, en double aveugle, dans les douleurs liées à une procédure d'interruption volontaire de grossesse (IVG) instrumentale (chez 116 femmes) n'a pas démontré d'efficacité antalgique du phloroglucinol dans cette situation (2,12,13).
Troubles intestinaux bénins récurrents : deux essais très fragiles. Dans les douleurs abdominales d'origine digestive, notre recherche documentaire a recensé deux essais randomisés versus placebo (3,14).
Dans un essai en double aveugle, déjà analysé dans notre synthèse de 2020, mené en France chez 300 adultes gênés par des troubles intestinaux bénins récurrents, la douleur évaluée après un traitement de 7 jours a paru diminuée par le phloroglucinol oral, de façon statistiquement significative par rapport au placebo. Toutefois, la différence moyenne de 8 mm au 7e jour, constatée à l'aide d'une échelle visuelle analogique de 0 à 100 mm, est de pertinence clinique incertaine (2,14).
Un autre essai randomisé, en double aveugle, a été mené en Corée du Sud en 2009-2010 chez 72 adultes gênés par des troubles intestinaux bénins récurrents (3). Les deux tiers étaient des femmes. Des résultats détaillés n'ont été publiés qu'en 2020. Après tirage au sort, les patients ont reçu soit 160 mg de phloroglucinol oral 3 fois par jour soit un placebo pendant 2 semaines. Ils ont été suivis pendant encore une semaine après la fin du traitement. La différence d'efficacité entre les groupes n'est devenue statistiquement significative qu'à la fin de la 3e semaine de suivi, alors que le phloroglucinol avait été arrêté depuis une semaine : 62 % des patients ont déclaré ressentir une amélioration au moins modérée dans le groupe phloroglucinol, versus 31 % dans le groupe placebo (p = 0,013) (3). L'utilisation éventuelle d'autres médicaments n'est pas précisée ; l'évolution à plus long terme non plus.
Ces deux essais sont de faible niveau de preuves. Un biais de publication, qui aurait pour effet de méconnaître des essais aux résultats défavorables pour le phloroglucinol, ne peut être exclu étant donné le peu d'essais publiés dans les douleurs d'origine digestive, pourtant très courantes (15).
Menace de fausse couche : une méta-analyse d'essais à risque élevé de biais. Concernant les menaces de fausse couche, une synthèse méthodique avec méta-analyse d'une équipe chinoise a retenu 21 essais phloroglucinol versus magnésium, tous deux administrés par voie intraveineuse, chez 1 940 femmes enceintes au total (16). Des résultats détaillés de ces essais ont été publiés, pour la plupart seulement en chinois, entre 2009 et 2017 dans des revues référencées seulement dans des bases de données chinoises, et pas dans des bases de données telles que Medline ou Embase. La qualité méthodologique des 21 essais retenus est globalement faible et à risque élevé de biais, notamment en l'absence de précisions sur une éventuelle procédure d'aveugle (16). La difficulté d'accès aux comptes rendus des essais et le risque élevé de biais rendent les résultats de cette méta-analyse trop incertains pour en tenir compte dans une décision de soins.
Des risques à prendre en compte, en particulier chez les femmes enceintes ou qui pourraient le devenir. Des réactions allergiques graves, dont des chocs anaphylactiques et des syndromes de Lyell, ont été imputées au phloroglucinol. La section effets indésirables des résumés des caractéristiques (RCP) français des spécialités à base de phloroglucinol mentionne : « éruption, rarement urticaire, prurit, exceptionnellement œdème de Quincke, choc anaphylactique (hypotension artérielle), pustulose exanthématique aiguë généralisée » (17,18).
Une étude épidémiologique a porté sur 22 679 nouveau-nés ayant été exposés au phloroglucinol pendant le premier trimestre de la grossesse et enregistrés dans la base de données française Efemeris entre 2004 et 2017. Le risque de malformations est apparu plus grand en cas d'exposition pendant cette période au phloroglucinol, de façon statistiquement significative (après ajustement, risque relatif estimé par l'odds ratio (OR) à 1,21 ; intervalle de confiance à 95 % (IC95) : 1,10 à 1,33) (19,20).
Ce risque de malformations est resté plus grand, à la limite de la significativité statistique, quand l'analyse a été limitée à une exposition pendant les 8 premières semaines de grossesse, qui sont considérées comme celles durant lesquelles le risque tératogène est le plus important (après ajustement, OR = 1,10 ; IC95 : 0,98 à 1,22) (21,22). Malgré l'absence de contradiction entre le premier résultat et celui-ci, de moindre puissance statistique, l'Agence française du médicament (ANSM) a décidé fin 2020 de clore ce signal de pharmacovigilance.
Fin 2024, on ne dispose pas de données sur les conséquences pour l'enfant à naître d'une exposition au phloroglucinol au deuxième ou troisième trimestre de la grossesse.
En pratique : peut-être un effet symptomatique dans les troubles intestinaux bénins récurrents, mais ne rien en attendre dans les autres situations cliniques. Fin 2024, le phloroglucinol n'a pas d'intérêt clinique démontré au-delà de celui d'un placebo, avec toutefois une incertitude autour d'un effet symptomatique modeste sur les troubles intestinaux bénins récurrents. Mais il expose à divers risques. Il n'est commercialisé que dans quelques pays dans le monde, ce qui contribue à la faiblesse de son évaluation clinique et des données de pharmacovigilance. Les principaux risques du phloroglucinol sont des réactions allergiques, dont de rares syndromes de Lyell, et un risque tératogène mal cerné alors que son utilisation est très courante chez les femmes enceintes ou qui pourraient le devenir.
Le bilan des médicaments à écarter pour mieux soigner recense les médicaments plus dangereux qu'utiles dans toutes leurs indications, autrement dit toutes les situations dans lesquelles le médicament est autorisé. Ce qui n'est pas le cas du phloroglucinol, mais uniquement en raison de l'incertitude sur un éventuel intérêt symptomatique modeste chez des patients gênés par des troubles intestinaux bénins récurrents.
Dans les autres situations cliniques, qu'elles soient urinaires, gynécologiques, biliaires ou digestives, il n'y a rien à attendre du phloroglucinol au-delà de l'efficacité d'un placebo, et il est plus utile de rechercher avec les patients d'autres options antalgiques, parfois autres que médicamenteuses.
Chez les femmes enceintes ou qui pourraient le devenir, le phloroglucinol est à écarter quelle que soit la situation clinique, car il est injustifiable d'exposer l'enfant à naître au moindre risque dès lors que l'efficacité n'est pas démontrée.
Afin d'éviter d'exposer sans raison de nombreuses personnes au phloroglucinol, en particulier les femmes qui pourraient être ou devenir enceintes, il est prudent de déconseiller son usage en automédication, banalisé en France.
Notes
a- Ce livre a reçu le Prix Prescrire 2024.
Noms commerciaux des médicaments en France F, Belgique B et Suisse CH
butylscopolamine bromure alias butylhyoscine bromure injectable 20 mg/ml – F SCOBUREN° ou autre ; B CH BUSCOPAN°
butylscopolamine bromure alias butylhyoscine bromure orale – F (—) ; B CH BUSCOPAN°
dexkétoprofène – F B CH KETESSE°
diclofénac – F CH VOLTARENE° ou autre ; B VOLTAREN° ou autre
magnésium injectable – F SPASMAG° ou autre ; B MAGNESIUM SULFATE STEROP° ; CH MAGNESIUM SULFAT BICHSEL°
métamizole alias noramidopyrine – F NOLOTIL° ; B NOVALGINE° ; CH MINALGINE° ou autre
phloroglucinol oral ou injectable – F SPASFON° ou autre ; B CH (—)
scopolamine bromhydrate alias hyoscine bromhydrate injectable 0,25 mg/ml – F SCOPOLAMINE COOPER° ou autre ; B SCOPOLAMINE HBR STEROP° ; CH (—)
Recherche documentaire et méthode d'élaboration
Nous avons recherché les synthèses méthodiques et les essais cliniques cliniques ayant évalué le phloroglucinol dans les indications où il est autorisé. Pour la dernière fois le 8 août 2024, nous avons interrogé les bases de données Embase (1974-semaine 31 de 2024), Medline (1950-5e semaine de juillet 2024), The Cochrane Library (CDSR : 2024, issue 8). Les procédures d'élaboration de cette synthèse ont suivi les méthodes habituelles de Prescrire, notamment vérification de la sélection des documents et de leur analyse,relecture externe, contrôles de qualité multiples.
1- Ferry-Danini J "Pilules roses - De l'ignorance en médecine" Stock essais, 2023, Paris : 214 pages. Présenté dans : Rev Prescrire 2024 ; 44 (487) : 390 + (492) : IV de couverture.
2- Prescrire Rédaction ""Antispasmodiques" dans les douleurs abdominales. Avec précautions, parfois pinavérium ou menthe poivrée" Rev Prescrire 2020 ; 40 (437) : 195-202.
3- Shin SY et coll. "The effect of phloroglucinol in patients with diarrhea-predominant irritable bowel syndrome : a randomized, double-blind, placebo-controlled trial" J Neurogastroenterol Motil 2020 ; 26 (1) : 117-127.
4- Wei L et coll. "Analysis of the effect and value of phloroglucinol combined with diclofenac sodium in the treatment of patients with acute renal colic" (abstract 119) 4th 2022 International Conference on Advances in Biological Science and Technology (ICABST), 29-31 janvier 2022. Asia Pacific J of Clin Oncol 2022 ; 18 (suppl. 2) : 64-65.
5- Corvino A et coll. "Phloroglucinol-derived medications are effective in reducing pain and spasms of urinary and biliary tracts : results of phase 3 multicentre, open-label, randomized, comparative studies of clinical effectiveness and safety" Adv Ther 2023 ; 40 (2) : 619-640.
6- EMA "List of nationally authorised medicinal products-phloroglucinol, phloroglucinol trimethylphloroglucinol : 4 pages.
7- "Phloroglucinol". In : "Répertoire des spécialités pharmaceutiques" mis à jour le 25 juillet 2024. Site agence-prd.ansm.sante.fr consulté le 25 juillet 2024.
8- Assurance maladie "Medic'AM : médicaments remboursés par l'Assurance Maladie, par type de prescripteur (données interrégimes)" 14 mars 2024 ; site www.data.gouv.fr.
9- Fu W et coll. "Efficacy and safety of parecoxib/phloroglucinol combination therapy versus parecoxib monotherapy for acute renal colic : a randomized, double-blind clinical trial" Cell Biochem Biophys 2014 ; 69 (1) : 157-161.
10- Boubaker H et coll. "Phloroglucinol as an adjuvant analgesic to treat renal colic" Am J Emerg Med 2010 ; 28 (6) : 720-723.
11- Afshar K et coll. "Nonsteroidal anti-inflammatory drugs (NSAIDs) and non-opioids for acute renal colic" (Cochrane Review). In : "The Cochrane Library" John Wiley and Sons, Chichester 2015 ; issue 6 : 105 pages.
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17- ANSM "RCP-Spasfon Lyoc 80 mg" 10 janvier 2024.
18- Prescrire Rédaction "Phloroglucinol : réactions allergiques graves" Rev Prescrire 2010 ; 30 (316) : 114.
19- Prescrire Rédaction "Phloroglucinol pendant la grossesse : des risques mal cernés" Rev Prescrire 2023 ; 43 (479) : 670-671.
20- ANSM - Comité scientifique permanent reproduction, grossesse et allaitement "Compte rendu de la séance du 6 octobre 2020" : 8 pages.
21- ANSM - Comité scientifique permanent reproduction, grossesse et allaitement "Compte rendu de la séance du 8 décembre 2020": 10 pages.
22- Prescrire Rédaction "Choisir un traitement avec une femme enceinte. Une démarche pour éviter les effets indésirables des médicaments pendant la grossesse" Rev Prescrire 2013 ; 33 (358) : 583-587.