L'Organisation mondiale du commerce, terrain d'influence des alcooliers

Depuis 1995, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) vise à libéraliser les échanges commerciaux entre les pays membres (164 en 2022) (1,2). Garante notamment de l'accord sur le respect de la propriété industrielle, elle joue aussi un rôle dans l'orientation des politiques de santé publique (2).

Un cadre pour organiser et promouvoir la liberté des échanges

L'OMC édicte des règles organisant et favorisant le commerce international qui prennent la forme d'accords négociés et signés par les gouvernements des pays membres (1).

Parmi ces accords, celui sur les "obstacles techniques au commerce" veille notamment à ce que les règlements nationaux ne soient pas « plus restrictifs pour le commerce qu'il n'est nécessaire pour réaliser un objectif légitime » tel que celui de la santé ou de la sécurité des personnes (3).

Un lieu d'influence au détriment de la santé publique

À travers l'analyse des procès-verbaux des réunions du Comité des "obstacles techniques au commerce" qui se sont tenues entre 2010 et 2019, une équipe de chercheurs a mis en lumière combien cet espace avait servi de soutien aux intérêts des alcooliers (4).

Parmi 212 membres du comité, représentants de leur pays, amenés à donner leur avis sur des projets de politiques visant à réduire la consommation d'alcool dans certains pays, seuls 7 (3 %) ont clairement reconnu représenter les intérêts des alcooliers. Pourtant, sans déclarer de lien, 117 avis de membres (55 %) reproduisaient ou reprenaient les arguments des lobbys de l'alcool pour contester des mesures sanitaires nationales jugées trop restrictives et mettre en doute la dangerosité de l'alcool (4). Ils déploraient notamment les conséquences négatives des politiques de santé pour les industriels et l'économie et cherchaient à limiter la nocivité de l'alcool à des situations particulières : grossesse, consommation excessive ou conduite en état d'ivresse. Parfois, ils allaient jusqu'à affirmer qu'une consommation d'alcool modérée était bénéfique pour la santé (4). Des arguments éloignés des conclusions de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui estime à environ trois millions de morts le fardeau mondial annuel attribuable à la consommation d'alcool (5).

Un air de déjà-vu

Comme d'autres produits nocifs pour la santé, l'alcool bénéficie des discours bien rodés de ses lobbys, relayés et soutenus par des représentants de gouvernements, au détriment de la santé des populations. Cela est possible notamment parce que l'OMC n'a pas mis en place les outils de la transparence des prises de position des pays membres (4).

En 2020, l'organe d'appel de l'OMC a toutefois confirmé que le paquet neutre de tabac était conforme avec le droit commercial et a mis fin aux démarches de pays producteurs de tabac qui visaient notamment à empêcher l'Australie de maintenir cette mesure antitabac, adoptée depuis de nombreuses années (6). Espérons que les objectifs de santé publique seront aussi bien défendus face aux lobbys de l'alcool.

©Prescrire

Extraits de la veille documentaire Prescrire

1- OMC "Qu'est-ce que l'Organisation mondiale du commerce ?". Site internet wto.org consulté le 11 mars 2022 : 2 pages.

2- Prescrire Rédaction "Vaccins covid-19 : pas pour tout le monde" Rev Prescrire 2021 ; 41 (455) : 689.

3- OMC "Accord sur les obstacles techniques au commerce" juin 2003. Site internet wto.org consulté le 14 mars 2022 : 20 pages.

4- Barlow P et coll. "Industry influence over global alcohol policies via the World Trade Organization: a qualitative analysis of discussions on alcohol health warning labelling, 2010-19" Lancet Glob Health 2022 ; 10 (3) : e429-e437.

5- OMS "Consommation d'alcool. Principaux faits" septembre 2018. Site internet who.org consulté le 15 mars 2022 : 5 pages.

6- OMS "Victoire juridique historique pour la santé publique et revers majeur pour l'industrie du tabac" Communiqué de presse, juin 2020. Site internet who.org consulté le 17 mars 2022 : 3 pages.