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Prix Prescrire 2023

Prix Prescrire 2023 : 3 ouvrages et 1 initiative ont été primés par la Rédaction

PrixPrescrire  Ouvrages, documents ou initiatives primés
  par la Rédaction de Prescrire 

Mange et tais-toi

Les fossoyeurs"Mange et tais-toi" présente plusieurs facettes de la nutrition (1). L'ouvrage en relate l'histoire relativement récente en tant que discipline médicale en France. Une histoire à laquelle a contribué l'auteur, Serge Hercberg, nutritionniste et épidémiologiste. Il apporte un témoignage documenté et éprouvé sur les pressions de certains lobbys contre la santé publique. Au début des années 1990, la mise en place en France par l'équipe de Serge Hercberg d'un essai comparatif randomisé en double aveugle versus placebo, dit Su.vi. max, est une nouveauté. Incitées à participer par des publicités, plus de 80 000 personnes se portent volontaires pour étudier l'effet d'une supplémentation quotidienne en vitamines et minéraux antioxydants pour prévenir le risque de cancers et de maladies cardiovasculaires ; environ 13 000 d'entre elles sont incluses dans l'étude et communiquent avec ses auteurs grâce à une technologie de pointe de l'époque, le minitel, d'accès facile et permettant d'échanger régulièrement de multiples données.

Une prise de conscience de l'influence des liens d'intérêts.

L'auteur raconte comment il a démarché des centaines d'entreprises, dans de nombreux secteurs
(agroalimentaire, médicament, automobile, télécommunications, etc.), afin d'obtenir les fonds nécessaires à la réalisation de Su.vi.max pendant 8 ans. Ces liens d'intérêts, matérialisés notamment par l'affichage des logos des sponsors sur du matériel de son équipe, alimenteront sa réflexion. Une interrogation a joué, à ses yeux, un rôle de déclic : "Si les liens d'intérêts influençaient le jugement de mes collègues (qui s'en défendent), pourquoi ne seraient-ils pas susceptibles de changer le mien ? » Au milieu des années 2000, l'auteur a pris conscience des risques d'influence des liens d'intérêts liés au financement de ses études par des firmes, reconnaissant la naïveté de ses débuts, et il décide de ne plus accepter aucun fonds ni avantage d'origine privée. Il entreprend en 2007 la constitution de la cohorte NutriNet-Santé, qui mobilise 20 000 internautes, 81 centres pour la collecte des échantillons biologiques, avec la possibilité d'exploiter les données de l'Assurance maladie. Divers résultats qui en sont issus ont permis d'avancer sur les liens entre l'alimentation et la santé, "les mécanismes en cause, le rôle des aliments ultratransformés et des aliments bio sur le risque ou la protection de maladies, la caractérisation des déterminants sociaux, économiques, psychologiques et biologiques des comportements alimentaires, l'impact de mesures de santé publique telles que la taxation de la “malbouffe", l'étiquetage nutritionnel ».
Fort des résultats obtenus et en lien avec ses engagements passés, l'auteur est devenu un acteur de santé publique. Il intervient pour évaluer et promouvoir des pratiques nutritionnelles davantage favorables à la santé. Il décrit ainsi la mise en place du Programme national nutrition santé (PNNS), au sein duquel il a eu un rôle-clé, et d'où émane, notamment, la recommandation de consommer “cinq fruits et légumes par jour".

La lutte pour le Nutriscore.

Au début des années 2010, l'auteur fait le constat qu'il apparaît "indispensable, notamment pour lutter  contre les inégalités sociales de santé, d'agir efficacement sur l'offre alimentaire. Bien sûr, il faut améliorer les déterminants individuels des comportements alimentaires (et de la pratique d'activité physique), mais aussi et surtout intervenir sur les déterminants environnementaux (et notamment la qualité de l'offre alimentaire, l'accessibilité économique aux aliments de bonne qualité nutritionnelle…) qui, eux,
ne dépendent pas directement des individus".

Dans un rapport commandé par le Ministère de la santé et rendu public début 2014, l'auteur propose plusieurs mesures, l'une d'elles visant à "éclairer les consommateurs (…) sur la qualité nutritionnelle des aliments pour les aider à arbitrer leur choix, tout en respectant leur liberté". D'où l'évaluation et la mise au point du Nutriscore, logo nutritionnel à 5 couleurs couplées aux 5 lettres A B C D E, apposé sur l'emballage de produits alimentaires. Plusieurs chapitres de l'ouvrage sont consacrés à la lutte nécessaire à sa mise au point. Le Nutriscore est recommandé en France depuis 2017 puis dans d'autres pays européens à partir de 2018.

Un témoignage à la dimension politique et militante.

Ces contributions à la nutrition, à l'épidémiologie et à la santé publique dans le domaine de l'alimentation donnent déjà de l'intérêt à l'ouvrage. Mais il a aussi une dimension politique et militante. Les chapitres sur le PNNS, et plus encore ceux sur le Nutriscore, montrent de première main comment les intérêts économiques, en particulier du secteur agroalimentaire, et leurs alliés au Ministère de l'agriculture ont travaillé inlassablement, et par toutes sortes de moyens, à s'opposer aux mesures de santé publique dans le domaine de l'alimentation. En dépit du fait que nombre de ses combats n'ont pas complètement abouti, l'auteur ne s'est jamais découragé. Son livre est donc aussi un guide du militant de santé publique, du citoyen engagé à défendre la santé des consommateurs et notamment des personnes les plus vulnérables, qui sont parmi les principales victimes de la malbouffe.

©Prescrire 1er octobre 2023

Note :
1¬ Hercberg S "Mange et tais-toi. Un nutritionniste face au lobby agroalimentaire", HumenSciences, Paris 2022 : 287 pages, 20 €.

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• Texte complet :

"Prix Prescrire 2023" Rev Prescrire 2023 ; 43 (481) : IV de couverture. Accès libre.

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