Revue Prescrire, article en une, réseau d'observation de la visite médicale mai 2006
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Visite médicale, 15 ans d'observation et un constat :
rien à attendre de la visite médicale pour mieux soigner
 
Le Réseau d'observation de la visite médicale de la revue Prescrire est né en 1991 à l'initiative d'abonnés. Pendant 15 ans, les membres du Réseau ont observé le discours des visiteurs médicaux en le comparant au contenu du résumé des caractéristiques des médicaments présentés.
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2004 : la visite médicale
trompe toujours énormément

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La visite médicale n'est pas une source fiable d'information
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Itinéraire (17 articles au 1er mai 2006)

Visite médicale = publicité : elle attrape les praticiens là où ils ne l'attendent pas
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Itinéraire (15 articles au 1er novembre 2004)

15 ans d'observation et un constat :
rien à attendre de la visite médicale pour mieux soigner
Rev Prescrire 2006 ; 26 (272) : 383-389.
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Une initiative de praticiens de terrain
La mise en place d'un réseau bien organisé est devenue une évidence lors du débat qui a suivi la publication en septembre 1990 d'un éditorial de la revue Prescrire titré "Un an sans VM". Cet éditorial proposait, à titre expérimental, un sevrage d'un an de la visite médicale, et un bilan en termes de temps libéré pour d'autres activités, de découverte de nouvelles sources d'information, de manques ressentis, etc. Un débat vif et riche s'en est suivi, sous forme de courriers d'abonnés médecins généralistes ou praticiens hospitaliers, de visiteurs médicaux, de dirigeants de firmes pharmaceutiques. Certains abonnés ont décidé de rejoindre pour un an ceux qui avaient d'ores et déjà cessé de recevoir les visiteurs médicaux. D'autres ont déclaré qu'ils préféraient contribuer à une étude d'observation sur le contenu de la visite.

De multiples précautions méthodologiques ont permis de limiter les biais inhérents au fonctionnement d'un réseau de type "sentinelle". Les résultats obtenus ont été remarquablement cohérents au fil des années.

De multiples mesures d'encadrement de la visite médicale, sans effet constaté sur le terrain
Les dispositions européennes et/ou nationales se sont multipliées depuis les années 1990, avec l'objectif affiché de mieux encadrer la visite médicale, et d'en faire un moyen de formation des professionnels de santé :
• 1992 : carte professionnelle et formation des visiteurs ;
• 1996 : remise "obligatoire" de certains documents ; depuis 1997, la fiche d'observation standardisée remplie par les membres du Réseau leur a permis de cocher si l'avis de la Commission française de la transparence leur était remis. Il l'a été dans moins de 5 % des cas en moyenne de 1998 à 2005 ;
• depuis les années 1980 : codes d'éthique et résolutions internationales. Les organisations représentatives des firmes pharmaceutiques au niveau national et les États ont également élaboré divers codes et chartes. La France s'était déjà distinguée dans les années 1990 par une "loi anti-cadeaux" qui n'a guère bouleversé les habitudes. Elle s'est à nouveau distinguée en 2004 avec la construction d'un curieux échafaudage juridique visant à « encadrer les pratiques commerciales et promotionnelles qui pourraient nuire à la qualité des soins » : la Charte de la visite médicale ;
• 2004 : la Charte de la visite médicale "à la française".
L'ensemble des dispositions législatives, réglementaires, déontologiques, ou pseudo-réglementaires prises depuis bientôt une quinzaine d'années n'a en fait rien changé aux pratiques de la visite médicale.

Le discours des visiteurs met avant tout en relief l'efficacité des médicaments qu'ils présentent, dans des indications qui ne correspondent pas toujours à celles de l'autorisation de mise sur le marché. Mais les risques que les médicaments font courir sont occultés dans les trois quarts des visites.

Une tendance à la dégradation
liée au contexte concurrentiel

Les quatre derniers bilans annuels de l'activité du Réseau montrent les conséquences pratiques des mesures prises par les firmes du fait de restructurations industrielles (fusions, acquisitions, mondialisation), d'une baisse vertigineuse de l'innovation, et d'une concurrence exacerbée.
À partir de 2003, les nouveautés présentées sont devenues essentiellement des isomères, des métabolites et des "me too" appartenant toujours aux mêmes familles (coxibs, sartans, triptans, prazoles, dronates, etc.). Dans le même temps, les méthodes utilisées par les firmes ou leurs prestataires pour convaincre les praticiens sont apparues plus sophistiquées. Les sommes dépensées en promotion sont d'ailleurs devenues impressionnantes, allant jusqu'au milliard de dollars pour le lancement mondial d'une énième statine.
En 2005, le constat des observateurs membres du Réseau a confirmé les tendances décrites dans la presse de l'industrie : moins de visiteurs-maison et plus de prestataires ; plus d'outils informatiques de suivi des médecins ; une orientation plus nette de la visite vers les "gros prescripteurs" à fort potentiel. Dans le même temps, les visiteurs sont apparus toujours plus agressifs vis-à-vis des firmes concurrentes, très loin de la loyauté décrite dans la Charte de la visite médicale.
Ces tendances encore constatées en 2006, dans les derniers mois d'activité du Réseau, sont le reflet de la situation de crise dans laquelle se trouvent les firmes pharmaceutiques, crise qui dépasse largement le cadre français, comme en témoignent de nombreux ouvrages récemment publiés.

Au-delà du Réseau, un mouvement "Non merci…" international, en réaction aux pratiques promotionnelles des firmes
La participation à un tel Réseau amène les observateurs à se former sur les médicaments, pour décrypter les assertions des visiteurs. Elle les conduit souvent à décider de ne plus recevoir les visiteurs, et à choisir des sources d'information indépendantes et fiables.

Tout au long de ces 15 années d'activité, le Réseau des abonnés de la revue Prescrire a suscité l'intérêt de médias et d'institutions, en France et dans le monde ; il a échangé avec d'autres équipes réalisant dans différents pays des travaux sur la visite médicale, ainsi qu'avec des mouvements, aujourd'hui plus nombreux, de refus de la visite au profit de sources d'information de qualité.

Des expériences analogues et d'autres travaux réalisés dans le monde aboutissent au même constat. Et un large mouvement se développe en faveur d'un exercice professionnel hors de la sphère d'influence des firmes pharmaceutiques.

Il est temps de passer à l'étape suivante

La démonstration est faite, et pas seulement en France : la visite médicale n'est pas un vecteur d'information utile pour les professionnels de santé qui privilégient la qualité des soins. Elle reste un outil promotionnel précieux pour les firmes, mais ne doit pas être confondue avec une source de données fiables.

Il ne servirait guère de prolonger l'activité du Réseau d'observation de la visite médicale dans sa forme actuelle. D'autres recherches-actions seront plus utiles dans la prochaine période, sur d'autres moyens promotionnels utilisés par les firmes commercialisant des "produits de santé", pour influencer les professionnels de santé et le public. Un premier projet est en préparation sur un thème spécifique à la France : l'application de la Charte de la visite médicale, telle que l'envisage la Haute autorité de santé, offrira aux abonnés intéressés une occasion de participer à un réseau de terrain sur un sujet important.

En routine, les praticiens peuvent sans dommage ne pas recevoir les visiteurs médicaux et utiliser le temps ainsi dégagé pour mieux se former et s'informer auprès de sources fiables.

©La revue Prescrire 1er mai 2006
Rev Prescrire 2006 ; 26 (272) : 383-389.