Revue Prescrire, article en une, Suivi des médicaments après autorisation de mise sur le marché, décembre 2007
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Suivi des médicaments après autorisation de mise
sur le marché : beaucoup d'annonces,
mais où sont les résultats ?
 

Les études et essais demandés par les pouvoirs publics sur les médicaments après leur autorisation de mise sur le marché (AMM) sont difficiles à repérer et leurs résultats ne sont généralement pas rendus publics.

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"Plan de gestion des risques" : pas rassurant du tout
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Depuis une décennie, firmes pharmaceutiques et agences du médicament ont mis l'accent sur le suivi des médicaments après leur autorisation de mise sur le marché (suivi post-AMM). Ce suivi est effectivement nécessaire pour mieux cerner la balance bénéfices-risques des médicaments, utilisés à plus grande échelle et dans des circonstances différentes de celles des essais cliniques. Qu'en est-il exactement fin 2007 ?

Des demandes par les agences du médicament
Il a toujours été possible pour une agence du médicament d'exiger d'un demandeur d'AMM qu'il complète son dossier par des résultats d'essais complémentaires (article R. 5121-34 du Code de la santé publique). Les commissions d'AMM (française ou européenne) demandent souvent un suivi après l'octroi de l'AMM, en particulier quand l'évaluation a été insuffisante.

Le Règlement (CE) n° 507/2006 sur l'AMM "conditionnelle" prévoit aussi ce type de demande et soumet l'octroi de l'AMM pleine et entière à la réalisation des dits essais. La liste des obligations incombant à la firme doit être rendue publique (1). La Directive 2004/27 CE (article 22) et le Règlement (CE) n° 726/2004 (article 14-8) prévoient par ailleurs l'octroi d'AMM en "circonstances exceptionnelles" sous réserve de l'obligation faite au demandeur de se conformer à certaines exigences, dont la réalisation d'études et d'essais cliniques (2). Ces exigences doivent être rendues publiques.
En outre, les AMM, nationales ou européennes, sont de plus en plus fréquemment assorties de "plans de gestion des risques" qui comportent notamment la réalisation d'études de suivi (de pharmacovigilance le plus souvent), voire d'essais cliniques (3).

Des demandes lors de l'évaluation pharmaco-économique et lors de la fixation des prix
La Commission française de la transparence, comme d'autres commissions analogues d'évaluation pharmaco-économique dans d'autres pays, peut aussi demander la réalisation d'études post-AMM.
La loi n° 2004-806 relative à la santé publique précise en effet, dans son article 128, que l'inscription d'un médicament sur les listes des spécialités remboursables et des spécialités agréées aux collectivités, sur laquelle la Commission donne son avis, peut « au vu des exigences de qualité et de sécurité des soins mettant en œuvre ce médicament (...) être assortie (…) d'un dispositif de suivi des patients traités » (4).
La loi n° 2006-1640 de financement de la Sécurité sociale pour 2007 précise dans son article 61 que les conventions conclues entre le Comité économique des produits de santé (CEPS) et les firmes, lors de la fixation des prix, déterminent notamment : « les conditions et les modalités de mise en œuvre des études pharmaco-épidémiologiques, postérieurement à l'obtention de l'AMM (...) » (5). Et l'accord cadre entre le CEPS et les firmes pour la période 2003-2006 (le dernier en ligne sur le site du CEPS au 30 octobre 2007) prévoit la publication de ces études « nonobstant les droits de propriétés qui leur sont attachés », sans en dire plus sur ces droits (a)(6). Les conventions CEPS-firmes ne sont pas rendues publiques.
On note enfin, à l'article 56 de la loi n° 2006-1640, que l'arrêté de fixation des conditions de prise en charge d'un médicament par l'Assurance maladie « peut également comporter l'obligation pour le laboratoire ou le fabricant de mettre en place un suivi particulier des patients » quand il est prescrit « en dehors du périmètre des biens et services remboursables », dans certaines conditions (affection de longue durée ou maladie rare sans alternative appropriée) et parce que figurant dans une recommandation de la Haute autorité de santé (5).

En pratique, beaucoup d'opacité
Tout laisse à croire que le suivi post-AMM des médicaments est remarquablement assuré tant les acteurs se bousculent pour exiger la mise en œuvre d'études complémentaires.
Il est difficile de savoir précisément quelles études et essais ont été demandés, ainsi que les détails de leurs protocoles. Le suivi demandé par les agences française et européenne du médicament est signalé en quelques mots dans des document différents selon les cas : décisions d'octroi d'AMM ou rapports d'évaluation des commissions d'AMM. Le suivi demandé par la Commission de la transparence figure dans ses avis, mais ils ne sont pas tous rendus publics (7). Ce qui se passe entre le CEPS et les firmes reste encore secret, en 2007.
Quant aux résultats de ces études et essais, ils ne sont quasiment jamais rendus publics. Les agences française et européenne du médicament n'ont pas encore mis en place un registre des engagements pris par les firmes, comme cela existe aux États-Unis d'Amérique (b). La Commission de la transparence ne tient pas non plus de registre visible des études et essais demandés, ni de leurs résultats. Et le CEPS est aussi opaque sur les résultats que sur les protocoles.
Les rarissimes études et essais publiés le sont tardivement et de manière non détaillée. Ainsi, un compte rendu un tant soit peu consistant de l'étude pharmaco-épidémiologique Cadeus sur les coxibs mise en œuvre à la demande du CEPS n'a été publié que trois ans après sa réalisation (c)(8,9).

Les faux-semblants doivent cesser
En 2007, alors que les AMM sont octroyées de plus en plus facilement et prématurément, patients et professionnels de santé ne peuvent pas faire confiance à un système qui promet en post-AMM de multiples essais cliniques et études de pharmacovigilance, de pharmaco-épidémiologie, etc., mais ne rend pratiquement aucun compte ensuite. Ces travaux post-AMM doivent être menés s'ils répondent à des questions pertinentes. Et leurs résultats doivent être rendus publics pour améliorer l'utilisation des médicaments.

©Prescrire 15 décembre 2007
Rev Prescrire 2007 ; 27 (290) : 897-898.
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Notes
a- L'article 6 de cet accord CEPS-firmes, intitulé "Suivi des nouveaux médicaments en pratique médicale réelle - Perspectives de santé publique" est principalement orienté vers l'intérêt des firmes : les protocoles et délais sont définis « de manière conventionnelle », les études sont ajustées pour que leur coût soit acceptable, etc. (réf. 6).
b- Les engagements (en anglais commitments) pris par les firmes au moment de la mise sur le marché aux États-Unis d'Amérique de leurs médicaments sont listés sur le site de la Food and Drug Administration, ainsi que l'état d'avancement des études. Un rapport annuel est publié au Journal Officiel (Federal Register), ainsi que des rapports au Congrès étatsunien (réf. 10).
c- La Cour des comptes a signalé qu'en mai 2007, sur 131 études demandées par la Commission de la transparence ou le CEPS depuis 1997, seulement 12 % avaient été menées à terme (réf. 11).
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Références
1- Prescrire Rédaction "AMM conditionnelle" Rev Prescrire 2006 ; 26 (274) : 544.
2- EMEA - CHMP "Guideline on procedures for the granting of a marketing authorisation under exceptional circumstances" 15 décembre 2005 : 7 pages.
3- Prescrire Rédaction ""Plans de gestion des risques" : pas rassurants du tout" Rev Prescrire 2007 ; 27 (282) : 259-260.
4- "Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique" Journal Officiel du 11 août 2004 : 14277-14337.
5- "Loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007" Journal Officiel du 22 décembre 2006 : 19315-19346.
6- "Accord cadre entre le CEPS et les entreprises du médicament pour la période 2003-2006 - article 6". Site www.sante.gouv.fr/ceps consulté le 30 octobre 2007 : 2 pages.
7- Prescrire Rédaction "Commission de la transparence" Rev Prescrire 2006 ; 26 (273) : 466-467.
8- "Étude Cadeus". Site www.pharmacologie.u-bordeaux2.fr consulté le 17 août 2007 : 6 pages.
9- Prescrire Rédaction "Comment faire émerger des progrès thérapeutiques malgré un système d'innovation en faillite" Rev Prescrire 2006 ; 26 (270) : 225-228.
10- FDA "Postmarketing Study Commitments". Site www.fda.gov/cder/pme consulté le 17 août 2007 : 3 pages.
11- Cour des comptes "La sécurité sociale" Septembre 2007 : 266.