Revue Prescrire, article en une, préservatif avril 2003
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Sida : lettre ouverte à vous, frères du Nord
 
En Afrique, le préservatif est très souvent rejeté, quoique coûtant deux sous. « Finalement que leur faut-il à ces Africains ? » se dit-on dans l'Hexagone. Pourquoi ont-ils du préservatif bon marché et s'obstinent-ils à ne pas l'utiliser ? Pourquoi ne pas s'intéresser à ce qu'il y a sous ce refus ? Un témoignage.
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La semaine de lutte contre le sida, nous offre chaque année, l'occasion de nous abreuver de spots publicitaires sur le sujet : "la pandémie", "le fléau", "la maladie du siècle". Et les mots, les mêmes, sont ressortis, dépoussiérés, réchauffés comme du riz, et resservis. Ils le sont toujours par les mêmes personnes : les ministres de la Santé. Ce n'est pas si mal en soi, mais à quoi bon toute cette littérature, qui nous vient du Nord, ces statistiques, ces discours chiffrés récurrents et redondants, tous ces sketches naïfs que nous connaissons par cœur ? Que nous apporteront-ils qu'ils n'aient apporté depuis une décennie ?

Le constat est amer sous nos tropiques du Sud. Le préservatif ici est systématiquement rejeté, quoique coûtant deux sous. Pourquoi ne pas s'intéresser à ce qu'il y a sous ce refus ? Le préservatif qui est disponible à la bourse du grand public coûte cent francs cfa (un franc français, soit 0,15 euro) la boîte de quatre préservatifs, près de 8 euros dans d'autres pays. Et pourtant, il n'est pas utilisé.

« Finalement que leur faut-il à ces Africains ? » se dit-on dans l'Hexagone. Peut-être et même sûrement se trompe-t-on de question, se trompe-t-on de lutte. Pourquoi ont-ils du préservatif bon marché et s'obstinent-ils à ne pas l'utiliser ? Comment, malgré ces campagnes envahissantes de sensibilisation, véhiculent-ils des idées du genre, « les préservatifs contiennent des virus du sida » ?

Il serait bien difficile voire impossible de demander à nos "frères jeunes du Nord'', de systématiser l'utilisation du préservatif si on ne leur proposait que d'épais et rustres caoutchoucs, des ''cuvettes'' comme l'appellent certains ici, si tant est que cette utilisation concerne une activité dont la fin première est la recherche du plaisir. C'est ridicule la proportion, pour cent mille citadins africains, de ceux qui ont connaissance de l'existence de lubrifiant. Terrifiant. Et cette huile malodorante enduite d'une farine blanche bizarre sur les préservatifs grand public du Sud, et leur diamètre réduit qui étrangle la verge au risque de la refroidir ou de provoquer la strangulation à l'éjaculation, et la qualité robuste du vêtement qui ne laisse filtrer la moindre sensation, tout est fait dirait-on pour décourager le plus conscient des utilisateurs. Et puis, « on ne fait pas l'amour pour ne pas en tirer du plaisir ». Il ne faut donc pas que ceux qui nous envoient de pareilles fabrications se donnent et vous donnent, à vous gens du Nord, bonne conscience par les prix sacrifiés des préservatifs déversés chez nous.

La mondialisation de la qualité, ce n'est pas un luxe. C'est une nécessité qui devrait mettre le Nord et le Sud à armes égales dans leur lutte commune contre le sida. Les études, faites sur plus d'une décennie, gagneraient à être vérifiées et complétées par des missions d'enquêtes diligentées par le Nord pour sauver ce qu'il reste de notre présence terrestre. Ce n'est pas le moment pour le Nord de déposer les armes et de se détourner de ces "gens-là qui refusent d'être sauvés''…

On n'a pas fini la lutte pour le préservatif, le bon, que l'on se perd dans celle de la trithérapie. C'est vrai que cette deuxième lutte gagnerait à être poursuivie et intensifiée, mais celle pour améliorer la qualité du préservatif et introduire les lubrifiants est tout aussi importante. Luttons pour les capotes oui, mais lesquelles ? Nous ne refusons pas de vivre. C'est absurde de le penser. Dépêchez-vous frères du Nord, si nous pouvons encore vous appeler ainsi. Envoyez enquêter et agissez dans le bon sens. À moins, l'idée n'est pas de moi, à moins que tout ait été savamment programmé pour nous rayer de la carte terrestre, ce qui est presque gagné dans beaucoup de régions de mon continent.

Igor T. Egounlety
Observateur indépendant (Cotonou)
Rev Prescr 2003 ; 23 (238) : 311.
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Avant d'être publié dans la revue Prescrire, le texte d'Igor Egounlety avait été accessible sur le forum de discussion électronique E-med : e-med@usa.healthnet.org