Sida : lettre ouverte à vous,
frères du Nord |
|
|
|
En Afrique, le préservatif est très
souvent rejeté, quoique coûtant deux sous. « Finalement
que leur faut-il à ces Africains ? » se dit-on
dans l'Hexagone. Pourquoi ont-ils du préservatif bon marché
et s'obstinent-ils à ne pas l'utiliser ? Pourquoi ne pas
s'intéresser à ce qu'il y a sous ce refus ? Un
témoignage. |
|
|
La semaine de
lutte contre le sida, nous offre chaque année, l'occasion de
nous abreuver de spots publicitaires sur le sujet : "la
pandémie", "le fléau", "la maladie
du siècle". Et les mots, les mêmes, sont ressortis,
dépoussiérés, réchauffés comme
du riz, et resservis. Ils le sont toujours par les mêmes personnes
: les ministres de la Santé. Ce n'est pas si mal en soi, mais
à quoi bon toute cette littérature, qui nous vient du
Nord, ces statistiques, ces discours chiffrés récurrents
et redondants, tous ces sketches naïfs que nous connaissons par
cur ? Que nous apporteront-ils qu'ils n'aient apporté
depuis une décennie ?
Le constat est
amer sous nos tropiques du Sud. Le préservatif ici est systématiquement
rejeté, quoique coûtant deux sous. Pourquoi ne pas s'intéresser
à ce qu'il y a sous ce refus ? Le préservatif qui
est disponible à la bourse du grand public coûte cent
francs cfa (un franc français, soit 0,15 euro) la boîte
de quatre préservatifs, près de 8 euros dans d'autres
pays. Et pourtant, il n'est pas utilisé.
« Finalement
que leur faut-il à ces Africains ? » se dit-on
dans l'Hexagone. Peut-être et même sûrement se trompe-t-on
de question, se trompe-t-on de lutte. Pourquoi ont-ils du préservatif
bon marché et s'obstinent-ils à ne pas l'utiliser ?
Comment, malgré ces campagnes envahissantes de sensibilisation,
véhiculent-ils des idées du genre, « les
préservatifs contiennent des virus du sida » ?
Il serait bien
difficile voire impossible de demander à nos "frères
jeunes du Nord'', de systématiser l'utilisation du préservatif
si on ne leur proposait que d'épais et rustres caoutchoucs,
des ''cuvettes'' comme l'appellent certains ici, si tant est que cette
utilisation concerne une activité dont la fin première
est la recherche du plaisir. C'est ridicule la proportion, pour cent
mille citadins africains, de ceux qui ont connaissance de l'existence
de lubrifiant. Terrifiant. Et cette huile malodorante enduite d'une
farine blanche bizarre sur les préservatifs grand public du
Sud, et leur diamètre réduit qui étrangle la
verge au risque de la refroidir ou de provoquer la strangulation à
l'éjaculation, et la qualité robuste du vêtement
qui ne laisse filtrer la moindre sensation, tout est fait dirait-on
pour décourager le plus conscient des utilisateurs. Et puis,
« on ne fait pas l'amour pour ne pas en tirer du plaisir ».
Il ne faut donc pas que ceux qui nous envoient de pareilles fabrications
se donnent et vous donnent, à vous gens du Nord, bonne conscience
par les prix sacrifiés des préservatifs déversés
chez nous.
La mondialisation
de la qualité, ce n'est pas un luxe. C'est une nécessité
qui devrait mettre le Nord et le Sud à armes égales
dans leur lutte commune contre le sida. Les études, faites
sur plus d'une décennie, gagneraient à être vérifiées
et complétées par des missions d'enquêtes diligentées
par le Nord pour sauver ce qu'il reste de notre présence terrestre.
Ce n'est pas le moment pour le Nord de déposer les armes et
de se détourner de ces "gens-là qui refusent d'être
sauvés''
On n'a pas fini
la lutte pour le préservatif, le bon, que l'on se perd dans
celle de la trithérapie. C'est vrai que cette deuxième
lutte gagnerait à être poursuivie et intensifiée,
mais celle pour améliorer la qualité du préservatif
et introduire les lubrifiants est tout aussi importante. Luttons pour
les capotes oui, mais lesquelles ? Nous ne refusons pas de vivre.
C'est absurde de le penser. Dépêchez-vous frères
du Nord, si nous pouvons encore vous appeler ainsi. Envoyez enquêter
et agissez dans le bon sens. À moins, l'idée n'est pas
de moi, à moins que tout ait été savamment programmé
pour nous rayer de la carte terrestre, ce qui est presque gagné
dans beaucoup de régions de mon continent.
Igor T. Egounlety
Observateur indépendant (Cotonou)
Rev Prescr 2003 ; 23 (238) : 311.
________
Avant d'être publié dans la revue Prescrire, le texte
d'Igor Egounlety avait été accessible sur le forum
de discussion électronique E-med : e-med@usa.healthnet.org
|
|
|
|
|