Depuis les années 1990, aux États-Unis d'Amérique
puis en Europe, de multiples dérogations à la réglementation
de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) ont été
adoptées pour accélérer l'arrivée sur
le marché des nouveaux médicaments.
En contrepartie, les agences de régulation ont affirmé
qu'une surveillance renforcée des médicaments après
AMM serait mise en uvre, notamment via la pharmacovigilance
et les études post-AMM (1,2). Parmi les nouvelles obligations
imposées aux firmes par le cadre législatif européen
adopté en 2004 figurent les "plans de gestion des risques"
(alias PGR, et en anglais RMS pour "risk management systems") (a).
Ces "plans de gestion des risques" sont définis
par une recommandation (alias guideline) de l'Agence européenne
du médicament (EMEA) comme un ensemble d'activités
et d'interventions de pharmacovigilance conçues pour identifier,
caractériser, prévenir ou minimiser les risques liés
aux médicaments, comprenant l'évaluation de l'efficacité
de ces interventions (3). Début 2007, on
dispose d'un peu d'information sur la mise en place des "plans
de gestion des risques". Qu'apportent-ils de plus par rapport
au système habituel de pharmacovigilance ?
Au niveau européen : beaucoup de
recommandations, mais peu de visibilité
Depuis sa création en 1995, l'EMEA produit beaucoup
de recommandations et d'annonces de bonnes intentions. C'est le
cas en matière de pharmacovigilance, avec notamment les rapports
conjoints de l'EMEA et du Groupe de coordination des agences nationales
(Heads of Medicines Agencies) sur l'"avancement" du système
européen de pharmacovigilance (4,5).
La recommandation sur les "plans de gestion des risques",
adoptée par l'EMEA le 20 novembre 2005, les décrit
comme composés de deux parties : la Partie I expose
le profil d'effets indésirables du médicament pressenti
par la firme et le plan de pharmacovigilance adopté en concertation
avec l'agence compétente : activités de routine,
dont les rapports périodiques (alias PSUR pour "periodic
safety update report"), et activités complémentaires
en fonction de risques identifiés ou potentiels (mesure de
l'incidence du risque sur diverses populations en fonction de la
dose et de la durée d'exposition, par rapport à un
médicament de référence, etc).
La Partie II comporte une évaluation du besoin d'activités
de minimisation des risques et, le cas échéant, un
"plan de minimisation du risque". Les exemples d'activités
cités sont classiques : modifications de l'étiquetage
ou du conditionnement, informations aux patients, etc. La recommandation
de l'EMEA cite aussi des "programmes spécifiques d'éducation"
("specific training programmes") (3). Reste à
savoir s'il s'agit parfois de ces programmes dits d'"aide à
l'observance" pilotés par les firmes qui ont fait l'objet
d'un vif débat en France fin 2006 (b)(3).
Depuis un an, beaucoup de "plans de gestion des risques"
ont sans doute été mis en uvre (c), et
beaucoup de données accumulées. Mais, au 1er mars
2007, aucun bilan quantitatif ni qualitatif n'était rendu
public par l'EMEA.
En France, quelques données rendues
publiques
sur les PGR
L'Agence française des produits de santé (Afssaps)
a, pour sa part, publié en octobre 2006 un "bilan d'activité"
après un an de fonctionnement des "plans de gestion
des risques" (6). On y apprend que le département
chargé de la surveillance des risques, du bon usage et de
l'information sur les médicaments suit ces plans en "concertation"
avec les firmes et en "partenariat" avec la Haute autorité
de santé et la Direction générale de la santé (6).
Le bilan souligne que tout a été prévu pour
une "approche globale et coordonnée, mobilisant la gamme
diverse des outils disponibles" (sont citées les notifications
d'effets indésirables, les études de suivi post-AMM,
notamment pharmaco-épidémiologiques) (6).
Selon un compte rendu de la Commission de pharmacovigilance de l'Afssaps,
d'octobre 2005 à septembre 2006, 98 "plans de gestion
des risques" auraient été mis en place pour des
médicaments évalués au niveau européen,
et 12 pour des médicaments évalués au niveau
national (7). Mais le compte rendu ne précise pas quels
sont les médicaments concernés.
Plus récemment, début 2007, l'Afssaps a présenté
à la presse 4 exemples de "plans de gestion des
risques" européens complétés par des plans
nationaux. Il s'agit : pour le rimonabant (Acomplia°),
d'études épidémiologiques pour évaluer
"les signaux potentiels de sécurité et un suivi
des prescriptions" et d'une "surveillance renforcée
des effets indésirables" ; pour la varénicline
(Champix°), d'une étude de pharmacocinétique chez
le sujet âgé, de plusieurs essais cliniques dans des
populations non étudiées avant la mise sur le marché,
et d'un suivi national de pharmacovigilance ; pour le vaccin
papillomavirus 6,11,16,18 (Gardasil°), d'études
pharmaco-épidémiologiques et d'un suivi national de
pharmacovigilance ; et pour la testostérone transdermique
destinée aux femmes (Intrinsa°), d'une "étude
de sécurité d'emploi", d'un suivi de pharmacovigilance
et d'un programme d'éducation et d'information des prescripteurs (d)(8).
En somme : un système peu rassurant
et sous influence des firmes
Les activités de pharmacovigilance prévues par ces
plans sont bien le minimum que les firmes auraient dû faire
depuis longtemps en routine. Certaines études complémentaires
sont bienvenues car elles ne pouvaient pas être réalisées
avant AMM, mais d'autres auraient dû l'être. Ainsi,
le "plan de gestion des risques" de la varénicline,
prévoit une évaluation chez les moins de 18 ans,
les femmes enceintes, les patients atteints de maladies cardiovasculaires,
alors que ce médicament, destiné à arrêter
de fumer du tabac, est déjà commercialisé,
à grand renfort de publicité (8,9). Il est bien
temps ! Quelles que soient les contre-indications du RCP, ces
populations risquent de consommer de la varénicline.
La présence dans certains "plans de gestion des risques"
de programmes "d'éducation des patients", tel le
programme d'aide (par la firme !) au repérage des effets
indésirables du pegaptanib (Macugen°) font craindre une
confusion des rôles entre firmes pharmaceutiques et soignants (10).
En outre, le manque de visibilité sur le suivi des "plans
de gestion des risques" en général n'est pas
fait pour rassurer.
©La revue Prescrire 16 avril 2007
Rev Prescrire 2007 ; 27 (282) : 259-260.
__________
Notes
a- Le cadre législatif européen repose sur la Directive
2004/27/CE et sur le Réglement (EC) n° 726/2004. L'article
8 de la Directive stipule que toute demande d'autorisation de mise
sur le marché soit accompagnée d'"une description
détaillée du système de pharmacovigilance et
le cas échéant, de gestion du risque, que le demandeur
mettra en place". D'autres articles de la Directive (103 et
127) et du Règlement (9-4-c, 23 et 26) complètent
cette obligation.
b- Pour vérifier cela, la revue Prescrire a demandé
au Directeur de l'EMEA de rendre publique la liste des "plans
de gestion des risques" mis en uvre et le nom des spécialités
concernées (réf. 11).
c- Selon la réf. 3, des plans de gestion des risques
devraient être mis en uvre dans beaucoup de cas :
pour tout médicament contenant un nouvelle substance, tout
"biosimilaire" (alias "biogénérique"),
toute copie d'un médicament faisant déjà l'objet
d'un "plan de gestion des risques", toute nouvelle indication
ou autre modification majeure de l'AMM, sauf si l'autorité
compétente ne le juge pas nécessaire. Un "plan
de gestion des risques" peut aussi être exigé
à tout moment (avant et après AMM) par l'autorité
compétente.
d- L'Afssaps a également commencé à mettre
sur son site internet quelques "fiches de synthèse"
des plans de gestions des risques, très succinctes (site
http://afssaps.sante.fr).
__________
Références
1- "An introduction to the U.S. New Drug Approval Process".
In : Mathieu M "New drug development : a regulatory
overview" 6th ed. Parexel, Waltham 2002 : 1-16.
2- Commission européenne "Proposition de Règlement
du Parlement européen et du Conseil - Proposition de Directive
du Parlement européen et du Conseil - Exposé des motifs"
COM (2001) 404 final, 26 novembre 2004 : 209 pages.
3- EMEA-CHMP "Guideline on risk management systems for medicinal
products for human use" 14 November 2005 : 32 pages.
4- EMEA - Heads of Medicines Agencies "Action plan to further
progress the European risk management strategy" 4 May 2005 :
9 pages.
5- Heads of Medicines Agencies Management Group "Report of
the ad hoc working group progress on implementation of the European
risk management strategy" 11 May 2005 : 11 pages.
6- Afssaps "Plan de gestion des risques : bilan d'activité
après un an de fonctionnement" octobre 2006 : 5 pages.
7- Afssaps "Commission nationale de pharmacovigilance - Compte
rendu de la réunion du mardi 28 novembre 2006" 30 janvier
2007 : 14 pages.
8- Afssaps - Les matinées avec la presse "Plans de gestion
des risques : des enjeux à la mise en application"
19 janvier 2007 : 2 pages.
9- Prescrire Rédaction "varénicline-Champix°.
Sevrage tabagique : pas mieux que la nicotine" Rev Prescrire
2006 ; 26 (276) : 645-648.
10- EMEA "EPAR summary for the public-Macugen + Scientific
discussion" January 2006 : 41 pages.
11- La revue Prescrire - Lettres à Thomas Lönngren 17
janvier 2007 : 1 page + 13 février 2007 :
1 page.
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