Revue Prescrire, article en une, "obésologie" extraits thyroïdiens juillet 2006
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Préparations d'extraits thyroïdiens :
Des mesures bienvenues. Enfin !
 
Plus de 25 ans après la publication de la "loi Talon", les pratiques de certains "obésologues" font encore des dégâts. L'affaire parisienne des préparations à base d'extraits thyroïdiens provoque enfin un sursaut.
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Préparations d'extraits thyroïdiens : des mesures bienvenues. Enfin !
Rev Prescrire 2006 ; 26 (274) : 493-494.
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Les nouveaux charlatans
Rev Prescrire 2006 ; 26 (274) : 481.
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Le 9 juillet 1980, a été publiée la "loi Talon", du nom de son rapporteur (1). Elle comportait deux articles : le premier donnant une base légale à l'organisation de la pharmacovigilance en France ; le second permettant d'interdire l'incorporation dans des préparations de certaines substances. Deux décrets d'application concernant ce second point ont été publiés en 1982 (2,3).

Le premier décret a interdit « la prescription sous forme de préparation magistrale et l'incorportation dans une même préparation de substances vénéneuses figurant sur liste annexée (…) » (2). Cette liste comprend 32 diurétiques, 66 psychotropes, 42 anorexigènes et des extraits thyroïdiens : acide thyropropique, acide triiodothyroacétique, hormones thyroïdiennes iodées, thyroïde (poudre et extraits de, modifiés ou non), thyroxine, triiodothyronine (2).

Dans l'esprit du législateur, l'intention a bien été de faire cesser la prescription et la réalisation de préparations à visée amaigrissante et connues comme dangereuses pour la santé. Le rapporteur écrivait alors : ces « prescriptions anormales (…) restent le fait d'un petit nombre de gros prescripteurs géographiquement bien localisés, mais dont le nombre est en progression. Cette multiplication des prescripteurs a abouti à la spécialisation de certaines pharmacies, voire à des compérages (…) » (4). Le communiqué de presse du Ministère de la santé du 10 février 1982 était également clair : « la loi du 7 juillet 1980 a pour objet de mettre fin aux prescriptions aberrantes de certains médecins spécialisés dans les traitements amaigrissants » (5).
En pratique, l'application de ces dispositions, bienvenues, de même que l'application du second décret, interdisant le déconditionnement des spécialités pour les incorporer dans une préparation (sauf préparation pour application cutanée) (3), ont été laborieuses. Des spécialistes de divers domaines, revendiquant de pouvoir prescrire certaines préparations (plus ou moins justifiées), y ont vu une atteinte à leur "liberté de prescription". Des dérogations ont été permises, notamment pour l'adaptation de certaines spécialités à une utilisation en pédiatrie (6).

Des "obésologues" ont contourné la réglementation pendant deux décennies
Mais surtout, des "obésologues", ceux-là mêmes qui étaient visés par la réglementation, ont été les plus prompts à la contourner habilement en prescrivant les anorexigènes, diurétiques, psychotropes, et autres hormones thyroïdiennes sous forme de préparations séparées. En dépit des risques d'effets indésirables de ces préparations, prises simultanément ou séparément (a), certains pharmaciens les ont réalisées et vendues. Certaines substances ont été moins prescrites, mais d'autres les ont remplacées. L'intérêt porté par les autorités aux préparations magistrales ou officinales a été quasi inexistant, et en l'absence de scandale rendu visible, les contrôles se sont relâchés. Comment expliquer autrement la triste affaire parisienne des préparations d'extraits thyroïdiens du printemps 2006 (7) ?
172 personnes ayant utilisé ces préparations (provenant d'une même pharmacie) ont pu être retrouvées, 18 ont été hospitalisées, 1 est décédée et 7 ont été placées sous surveillance ou en réanimation, selon le bilan du Ministère de la santé au 18 mai 2006 (7).
Quelles que soient les causes précises de ces dégâts : erreur de dose lors de la préparation, substances de provenance et de composition incertaines, etc., les leçons à tirer sont multiples. Les réactions des autorités sanitaires et de la profession pharmaceutique ont été rapides et vont, pour le moment, dans le bon sens.

Les leçons d'une affaire grave en 2006
Le Ministère de la santé a demandé le 2 mai 2006 à la Haute autorité de santé de produire une recommandation destinée aux professionnels de santé sur "la réponse à une demande d'amaigrissement" (7). Il a dans le même temps promis " un large débat sur le marché de l'amaigrissement " [NDLR : y compris hors médicament], consultant notamment les associations de personnes concernées. L'essentiel est effectivement d'arrêter de laisser les patients croire aux vertus de substances en réalité dangereuses.
L'Agence française des produits de santé (Afssaps) a déclenché l'alerte et les enquêtes nécessaires et, le 17 mai 2006, son Directeur général a interdit « l'importation, la préparation, la prescription et la délivrance de préparations officinales et hospitalières (…) contenant de la poudre de thyroïde, des extraits de thyroïde, des hormones thyroïdiennes ou des dérivés d'hormones thyroïdiennes (…) » (8,9). L'Afssaps a rappelé les risques graves de l'administration de ces substances à des patients à fonction thyroïdienne normale (risque d'hyperthyroïdie, voire de thyréotoxicose). Elle a précisé que des spécialités pharmaceutiques appropriées sont disponibles pour les patients ayant de véritables troubles thyroïdiens (9).
La réglementation et les référentiels de bonnes pratiques sur les préparations magistrales seront revus, selon le Ministère de la santé (7). Et l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) travaillait déjà, avant cette affaire, à un rapport et à des propositions sur les préparations magistrales (10).
L'Ordre national des pharmaciens a rappelé les obligations des pharmaciens, approuvé les initiatives annoncées, et s'est porté partie civile dans l'affaire de la pharmacie concernée. Une plainte du Conseil Central A (officine) a été déposée auprès de l'instance disciplinaire régionale (b)(11).
Si les dispositions annoncées sont mises en œuvre, avec une information régulière du public, cette affaire navrante aura permis de progresser, enfin, dans l'esprit de la "loi Talon" qui a déjà 26 ans.

©La revue Prescrire 1er juillet 2006
Rev Prescrire 2006 ; 26 (274) : 493-494.

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Notes
a- Pris à fortes doses et/ou de manière prolongée, hors indications appropriées, des diurétiques non associés peuvent avoir des effets indésirables graves, tout comme des extraits thyroïdiens ou d'autres substances non associées. Les associations de plusieurs substances à visée amaigrissante ne sont pas seules en cause.
b- L'Ordre national des médecins ayant jusqu'ici réagi fort discrètement, on peut craindre que certains médecins oublient trop vite cette affaire. Rappelons que l'article R.4235-61 du Code de la santé publique permet au pharmacien de refuser de réaliser et de dispenser une préparation : « lorsque l'intérêt de la santé du patient lui paraît l'exiger, le pharmacien doit refuser de dispenser un médicament. Si ce médicament est prescrit sur une ordonnance, le pharmacien doit informer immédiatement le prescripteur de son refus et le mentionner sur l'ordonnance ».
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Références
1- "Loi n° 80-512 du 7 juillet 1980 complétant l'article L.605 et modifiant l'article L.626 du code de la santé publique et relative à l'innocuité des médicaments et à l'usage des substances vénéneuses" Journal Officiel du 9 juillet 1980 : 1703-1704.
2- "Décret n° 82-200 du 25 février 1982 portant application de l'article L.626 du code de la santé publique relatif à l'usage des substances vénéneuses" Journal Officiel du 27 février 1982 : 695-696.
3- "Décret n° 82-818 du 22 septembre 1982 portant application de l'article L.626 du code de la santé publique relatif à l'usage des substances vénéneuses" Journal Officiel du 26 septembre 1982 : 2871.
4- Sénat "Rapport fait au nom de la Commission des Affaires sociales sur la proposition de loi de M. Bernard Talon relative à l'innocuité des médicaments et à l'usage des substances vénéneuses, présentée par M. Bernard Talon" Séance du 22 mai 1980 : 16 pages.
5- Ministère de la santé - Direction de la pharmacie et du médicament "Communiqué de presse" 10 février 1982 : 2 pages.
6- Prescrire Rédaction "Règles juridiques de prescription et de préparation d'un médicament magistral" Rev Prescrire 1988 ; 8 (76) : 295-299.
7- Ministère de la santé et des solidarités "Communiqué de presse" 18 mai 2006 : 2 pages.
8- Afssaps - Ministère de la santé et des solidarités "Communiqué de presse. Cas de thyréotoxicose" 20 avril 2006 : 1 page.
9- Afssaps "Décision du 17 mai 2006 portant interdiction d'importation, de préparation, de prescription et de délivrance de préparations magistrales, officinales et hospitalières définies à l'article L.5121-1 du code de la santé publique, y compris les préparations homéopathiques à des dilutions inférieures à la deuxième dilution centésimale hahnemannienne, contenant de la poudre de thyroïde, des extraits de thyroïde, des hormones thyroïdiennes ou des dérivés d'hormones thyroïdiennes" : 2 pages. Publiée au Journal Officiel du 13 juin 2006.
10- Fontenelle N et Silvan F "Préparations magistrales. Le pharmacien est responsable" Le Moniteur des Pharmacies 2006 ; (2627) : 8-9.
11- Parrot J "Pour de bonnes préparations magistrales" Les Nouvelles Pharmaceutiques 2006 ; (319) : 1-2.