Mi-mars 2007, le groupe de travail sur l'information-patient du Forum
pharmaceutique européen a mis en consultation publique deux documents :
une liste de "critères de qualité" et un "modèle"
d'information-patient sur le diabète. Nous considérons que les
questions accompagnant cette consultation pré-orientent les réponses
et ne permettent pas de débat démocratique. Elles font de cette
consultation un faux-semblant parmi d'autres destiné à justifier
un projet législatif, préparé de longue date, de dérégulation
de la communication des firmes pharmaceutiques avec le public. Le Collectif
Europe et Médicament ne peut en conscience participer à cette consultation.
Faisant partie des acteurs incontournables sur cette question, il souhaite toutefois
assumer ses responsabilités en apportant, par cette lettre ouverte, sa
contribution en faveur d'un débat honnête et équilibré.
Health Action International* (HAI) Europe et l'International Society of Drug
Bulletins** (ISDB) s'associent à cette démarche et partagent
les préoccupations exprimées par le Collectif Europe et Médicament.
L'opacité et l'absence de méthode du
Forum pharmaceutique restent inadmissibles Le Collectif Europe et Médicament,
avec HAI et l'ISDB, déplore que le Forum pharmaceutique fonctionne depuis
sa création dans une opacité quasi totale (1). Cette consultation
en est une preuve supplémentaire : deux documents sont soumis à
consultation publique sans que leur méthode d'élaboration soit explicitée,
ni que les auteurs et leurs conflits d'intérêts éventuels
soient connus. À écouter les témoignages de nombreux participants
au Forum pharmaceutique, il n'y a même pas eu de méthode d'élaboration
digne de ce nom, ce qui est encore plus grave. On comprend dans ce contexte l'indigence
du résultat. Les critères de qualité
proposés sont flous et loin des patients La liste de critères
proposée est longue, utilisant des termes suffisamment flous pour être
interprétés de manière "flexible". Et surtout,
son titre tend à créer une confusion entre "information-santé"
et "information sur les maladies et les médicaments". Rappeler
ici le but unique de l'information des patients n'est peut-être pas inutile.
L'information attendue par les patients doit leur permettre de répondre
aux questions qu'ils se posent. Elle doit les aider à analyser ce qui les
préoccupe, leur donner une idée réaliste de l'évolution
de leur état de santé, les aider à comprendre les investigations
et les traitements, les résultats qu'ils peuvent en attendre, les choix
parmi les options et les services disponibles. Elle doit les aider à supporter
l'épreuve de la maladie, à obtenir de l'aide (2). Pour
prendre une décision éclairée, il faut disposer d'informations
comparatives, qui présentent l'ensemble des options existantes et, pour
chacune des options, les bénéfices attendus, mais aussi les risques
encourus. Les dramatiques affaires récentes, telles l'affaire Vioxx°
ou l'actuelle affaire Zyprexa°, rappellent que les effets indésirables
sont souvent minimisés voire dissimulés par les firmes pharmaceutiques.
L'information-santé doit répondre
avant tout à trois critères très simples Elle doit
être : - fiable : étayée
par des données probantes (mentionnant les sources de données
au niveau de chaque assertion) ; totalement transparente sur les auteurs
et leurs conflits d'intérêts; mise à jour ; - comparative :
présentant les bénéfices et les risques de l'ensemble des
options thérapeutiques existantes (y compris, le cas échéant,
celle de ne pas traiter) et expliquant l'évolution naturelle de la maladie
ou du symptôme ; - adaptée aux utilisateurs :
compréhensible, adaptée au contexte social, linguistique et culturel
du patient, et facile d'accès. Dans un environnement très concurrentiel,
les firmes pharmaceutiques sont logiquement responsables devant leurs actionnaires
des profits engendrés par les ventes. Elles sont donc tenues de défendre
leurs médicaments au détriment des autres moyens préventifs
ou curatifs. Cela les rend totalement incapables de délivrer l'information
comparative fiable dont les patients ont besoin. Le
"modèle" diabète est un contre exemple d'information-patient Les
acteurs du système de santé (professionnels de santé,
associations de consommateurs et de patients indépendantes des firmes,
autorités de santé et organismes payeurs) n'ont pas attendu que
les firmes s'intéressent à l'"information-patient" pour
produire de l'information pertinente pour les patients. Beaucoup de sources
d'information de qualité sont d'ores et déjà à la
disposition du public, en Europe et dans le monde (2). Certes, des progrès
restent à faire, en particulier pour aider le public à aborder de
manière critique le volume d'information qui ne cesse d'augmenter, et à
faire le tri (a). Avec le "modèle" d'information-patient
sur le diabète, le Forum pharmaceutique demande aux citoyens de se prononcer
sur un document dont on ne sait pas comment il a été élaboré.
La transparence sur les modalités d'élaboration est un préalable
indispensable, si on considère ceux à qui on demande leur avis de
façon respectable et responsable. Nous avons toutefois pris la peine
de lire le document et sommes obligés de constater l'indigence de son contenu.
Il ne répond pas aux questions basiques que se posent les patients, ne
hiérarchise pas les informations, ne compare pas les options thérapeutiques
existantes au regard de leur évaluation et du recul d'utilisation, ne référence
pas ses assertions, etc. C'est l'ensemble de ce document qui serait à reprendre
s'il voulait effectivement répondre à un besoin des patients, ce
qui n'est manifestement pas le cas. Ce "modèle" démontre,
s'il en était besoin, qu'une "information" standard élaborée
au niveau européen, dans le contexte d'un partenariat privé-public,
sans méthode documentaire et rédactionnelle rigoureuse, n'est d'aucun
service aux patients. Nous voulons croire, Messieurs les Commissaires, que
la Commission européenne saura remettre ce processus en question, et renoncera
à financer ce type de projets, inadaptés aux réalités
des citoyens européens. Nous demandons que
cesse la confusion des rôles savamment entretenue Au prétexte
de défendre le droit des patients à l'information, quelques députés
s'efforcent depuis plusieurs mois, à grand renfort de communications en
tous genres (séminaires, animation de workshops, conférences
de think-tanks opportunément créés) de désinformer
l'opinion en laissant croire que l'Europe serait un désert en termes d'information
de qualité sur la santé, et que seules les firmes pharmaceutiques
seraient en mesure de remédier à cette situation. Le Collectif
Europe et Médicament, avec HAI et l'ISDB, rappelle à nouveau que
les "informations" que sont à même de fournir les firmes
pharmaceutiques sont par nature promotionnelles, et que l'emploi du terme "information"
dans ce contexte relève d'une utilisation abusive, pour qualifier ce qui
n'est in fine que publicité. La capacité des patients-citoyens à
décider de leurs soins doit être d'autant plus protégée
de l'influence de la publicité déguisée en "information",
qu'ils sont affaiblis par la maladie. Les besoins en information sont complexes,
diffèrent et évoluent selon les personnes. Les différences
de capacités physiques et/ou mentales, de niveau de formation et de moyens
économiques déterminent le type d'information attendue par les patients
et la façon dont ils vont l'utiliser. Informer les patients, en s'adaptant
au plus près de leurs attentes, implique une relation de confiance qui
s'inscrit dans le travail quotidien des professionnels de santé, des associations
de malades indépendantes, de l'entourage du patient et dans la mission
des bulletins indépendants destinés au public (2). Les
firmes pharmaceutiques ont un rôle différent à jouer, bien
spécifique : la législation les oblige à fournir des
médicaments correctement étiquetés et accompagnés
d'une notice informative à l'intention des patients. La Directive 2004/27/CE
exige que ces notices soient évaluées par les patients (3).
Cette disposition importante faisait cruellement défaut. La mise au point,
par les firmes, de conditionnements informatifs et sécurisés, et
de notices pertinentes peut contribuer à un meilleur usage des médicaments
et à la prévention des erreurs médicamenteuses (4).
Il y a beaucoup de progrès à faire dans ce domaine, et certaines
firmes semblent s'engager dans cette voie. Toute confusion des rôles
de ces différents acteurs expose au risque de nuire à la qualité
des soins et à la liberté pour chacun de choisir au mieux selon
ses besoins. Nous vous rappelons votre mission de
protection de la santé publique Après un premier échec
législatif en 2002 par le rejet massif par le Parlement de l'introduction
de la communication directe des firmes avec le public, il semble que la Commission
européenne et les firmes, avec le soutien actif de quelques députés,
reprenne l'initiative, en profitant du fait que plus de 70 % des membres du Parlement
européen ont été renouvelés. Ce petit jeu, qui consiste
à remettre régulièrement en cause des choix démocratiques
pour les intérêts de quelques-uns, doit-il se reproduire à
chaque renouvellement du Parlement européen ? Nous ne le souhaitons pas.
Le Collectif Europe et Médicament déplore que la Commission
européenne, chargée simplement par le Parlement de présenter
un rapport en 2007 sur les bénéfices et les risques de l'information
mise à la disposition du public, y compris via internet, et de faire éventuellement
des propositions (Directive 2004/27/CE - article 88a), outrepasse son rôle (b).
Elle biaise le débat en prenant clairement position en faveur de la communication
des firmes auprès du public, sous couvert de partenariats privé-public
qui ne trompent personne (5,6,7). Ces prises de position ne tiennent pas
compte des données internationales sur les nuisances de la communication
des firmes avec le public, et du travail mis en uvre depuis longtemps par
les acteurs du système de soins en matière d'information-patient
dans un objectif de santé publique. Le marché des produits de
santé n'est pas un marché comme les autres. Les patients ne sont
pas des consommateurs. Soutenir la compétitivité des firmes pharmaceutiques
ne doit pas faire oublier à la Commission sa responsabilité majeure
dans la protection de la santé publique des citoyens européens (article
152 du Traité instituant la Communauté européenne). Nous
vous rappelons quelques propositions simples pour améliorer l'accès
des citoyens à une information pertinente En pratique, l'amélioration
de l'accès des citoyens européens à une information pertinente
sur la santé suppose de : - garantir la transparence des agences
des produits de santé pour faire en sorte que le public puisse effectivement
accéder aux données d'évaluation de l'efficacité et
des risques, avant et après mise sur le marché des médicaments
et produits de santé ; - faire en sorte que les firmes pharmaceutiques
respectent leurs obligations en matière de conditionnement des médicaments ;
- développer et renforcer, au niveau de chaque État membre,
les sources d'information fiable et comparative sur les options thérapeutiques ;
- permettre aux patients de participer directement à la notification
des effets indésirables des médicaments, contribuant ainsi à
un meilleur usage des médicaments ; - faire intégralement
appliquer la réglementation européenne sur la publicité pour
les médicaments ; - et surtout mettre fin à la confusion
des rôles entre les firmes pharmaceutiques et les autres acteurs. Le
Collectif Europe et Médicament, Health Action International Europe et l'International
Society of Drug Bulletins appellent, Messieurs les Commissaires, la Commission
européenne à prendre ses responsabilités en intégrant
ces propositions dans le rapport sur l'information-patients en Europe prévu
par la Directive 2004/27/CE et dont la version provisoire vient d'être mise
en consultation (b). Le Collectif Europe et Médicament, HAI
Europe et l'ISDB vous remercient de porter attention à ces préoccupations,
qui sont celles d'un grand nombre de citoyens européens inquiets de la
marchandisation du domaine de la santé. ©Collectif
Europe et Médicament 3 mai 2007 à l'exception des membres
du Collectif qui participent aux travaux du Forum pharmaceutique : ils souhaitent,
en cohérence avec leur engagement, adresser leurs objections et propositions
à la Commission dans le cadre des groupes de travail du Forum. *
HAI Europe envoie aussi, à titre individuel, une réponse à
la consultation. ** L'ISDB a aussi produit un communiqué de presse sur
le sujet "Patient-'information' by Big Pharma : A threat to public health" (www.isdbweb.org).
________
Notes a- Pour ce faire, de nombreux outils spécifiques
d'évaluation et de mesure de la qualité de l'information sur la
santé ont été élaborés pour aider à
bien repérer l'information de qualité disponible (ref. 2). b-
Nous vous adresserons une seconde lettre ouverte à propos du rapport provisoire
sur l'état de l'information-patient dans l'Union européenne, mis
en consultation jusqu'au 30 juin 2007. ________ Références 1-
Position conjointe du Collectif Europe et Médicament, de l'International
Society of Drug Bulletins, de Health Action International Europe "Information-santé :
chacun sa place" mars 2007 : 4 pages. 2- Déclaration conjointe
de HAI Europe, de l'ISDB, du BEUC, de l'AIM et du Collectif Europe et Médicament
"Une information-santé pertinente pour des citoyens responsables"
3 octobre 2006. Site internet www.prescrire.org : 9 pages. 3- European
Commission "Guidance concerning consultations with target patient groups
for the package leaflet" May 2006 : 5 pages. 4- European Commission
Notice to applicants "Guideline on the packaging information of medicinal
products for human use authorised by the Community" March 2007 : 34
pages. 5- Verheugen G " Pharmaceutical Forum : delivering better
information, better access and better prices" Brussels 29 September 2006.
Site internet http://europa.eu consulté le 23 octobre 2006 : 4 pages.
6- Kyprianou M "Pharmaceutical Forum : delivering better information,
better access and better prices" Brussels 29 September 2006. Site internet
http://europa.eu consulté le 23 octobre 2006 : 5 pages. 7- European
Commission "Draft report on current practices with regard to provision of
information to patients on medicinal products, in accordance with article 88a
of Directive 2001/83/EC, as amended by Directive 2004/27/EC on the community code
relating to medicinal products" 19 April 2007 : 27 pages. |