L'attente du public est forte en matière d'information
sur la santé. D'où la publication de nombreux ouvrages
et la naissance de multiples collections. Le développement
de ce "créneau commercial" voit se côtoyer
le pire et le meilleur.
S'intéresser à l'information destinée
au grand public
L'objectif premier de la revue Prescrire est de s'adresser aux professionnels
de santé pour les aider dans leur rôle de soignant.
Depuis longtemps, l'équipe de la revue s'intéresse
aussi à la qualité de l'information transmise au public
dans le domaine de la santé, comme en témoignent des
présentations d'ouvrages "pour les patients" dans
la rubrique "Lu pour vous", des éditoriaux (1à3),
des articles (4à7), les communiqués de presse rédigés
à destination de la presse grand public, sur chaque numéro
de la revue, et en consultation libre sur le site internet www.prescrire.org,
etc.
Lorsque nous sélectionnons quelques ouvrages pour leur qualité
d'ensemble, nous restons souvent critiques sur certains points qui
nous paraissent présenter des insuffisances.
Quels sont les principaux critères de qualité des
ouvrages destinés au grand public, pris en considération
par la Rédaction de la revue Prescrire ?
Ces critères, rapportés ici à des ouvrages,
concernent en fait tout support d'information en santé destinée
au public. Ils ne diffèrent pas notablement selon qu'il s'agisse
d'ouvrages "grand public" ou d'ouvrages destinés
à des patients. À l'exception de quelques caractères
spécifiques aux non-professionnels, ce sont aussi les critères
de qualité de tout texte de synthèse (a).
Répondre aux questions des lecteurs
Il est d'abord attendu d'un ouvrage qu'il réponde aux questions
qui se posent sur le sujet traité, notamment aux questions
que se posent les patients ou leur entourage. En un mot que cet
ouvrage soit utile à ses lecteurs. Ceci suppose généralement
une cible précise : il est difficile, par exemple, de
s'adresser en même temps au grand public et à des spécialistes.
Dans la réalité, de nombreux ouvrages répondent
d'abord aux préoccupations individuelles d'un auteur ou à
un objectif commercial, plutôt qu'aux besoins du public visé.
Par exemple, ils peuvent faire la place trop belle à la physiopathologie
ou à une méthode thérapeutique, et oublier
d'apporter les informations pratiques attendues.
Veiller à l'indépendance des auteurs
Certaines conditions sont nécessaires pour garantir une information
objective et honnête, en particulier : des auteurs qui
ne soient pas juge et partie, un mode de financement de l'ouvrage
clair et qui mette à l'abri de toute pression sur son projet
éditorial et sur son contenu.
Faciliter la lecture, sans concession sur la
solidité de l'information
Un ouvrage destiné au public doit avant tout être fiable,
c'est-à-dire conforme aux données actuelles de la
science. Certes la présentation d'une information doit être
adaptée au public ; mais les sources doivent être
aussi solides que celles d'ouvrages destinés aux soignants
(et le plus souvent elles doivent être les mêmes) ;
ces sources doivent être précisées par les auteurs.
Les différentes options, en particulier thérapeutiques,
doivent être citées et hiérarchisées
en fonction des données de l'évaluation. Les niveaux
de preuves des principales affirmations doivent être indiqués
de manière compréhensible pour un non-professionnel.
Les informations doivent être datées, et mises à
jour lorsque c'est nécessaire.
De nombreux ouvrages destinés au grand public ont une présentation
claire, lisible, pratique, illustrée si besoin. Par contre,
plus rares sont ceux dont le ton est pondéré, sans
inquiéter de manière injustifiée, ou à
l'inverse sans cacher la vérité ni éluder les
questions difficiles.
L'implication de patients, au moins en relecture, mais de préférence
dès le début de la conception d'un ouvrage qui leur
est destiné, est un facteur important qui intervient sur
la qualité du résultat final ; elle est rarement
mise en uvre (b).
Trop de "coups médiatiques"
sans lendemain
Il importe que les ouvrages de qualité soient facilement
accessibles, et qu'ils le restent et soient régulièrement
actualisés : foin des campagnes d'information bruyantes
mais fugaces, des documents de qualité distribués
en masse durant quelques mois et qui disparaissent ensuite. Les
besoins d'information en santé publique sont permanents et
non ponctuels.
Il est relativement facile de vérifier, par simple observation
avec un regard critique, si un ouvrage répond à la
plupart de ces critères de qualité. L'estimation de
la fiabilité d'un ouvrage nécessite toutefois une
bonne connaissance du sujet traité. Pour cela, le travail
d'une équipe pluridisciplinaire et la consultation d'autres
sources étayées sont nécessaires.
Des exigences de qualité largement partagées
Ces quelques critères, fruits de l'expérience de la
revue Prescrire, sont largement partagés au niveau international
par d'autres équipes qui s'intéressent à l'information
du public.
C'est par exemple le cas du King's Fund, organisme britannique indépendant
(8), de l'observatoire britannique de la presse grand public "Hitting
the Headlines", destiné à aider patients et professionnels
de santé à mieux interpréter l'information
sur les "innovations médicales" qui fait régulièrement
les gros titres de la presse nationale britannique (9), ou du site
internet gouvernemental australien HealthInsite (http://www.healthinsite.gov.au)
(10).
Ces critères rejoignent également des recommandations
et des notions d'éthique développées par différents
groupes. Ainsi, selon les recommandations de l'Agence nationale
d'accréditation et d'évaluation en santé française
(Anaes), l'information du patient doit " être hiérarchisée
et reposer sur des données validées " (11). Le
Comité consultatif national d'éthique français
recommande une information " loyale, claire et appropriée
", et précise que, dans une décision partagée,
" la compétence et la responsabilité du médecin
sont idéalement associées à l'information complète
du patient sur les différentes options " (12). La déclaration
d'Erice sur la communication d'informations concernant la sécurité
d'emploi des médicaments précise notamment "
L'information sur les médicaments destinée au grand
public, sous quelque forme que ce soit, devrait être équilibrée
en tenant compte des risques et des bénéfices "
(13).
Des supports pour améliorer la communication
soignant-patient
De bons documents d'information en santé mis à disposition
des patients aident les soignants dans leur rôle d'information,
et ils contribuent au partage des décisions entre soignés
et soignants. Les soignants sont alors d'autant plus encouragés
à faire reposer leurs décisions sur des données
solides et non sur des opinions ou des arguments partisans.
Au contraire, la diffusion au public et aux patients d'informations
inexactes, imprécises, biaisées, ou obsolètes,
variables d'un document à l'autre, est source d'incompréhensions
de la part du public et de dégradation des relations quotidiennes
entre soignants et soignés.
En tant que professionnels de santé nous devons veiller à
la qualité des ouvrages, et plus généralement
des documents quel qu'en soit le support, que nous conseillons aux
patients.
© La revue Prescrire 1er octobre 2004
Rev Prescrire 2004 ; 24 (254) ; 701-702.
__________
Notes
a- Parlant ici des contenus, nous n'abordons pas la question de
l'adaptation des supports aux besoins du public (ouvrages, dépliants,
sites internet, etc.), ni celle du coût des ouvrages.
b- Nous avons eu l'occasion de présenter quelques ouvrages
qui ont impliqué des patients ou des consommateurs à
différents stades de leur élaboration (réf. 14,15).
________
Références
1- Prescrire Rédaction "Diffusez les données
!" Rev Prescrire 2002 ; 22 (227) : 241.
2- Prescrire Rédaction "Pièges" Rev Prescrire
1999 ; 19 (200) : 721.
3- Prescrire Rédaction "Détails" Rev Prescrire
1998 ; 18 (186) : 481.
4- Prescrire Rédaction "Presse. Trop de "scoops"
médicaux sans valeur" Rev Prescrire 2004 ; 24 (248) :
223.
5- Prescrire Rédaction "Redresser le cap de la politique
européenne des médicaments (suite). Publicité
directe au public : la désastreuse expérience
américaine" Rev Prescrire 2002 ; 22 (232) :
703-706.
6- Prescrire Rédaction "Gare à l'information
sur les médicaments dans les médias" Rev Prescrire
2001 ; 21 (222) : 778.
7- Prescrire Rédaction "Médicaments et presse
grand public" Rev Prescrire 1996 ; 16 (163) : 478.
8- Prescrire Rédaction "Recommandations. Critères
de qualité des documents d'information aux patients"
Rev Prescrire 2002 ; 22 (234-Suppl. Ensemble) : 934-937.
9- Hitting the Headlines. Site internet http://www.nelh.nhs.uk consulté
le 10 juin 2004.
10- HealthInsite "Assessment of content for HealthInsite"
Site internet http://www.healthinsite.gov.au consulté le
13 mars 2004 (sortie papier disponible : 19 pages).
11- Agence nationale d'accréditation et d'évaluation
en santé (Anaes) "Information des patients - Recommandations
destinées aux médecins" Service des recommandations
et références professionnelles, Paris mars 2000 :
64 pages. Ce rapport est disponible par téléchargement
sur le site internet de l'Anaes : http://www.anaes.fr. Présenté
dans Prescrire Rédaction "Recommandations. Informer
les patients pour partager les décisions" Rev Prescrire
2002 ; 22 (234 suppl.) : 931-934.
12- Comité consultatif national d'éthique "Consentement
éclairé et information des personnes qui se prêtent
à des actes de soins ou de recherche" Rapport et recommandations
n° 58, 12 juin 1998 : 29 pages. Rapporté dans Prescrire
Rédaction "Comité d'éthique. Consentement
éclairé aux soins et information des soignés"
Rev Prescrire 2002 ; 22 (234-Suppl. Ensemble) : 930-931.
13- "La déclaration d'Erice" Rev Prescrire 1998 ;
18 (187) : 599.
14- Doubovetzky J et Maurel F "Femmes de 50 ans, bien vivre
votre santé. Comment garder la forme et préserver
l'avenir" Éditions Balland/Jacob-Duvernet, Paris 1998 :
128 pages. Présenté dans Rev Prescrire 1999 ;
19 (195) : 390.
15- "Comprendre le cancer du sein non métastatique -
Guide à l'usage des patientes et de leurs proches" Fédération
Nationale des Centres de Lutte Contre le Cancer (FNCLCC), Paris
2000 : 112 pages. Présenté dans Rev Prescrire
2001 ; 21 (215) : 230.
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