Revue Prescrire, article en une, Europe et médicament AMM conditionnelle janvier 2005
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Europe et médicament :
Autorisation conditionnelle de mise sur le marché
 
Le projet de règlement sur l'autorisation conditionnelle de mise sur le marché des médicaments met en danger les populations.
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Le projet de règlement sur l'autorisation conditionnelle de mise sur le marché des médicaments met en danger les populations

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Le principe de l'autorisation de mise sur le marché des médicaments a été adopté en Europe avec, selon le premier considérant de la Directive 65/65/CEE du 26 janvier 1965, "la sauvegarde de la santé publique" comme objectif essentiel.
Depuis ces quarante dernières années, la réglementation de l'autorisation de mise sur le marché a été complétée et rendue plus complexe, mais sans que cet objectif essentiel soit remis explicitement en cause. La revue Prescrire a toutefois noté la tendance de la Commission européenne à oublier de plus en plus la protection de la santé publique et à privilégier la compétitivité des firmes pharmaceutiques. En particulier, lors de l'élaboration de la Directive 2004/27/CE et du Règlement (CE) 726/2004, il a fallu toute la détermination du Collectif Europe et Médicament et d'autres représentants de la société civile, pour éviter que le cadre législatif qui s'applique aujourd'hui au médicament ne s'écarte pas des objectifs de santé publique.
Le projet de règlement la Commission européenne sur l'autorisation conditionnelle de mise sur le marché des médicaments fait craindre une nouvelle dérive que la revue Prescrire veut dénoncer ici avec force.

Des AMM conditionnelles sont d'ores et déjà octroyées, sans suivi rigoureux
De fait, il est déjà fréquent que des autorisations de mise sur le marché accordées par la procédure européenne centralisée le soient sous conditions. Ce phénomène n'est guère visible : il apparaît seulement dans les dernières lignes des rapports d'évaluation (alias EPAR) de l'Agence européenne du médicament (EMEA) qui précisent que la commission d'autorisation de mise sur le marché a donné un avis favorable à l'octroi de l'autorisation de mise sur le marché (AMM), à condition que la firme réalise certains essais cliniques complémentaires, ou termine certains essais, ou mette en œuvre d'autres travaux tels une étude de suivi de pharmacovigilance sur les premiers patients prenant le médicament après AMM.
La revue Prescrire a déjà souligné que cette manière de procéder est particulièrement risquée, car elle revient à laisser mettre sur le marché des médicaments insuffisamment évalués. Une telle autorisation sous conditions peut se concevoir en situation d'urgence, pour des malades en impasse thérapeutique auxquels le nouveau médicament est susceptible d'apporter un progrès, mais elle ne doit en aucun cas se généraliser. La revue Prescrire a par ailleurs dénoncé l'absence de visibilité sur le suivi des engagements des firmes à remplir les conditions. Et tout donne à penser que, dans une forte proportion, les études demandées ne sont pas mises en œuvre ou sont retardées.

L'officialisation d'une procédure dangereuse
Le règlement (CE) 726/2004 a officialisé le principe d'une AMM conditionnelle, stipulant dans son article 14.7 qu'une AMM (européenne centralisée) peut être accordée en soumettant le demandeur à certaines obligations, qui seront revues annuellement par l'Agence. Le Collectif Europe et Médicament avait interprété cet article comme donnant une possibilité, à titre exceptionnel. Il avait toutefois demandé, et obtenu l'ajout de la phrase suivante : " la liste de ces obligations doit être rendue publique ".
Un alinéa de cet article 14.7 prévoyait que les modalités d'octroi d'une telle AMM conditionnelle seraient définies par un autre règlement, règlement dont le projet est aujourd'hui proposé par la Commission.
À la lumière des affaires de pharmacovigilance qui se multiplient, le projet actuel de règlement présenté par la Commission est inadmissible du point de vue de la santé des populations. Tel qu'il se présente aujourd'hui, il ne vise pas à venir en aide à des malades en détresse dans quelques cas exceptionnels, mais à ouvrir en grand les portes du marché européen à des médicaments insuffisamment évalués :

- un champ d'application beaucoup trop large : selon le projet d'article 2, la procédure pourra concerner tout médicament pour le traitement, la prévention, ou le diagnostic de toute maladie chronique ou gravement invalidante ou constituant une menace pour la vie des patients ; ainsi que tout médicament orphelin et tout médicament à utiliser en situation d'urgence (vraisemblablement en cas de pandémie, d'attaque de bioterrorisme, etc.). La dernière partie de cette définition (médicament orphelin et situation d'urgence) est acceptable, mais le début de la définition élargit le champ d'application à de très nombreux médicaments et elle est inacceptable ;

- des critères d'octroi beaucoup trop vagues : le projet d'article 4 stipule que la procédure s'applique si le demandeur " est capable de démontrer que la balance bénéfices-risques de son médicament est présumée positive ". Et le projet d'article 5, très bref, qui concerne l'évaluation de la demande ne donne aucune précision sur le type de preuves à apporter par le demandeur, ni sur les critères d'évaluation. Il précise simplement que les éventuels essais supplémentaires exigés comme conditions à l'octroi de l'AMM conditionnelle, ne doivent pas être plus contraignants que pour une AMM normale. S'agissant de pathologies graves, le moins que l'on puisse exiger est la réalisation d'essais comparatifs contre traitement de référence, sur des critères cliniques d'évaluation ;

- des modalités de suivi non contraignantes : le projet d'article 6 prévoit que l'AMM conditionnelle est octroyée pour un an, et qu'elle est renouvelable si besoin, mais que la Commission d'autorisation de mise sur le marché peut aussi décider que les conditions peuvent être modifiées et que l'AMM peut être confirmée sans condition. Et le projet d'article 9 qui porte sur la pharmacovigilance prévoit seulement une remise de rapports périodiques par le demandeur au moins tous les six mois.

- une information des patients trop discrète : le projet d'article 7 prévoit que le statut particulier des médicaments sous AMM conditionnelle figurera sur le résumé des caractéristiques du produit et sur la notice. Mais pour que les patients soit mieux informés, une mention devrait aussi figurer sur la boîte.

Un projet inadmissible au regard des affaires de pharmacovigilance qui se multiplient

Sans entrer ici dans le détail de ce projet de règlement, la revue Prescrire demande qu'il soit repensé radicalement, en particulier sur les points concernant le champ d'application, les critères d'évaluation, et le suivi des conditions. Les quelques garanties de transparence des procédures qui figurent dans le projet sont la moindre des choses, mais elles ne servent à rien si l'objectif du texte n'est plus d'aider les patients, mais seulement de faciliter l'accès au marché de médicaments insuffisamment évalués.
La procédure d'octroi d'une AMM conditionnelle telle que définie dans le projet actuel représente un danger pour la santé publique. La revue Prescrire et les professionnels de santé qui se reconnaissent dans sa démarche s'opposent à ce projet inadmissible à l'heure où de trop nombreux patients sont déjà victimes de médicaments imprudemment mis sur le marché.

©La revue Prescrire 15 janvier 2005