La survenue d'un événement indésirable dans
le cadre des soins est toujours une situation dérangeante,
et parfois grave. Cette situation est d'autant plus pénible
lorsque cet événement est évitable, et lié
à une erreur humaine commise au cours des soins.
Questions difficiles a aborder
L'erreur en médecine est un sujet largement débattu
aux États-Unis d'Amérique depuis plusieurs années,
à l'initiative de l'Institute of Medicine (a)(1). En France,
la nécessité d'analyser les erreurs médicales
a été abordée en 2003 par l'Académie nationale
de médecine et, englobée sous le terme de "iatrogénie",
dans le cadre de la préparation de la loi de programmation
quinquennale en santé publique (b)(2,3).
Jusqu'ici, l'essentiel de la recherche sur les événements
indésirables évitables s'est fondé sur l'analyse
des dossiers d'hospitalisation (4,5). Plus difficiles à
observer, les soins ambulatoires sont moins bien évalués (6).
De surcroît, les recommandations en matière de sécurité
et de qualité des soins, pertinentes pour le fonctionnement
hospitalier, ne sont pas toujours adaptées à la pratique
des soins ambulatoires, en matière de risque infectieux par
exemple (7).
Peu d'études et des méthodes différentes
On ne sait finalement pas grand chose sur la nature et la fréquence
des événements indésirables évitables
en soins ambulatoires (1,3,8,9). Une synthèse de la littérature,
portant sur la période allant de 1965 à mars 2001, n'a
repéré que 4 études spécifiques et 3 études
concernant indirectement ce sujet (10à15). Dans les études,
les indicateurs de la qualité des soins ambulatoires sont variés
: les causes évitables de décès (15) ;
les déclarations d'incidents ou de dommages (12,16) ;
les hospitalisations évitables (6) ; les déclarations,
par des médecins généralistes, d'événements
indésirables évitables (11,13,14,17,18,19).
Dans une étude, britannique, portant sur les 30 790 patients
de 14 médecins généralistes, 5,1 % des 1 263
décès survenus en 40 mois ont été imputés
aux soins ambulatoires et estimés évitables (15).
Déclarations aux assureurs
Une approche consiste à exploiter les banques de données
de déclarations de dommages corporels gérées
par les gestionnaires de risques ou les assureurs couvrant la responsabilité
civile professionnelle des professionnels de santé (12,16).
Les données françaises ont montré en 2001 un
taux global de déclarations de dommages de 1,59 % pour
environ 200 000 professionnels de santé, et de 1,2 % pour
les médecins généralistes libéraux (16).
Mais il est difficile de faire la part entre les soins ambulatoires
et les soins hospitaliers parmi des résultats surtout détaillés
par discipline médicale (16).
Motifs d'hospitalisation
Sur le plan épidémiologique, seules les conséquences
graves de défaillances dans la qualité des soins ambulatoires
sont repérées par les études hospitalières
utilisant comme indicateur le taux d'admissions résultant d'événements
indésirables évitables. Dans une synthèse publiée
en 2000, ces admissions représentaient entre 5 % et 36 %
des admissions en services de médecine, et entre 11 %
et 13 % en soins intensifs d'adultes (6).
Recherches volontaires
Une autre approche consiste à analyser des événements
indésirables déclarés volontairement par des
médecins, puis à identifier les événements
évitables, car dus à des erreurs. Les études
les plus récentes ont retenu une définition fonctionnelle
de l'erreur en médecine, conforme à l'acception de l'Institute
of Medicine américain, mais plus apte à susciter leur
repérage par les participants : « n'importe
quel événement inattendu, non anticipé, survenu
au cours de votre propre pratique, et dont vous pensez : "ceci
a menacé le bien-être du patient et n'aurait pas dû
arriver. Je ne veux pas que cela se reproduise à nouveau".
Un tel événement est susceptible d'affecter la qualité
des soins que vous prodiguez à vos patients. Il peut être
grand ou petit, administratif ou clinique, mais vous considérez
qu'il doit être évité à l'avenir » (14,19).
Cette définition est suffisamment large pour englober tous
les évènements indésirables susceptibles de survenir
lors des soins ambulatoires, y compris lorsqu'ils ne présentent
pas de conséquence grave.
Dans une étude pilote, conduite en médecine générale
avec cette méthode, en Australie, entre octobre 1993 et juin
1995, plus des trois quarts des évènements indésirables
déclarés ont semblé évitables, les erreurs
médicamenteuses apparaissant comme les plus fréquentes,
mais moins graves que les erreurs de diagnostic (13,17,18).
Des recherches analogues sont engagées aux États-Unis
d'Amérique (14) ou dans le cadre d'une collaboration internationale (c)(19).
D'abord classer, pour mieux comprendre
Le repérage et la description des événements
indésirables évitables survenant au cours des soins
ambulatoires sont une étape indispensable pour tenter de comprendre
comment des défaillances se produisent, et comment les prévenir (9,10,14,20).
Une classification des erreurs en médecine générale
a ainsi été présentée à partir
d'une synthèse de la littérature disponible pour les
soins ambulatoires (10). Les événements indésirables
évitables ont été classés en 3 catégories,
selon qu'ils se produisent lors du diagnostic, du traitement (médicamenteux
ou non), de la prévention (10). Les causes d'erreurs ont
été classées en 4 types selon qu'elles sont imputables
au clinicien, à la communication entre professionnels de santé
ou entre soignants et patients, à l'organisation des soins
ou à des facteurs extérieurs (sociaux, financiers, etc.) (10).
Le plus souvent, l'origine d'un événement indésirable
évitable s'avère multifactorielle (6).
Des recherches difficiles mais prometteuses
Rien ne permet de préjuger d'une moindre importance et d'une
moindre gravité des risques encourus par les patients au cours
des soins ambulatoires.
Des études épidémiologiques et d'observation
sont nécessaires pour mieux évaluer les risques en médecine
ambulatoire : en termes de prévalence, par catégories
d'événements indésirables évitables, par
types d'erreurs, et en termes de gravité clinique (8,9).
Cette recherche sur l'erreur en médecine est d'autant plus
courageuse qu'elle est culpabilisante, même en l'absence de
toute faute (2). Pourtant, seule une connaissance correcte des
causes d'événements indésirables évitables
peut permettre d'élaborer des stratégies de prévention
des erreurs humaines susceptibles de survenir au cours des soins ambulatoires (8,9).
Il restera à évaluer ensuite l'impact de ces interventions
pour fonder des recommandations utiles pour la pratique quotidienne.
©La revue Prescrire 1er août 2003
Rev Prescr 2003 ; 23 (241) : 543-544.
__________
Notes
a- Prenant en compte les données actuelles en matière
de psychologie, d'ergonomie et de fiabilité humaine, l'Institute
of Medicine a défini la sécurité des soins
comme l'absence de dommages induits, et l'erreur comme « l'échec
de la conduite d'une action planifiée à ses fins désirées
(par exemple, erreur d'exécution) ou le recours à
une planification erronée pour atteindre un objectif » (réf.
1).
b- Curieusement, le rapport de l'Académie française
de médecine ne fait pas mention du seul ouvrage de synthèse
français disponible sur le sujet, cité dans la réf.
21.
c- Conduite à l'initiative du Robert Graham Center, un centre
de recherche indépendant en médecine générale
créé par l'American Academy of Family Physicians,
l'étude PCISME (pour Primary Care International Study of
Medical Errors) a recueilli des déclarations d'erreurs médicales
émanant de généralistes américains,
australiens, britanniques, canadiens, néerlandais et néo-zélandais
au cours du second semestre 2001 (réf. 19).
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