Revue Prescrire, article en une, Erreurs en médecine ambulatoire août 2003
Prescrire     Accueil  
 
Article en Une - Archive
Erreurs en médecine ambulatoire :
une recherche balbutiante
 
Seule une connaissance correcte des causes d'événements indésirables évitables peut permettre d'élaborer des stratégies de prévention des erreurs humaines susceptibles de survenir au cours des soins.
Pour en savoir plus
 

Pour imprimer le texte ci-contre, au format pdf
(81 Ko)
Cliquer ici
La survenue d'un événement indésirable dans le cadre des soins est toujours une situation dérangeante, et parfois grave. Cette situation est d'autant plus pénible lorsque cet événement est évitable, et lié à une erreur humaine commise au cours des soins.

Questions difficiles a aborder
L'erreur en médecine est un sujet largement débattu aux États-Unis d'Amérique depuis plusieurs années, à l'initiative de l'Institute of Medicine (a)(1). En France, la nécessité d'analyser les erreurs médicales a été abordée en 2003 par l'Académie nationale de médecine et, englobée sous le terme de "iatrogénie", dans le cadre de la préparation de la loi de programmation quinquennale en santé publique (b)(2,3).
Jusqu'ici, l'essentiel de la recherche sur les événements indésirables évitables s'est fondé sur l'analyse des dossiers d'hospitalisation (4,5). Plus difficiles à observer, les soins ambulatoires sont moins bien évalués (6). De surcroît, les recommandations en matière de sécurité et de qualité des soins, pertinentes pour le fonctionnement hospitalier, ne sont pas toujours adaptées à la pratique des soins ambulatoires, en matière de risque infectieux par exemple (7).

Peu d'études et des méthodes différentes
On ne sait finalement pas grand chose sur la nature et la fréquence des événements indésirables évitables en soins ambulatoires (1,3,8,9). Une synthèse de la littérature, portant sur la période allant de 1965 à mars 2001, n'a repéré que 4 études spécifiques et 3 études concernant indirectement ce sujet (10à15). Dans les études, les indicateurs de la qualité des soins ambulatoires sont variés  : les causes évitables de décès (15) ; les déclarations d'incidents ou de dommages (12,16) ; les hospitalisations évitables (6) ; les déclarations, par des médecins généralistes, d'événements indésirables évitables (11,13,14,17,18,19).
Dans une étude, britannique, portant sur les 30 790 patients de 14 médecins généralistes, 5,1 % des 1 263 décès survenus en 40 mois ont été imputés aux soins ambulatoires et estimés évitables (15).

Déclarations aux assureurs
Une approche consiste à exploiter les banques de données de déclarations de dommages corporels gérées par les gestionnaires de risques ou les assureurs couvrant la responsabilité civile professionnelle des professionnels de santé (12,16). Les données françaises ont montré en 2001 un taux global de déclarations de dommages de 1,59 % pour environ 200 000 professionnels de santé, et de 1,2 % pour les médecins généralistes libéraux (16). Mais il est difficile de faire la part entre les soins ambulatoires et les soins hospitaliers parmi des résultats surtout détaillés par discipline médicale (16).

Motifs d'hospitalisation
Sur le plan épidémiologique, seules les conséquences graves de défaillances dans la qualité des soins ambulatoires sont repérées par les études hospitalières utilisant comme indicateur le taux d'admissions résultant d'événements indésirables évitables. Dans une synthèse publiée en 2000, ces admissions représentaient entre 5 % et 36 % des admissions en services de médecine, et entre 11 % et 13 % en soins intensifs d'adultes (6).

Recherches volontaires
Une autre approche consiste à analyser des événements indésirables déclarés volontairement par des médecins, puis à identifier les événements évitables, car dus à des erreurs. Les études les plus récentes ont retenu une définition fonctionnelle de l'erreur en médecine, conforme à l'acception de l'Institute of Medicine américain, mais plus apte à susciter leur repérage par les participants : « n'importe quel événement inattendu, non anticipé, survenu au cours de votre propre pratique, et dont vous pensez : "ceci a menacé le bien-être du patient et n'aurait pas dû arriver. Je ne veux pas que cela se reproduise à nouveau". Un tel événement est susceptible d'affecter la qualité des soins que vous prodiguez à vos patients. Il peut être grand ou petit, administratif ou clinique, mais vous considérez qu'il doit être évité à l'avenir » (14,19). Cette définition est suffisamment large pour englober tous les évènements indésirables susceptibles de survenir lors des soins ambulatoires, y compris lorsqu'ils ne présentent pas de conséquence grave.
Dans une étude pilote, conduite en médecine générale avec cette méthode, en Australie, entre octobre 1993 et juin 1995, plus des trois quarts des évènements indésirables déclarés ont semblé évitables, les erreurs médicamenteuses apparaissant comme les plus fréquentes, mais moins graves que les erreurs de diagnostic (13,17,18).
Des recherches analogues sont engagées aux États-Unis d'Amérique (14) ou dans le cadre d'une collaboration internationale (c)(19).

D'abord classer, pour mieux comprendre
Le repérage et la description des événements indésirables évitables survenant au cours des soins ambulatoires sont une étape indispensable pour tenter de comprendre comment des défaillances se produisent, et comment les prévenir (9,10,14,20).
Une classification des erreurs en médecine générale a ainsi été présentée à partir d'une synthèse de la littérature disponible pour les soins ambulatoires (10). Les événements indésirables évitables ont été classés en 3 catégories, selon qu'ils se produisent lors du diagnostic, du traitement (médicamenteux ou non), de la prévention (10). Les causes d'erreurs ont été classées en 4 types selon qu'elles sont imputables au clinicien, à la communication entre professionnels de santé ou entre soignants et patients, à l'organisation des soins ou à des facteurs extérieurs (sociaux, financiers, etc.) (10). Le plus souvent, l'origine d'un événement indésirable évitable s'avère multifactorielle (6).

Des recherches difficiles mais prometteuses
Rien ne permet de préjuger d'une moindre importance et d'une moindre gravité des risques encourus par les patients au cours des soins ambulatoires.
Des études épidémiologiques et d'observation sont nécessaires pour mieux évaluer les risques en médecine ambulatoire : en termes de prévalence, par catégories d'événements indésirables évitables, par types d'erreurs, et en termes de gravité clinique (8,9).
Cette recherche sur l'erreur en médecine est d'autant plus courageuse qu'elle est culpabilisante, même en l'absence de toute faute (2). Pourtant, seule une connaissance correcte des causes d'événements indésirables évitables peut permettre d'élaborer des stratégies de prévention des erreurs humaines susceptibles de survenir au cours des soins ambulatoires (8,9). Il restera à évaluer ensuite l'impact de ces interventions pour fonder des recommandations utiles pour la pratique quotidienne.

©La revue Prescrire 1er août 2003
Rev Prescr 2003 ; 23 (241) : 543-544.

__________
Notes
a- Prenant en compte les données actuelles en matière de psychologie, d'ergonomie et de fiabilité humaine, l'Institute of Medicine a défini la sécurité des soins comme l'absence de dommages induits, et l'erreur comme « l'échec de la conduite d'une action planifiée à ses fins désirées (par exemple, erreur d'exécution) ou le recours à une planification erronée pour atteindre un objectif » (réf. 1).
b- Curieusement, le rapport de l'Académie française de médecine ne fait pas mention du seul ouvrage de synthèse français disponible sur le sujet, cité dans la réf. 21.
c- Conduite à l'initiative du Robert Graham Center, un centre de recherche indépendant en médecine générale créé par l'American Academy of Family Physicians, l'étude PCISME (pour Primary Care International Study of Medical Errors) a recueilli des déclarations d'erreurs médicales émanant de généralistes américains, australiens, britanniques, canadiens, néerlandais et néo-zélandais au cours du second semestre 2001 (réf. 19).
________
Références
1- Kohn L et coll. "To err is human. Building a safer health system" (Rapport) National Academy Press, Washington 2000 : 239 pages. Présenté dans : Rev Prescr 2000 ; 20 (208) : 547-549.
2- David G "Faire bon usage de l'erreur médicale" Bull Acad Natl Med 2003 ; 187 (1) : 15-25.
3- Abenhaim L et coll. "Iatrogénie". In : "Analyse des connaissances disponibles sur des problèmes de santé sélectionnés, leurs déterminants, et les stratégies de santé publique" (Rapport) Direction générale de la santé 12 mars 2003. Site internet http://www.sante.gouv.fr consulté le 25 mars 2003 (sortie papier disponible : 10 pages).
4- Queneau P et coll. "Iatrogénie observée en milieu hospitalier. I - À propos de 109 cas colligés à partir d'une enquête transversale de l'APNET" Bull Acad Natl Med 1992 ; 176 (4) : 511-529.
5- Michel P et coll. "L'estimation du risque iatrogène grave dans les établissements de santé en France" Études et Résultats 2003 ; (219) : 1-8.
6- Weingart SN et coll. "Epidemiology of medical error" BMJ 2000 ; 320 : 774-777.
7- Prescrire Rédaction "Prévenir les infections liées aux soins ambulatoires : recommandations pour la pratique" Rev Prescr 2000 ; 20 (212 suppl.) : 881-944.
8- Wilson T et Sheikh A "Enhancing public safety in primary care" BMJ 2002 ; 324 : 584-587.
9- Fetters MD "Medical error in primary care". In : Rosenthal M et Sutcliffe K "Medical error: what do we know ? what do we do ?" Jossey-Bass, San Francisco 2002 : 58-83.
10- Elder NC et Dovey SM "Classification of medical errors and preventable adverse events in primary care : a synthesis of the literature" J Fam Pract 2002 ; 51 (11) : 927-932.
11- Ely JW et coll. "Perceived causes of family physicians' errors" J Fam Pract 1995 ; 40 (4) : 337-344.
12- Fischer G et coll. "Adverse events in primary care identified from a risk-management database" J Fam Pract 1997 ; 45 (1)  : 40-46.
13- Bhasale AL et coll. "Analysing potential harm in Australian general practice : an incident monitoring study" Med J Aust 1998 ; 169 : 73-76.
14- Dovey SM et coll. "A preliminary taxonomy of medical errors in family practice" Qual Saf Health Care 2002 ; 11 : 233-238.
15- Holden J et coll. "Analysis of 1263 deaths in four general practices" Br J Gen Pract 1998 ; 48 : 1409-1412.
16- Sicot C "Rapport du Conseil médical du GAMM sur l'exercice 2001 I - Responsabilité civile professionnelle" Groupe des Assurances Mutuelles Médicales, Paris 22 juin 2002 : 1-18.
17- Britt H et coll. "Collecting data on potentially harmful events : a method for monitoring incidents in general practice" Fam Pract 1997 ; 14 (2) : 101-106.
18- Bhasale A "The wrong diagnosis : identifying causes of potentially adverse events in general practice using incident monitoring" Fam Pract 1998 ; 15 (4) : 308-318.
19- Makeham MAB et coll. "An international taxonomy for errors in general practice : a pilot study" Med J Aust 2002 ; 177  : 68-72.
20- Wilson T et coll. "Promoting patient safety in primary care : research, action and leadership are required" BMJ 2001 ; 323 : 583-584.
21- Klotz P "L'erreur médicale. Mécanismes et prévention" Maloine, Paris, 1994, 152 pages. Présenté dans : Rev Prescr 1995 ; 15 (155) : 703.