Revue Prescrire, article en une, La déontologie médicale est universelle : elle s'applique aussi pour les malades étrangers, septembre 2008
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La déontologie médicale est universelle:
elle s'applique aussi pour les malades étrangers
   
Les exigences nouvelles des pouvoirs publics compliquent l'accès aux soins des malades étrangers en situation irrégulière.
Pour en savoir plus
 


La déontologie médicale est universelle : elle s'applique aussi pour les malades étrangers
Rev Prescrire 2008 ; 28 (299) : 712-713.
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Au cours des derniers mois et dans toute la France, des médecins de plus en plus nombreux se sont vu refuser par les préfectures la transmission au Médecin inspecteur de santé publique (MISP) des informations médicales destinées à la continuité des soins de leurs patients étrangers. Ce sont pourtant sur ces informations que doit se fonder l'avis du MISP dans le cadre de la "régularisation pour raison médicale".

Le 3 juin 2008, lors d'une conférence de presse organisée en commun avec des associations de malades, dont l'Association française des diabétiques et des associations de soins et de soutien aux étrangers malades (réunies au sein de l'Observatoire du droit à la santé des étrangers), des médecins ont lancé un appel à pétition:

« Il y a 10 ans, le droit au séjour des étrangers malades a été reconnu par l'Assemblée nationale. Notre pays aura ainsi été un précurseur en Europe pour retranscrire dans la loi l'obligation de la continuité des soins pour tout étranger résidant en France dont « l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse bénéficier effectivement des traitements appropriés dans son pays d'origine » (1). En 2006, le nombre de nouveaux titres de séjour délivrés pour raison médicale a été de 6 790, soit 3,6 % du total des nouvelles admissions au séjour en France pour les étrangers hors Union européenne (2).

Pour les étrangers en situation irrégulière et atteints d'une maladie grave, la procédure de délivrance du titre de séjour repose sur un avis médical transmis au préfet par le Médecin inspecteur de santé publique (MISP) du département de domicile du malade (3). Pour rendre cet avis, le MISP s'appuie sur un « rapport médical » établi selon les règles de la déontologie médicale et indiquant pour le patient les modalités de prise en charge du malade ainsi que les éléments pronostics relatifs à la pathologie (4). Pendant des années, les rapports établis par les médecins soignants (en ambulatoire ou à l'hôpital) étaient ainsi examinés par les MISP. Or au cours des derniers mois, de nombreuses préfectures ont commencé à refuser d'instruire la demande lorsque le « rapport médical » n'émanait pas d'un confrère « médecin agréé ou un praticien hospitalier », ces refus s'appuyant sur une application restreinte d'un arrêté datant de 1999 (5).

Cette exigence nouvelle complique considérablement l'accès à la procédure pour les malades concernés, et alourdit inutilement le travail de leurs médecins soignants. D'une part, le recours supplémentaire à un « médecin agréé » est très difficile dans la plupart des départements, de nombreux médecins ayant vu leur agrément supprimé par la préfecture dans un contexte de suspicion croissante à l'égard des pratiques médicales et de pression des préfectures sur les MISP (6,7,8). D'autre part les praticiens hospitaliers, déjà investis dans la prise en charge de leurs patients, se trouvent de surcroît sollicités pour « valider » les rapports établis par leurs confrères qui soignent d'autres patients. Enfin, la situation de pénurie en « médecins agréés » risque de favoriser le développement de filières lucratives et délictueuses.

Il est temps que les autorités préfectorales cessent de stigmatiser « l'irresponsabilité » des médecins intervenant auprès des malades étrangers. Non, nous ne sommes pas « complaisants » ou « angéliques » lorsque nous signalons la gravité de la maladie de nos patients à nos confrères MISP. Non, nous ne sommes pas « militants » ou « engagés » lorsque nous estimons un pronostic vital dans une perspective d'absence de soins appropriés, nous faisons notre devoir de médecins. Certains d'entre nous participent à des actions citoyennes en faveur de l'accueil des étrangers, d'autres non. Mais aucun d'entre nous ne détourne un acte de soins vers un acte militant : il en va de notre responsabilité vis-à-vis de nos patients, de nos confrères et de la société.

Face à cette situation, nous ne pouvons accepter que, au mépris de la loi, les principes de la déontologie médicale s'effacent devant les mécanismes de la « lutte contre l'immigration ». Nous attendons que soient respectés notre exercice de médecins et les missions qui sont les nôtres pour la continuité des soins de tous nos patients, français comme étrangers.

Nous, médecins signataires:

rappelons que dès lors que les critères médicaux prévus par la loi sont remplis, il est de notre devoir d'alerter nos confrères Médecins inspecteurs de santé publique sur les risques graves encourus par un de nos patients menacé d'être éloigné vers un pays où il n'aurait pas accès aux soins requis par son état de santé ;

demandons la mise en place d'un dispositif d'information et d'évaluation des médecins intervenant dans la procédure étrangers malades, afin d'aider les médecins et leurs patients étrangers malades à maîtriser les conditions réglementaires et les modalités de rédaction du rapport médical, et de faciliter ainsi le travail d'expertise effectué par les MISP ;

demandons la suppression de la condition de « médecin agréé » prévue par l'Arrêté du 8 juillet 1999. Dans l'attente, nous demandons aux préfets de procéder à l'agrément immédiat de tout médecin inscrit à l'Ordre départemental et acceptant de s'inscrire dans le dispositif d'information et d'évaluation ».

Pour en savoir plus: www.comede.org

©Prescrire 15 septembre 2008
Rev Prescrire 2008 ; 28 (299) : 712-713.

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Références
1-Article L313-11 11° du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda).
2- Comité interministériel de contrôle de l'immigration, Rapport au Parlement, décembre 2007.
3- L'article L313-11 11° du Ceseda concerne également des étrangers malades en séjour régulier, soit à l'occasion de la demande de renouvellement de leur carte de séjour, soit lorsqu'ils sont par ailleurs détenteurs d'un titre provisoire délivré pour un autre motif (par exemple une demande d'asile en cours).
4- Lorsque les critères médicaux prévus par la loi sont remplis, le médecin doit favoriser la continuité des soins (article 47 du Code de déontologie médicale), par la délivrance du rapport médical prescrit par les textes règlementaires (articles 50 et 76), rapport destiné à un « médecin relevant d'un organisme public décidant de l'attribution d'avantages sociaux », c'est-à-dire le MISP dans la procédure "étrangers malades".
5- Arrêté du 8 juillet 1999 relatif aux conditions d'établissement des avis médicaux concernant les étrangers malades.
6- D'une part, les listes de médecins agréés dans la procédure "étrangers malades" sont très réduites dans de nombreux départements. D'autre part, de nombreux "médecins agréés" refusent la prise en charge du coût par la Couverture maladie universelle complémentaire (CMUC) ou l'Aide médicale d'État (AME) et pratiquent des dépassements d'honoraires non prévus par la réglementation. En effet, contrairement à une certification médicale hors nomenclature et qui n'est pas demandée dans le cadre de la procédure "étrangers malades", la délivrance du rapport médical destiné au MISP constitue un acte de soins. Les actes de soins, incluant la rédaction de courriers médicaux destinés à la continuité des soins, doivent être intégralement pris en charge par la CMU et l'AME pour les malades dont les ressources mensuelles sont inférieures à 600 € par mois.
7- Trois médecins psychiatres soignant des étrangers malades dans le Puy-de-Dôme se sont vu récemment supprimer leur agrément par le préfet, au motif notamment que l'un d'entre eux « a été amené à produire des rapports médicaux concernant des étrangers comme praticien agréé, alors que ces étrangers étaient également ses patients dans le cadre de son exercice privé ». Dans le Bas-Rhin, un autre médecin psychiatre s'est vu révoqué par le préfet pour avoir transmis « trop » de rapports médicaux relatifs à la continuité des soins de ses patients étrangers.
8- Syndicat des médecins inspecteurs de santé publique, communiqué du 8 octobre 2007, site www.smisp.fr