Revue Prescrire, article en une, DCI août 2002 (1)
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Les limites de la prescription en DCI
 
Prescrire en dénomination commune internationale (DCI) rend aux prescripteurs et aux pharmaciens leurs rôles respectifs dans le choix du traitement et dans sa mise en œuvre. C'est l'occasion pour le prescripteur de s'intéresser à l'essentiel de sa tâche, le diagnostic et la stratégie thérapeutique, et de concentrer son attention sur les bonnes pratiques de prescription. Mais dans certains cas, prescrire en DCI peut avoir plus d'inconvénients que d'avantages.
Pour en savoir plus
La revue Prescrire soutient depuis de nombreuses années la prescription en DCI, et a publié de nombreux dossiers à son appui. Voici quelques repères importants


Prescrire en DCI : pas de catéchisme !
(n°233, novembre 2002 : page 721)
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Quatre bonnes raisons de prescrire en DCI
(n°209, septembre 2000 : pages 614-617)
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La DCI : un langage commun, intelligible et international
(n°209, septembre 2000 : pages 607-608)
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Mieux Prescrire et mieux dispenser ensemble
Dossier en supplément au numéro 234 (décembre 2002) de la revue Prescrire
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Distinguer traitements ponctuels et traitements au long cours
Prendre en compte les excipients à effet néfaste potentiel
Prendre en compte les facteurs psychologiques
La non-bioéquivalence fait parfois courir un risque clinique
Une modification de l'aspect du médicament risque de troubler le patient
Prendre en compte le choix du patient
En pratique : les limites pharmacothérapeutiques de la prescription en DCI

Distinguer traitements ponctuels et traitements au long cours

On peut distinguer deux types de situations : la prescription des traitements ponctuels et la prescription des traitements au long cours, pour des affections chroniques ou récidivantes. La distinction est bien sûr schématique : tout dépend du patient, de sa proximité avec le prescripteur et avec le pharmacien, de sa manière d'aborder les traitements, etc. Mais elle permet de clarifier la réflexion.

Traitement ponctuel : domaine de prédilection de la prescription en DCI. Lorsqu'un patient a besoin d'un traitement ponctuel, de durée relativement courte, pour traiter par exemple une infection aiguë, ou une douleur aiguë liée à un traumatisme, l'essentiel tient dans le choix de la substance active et de la posologie. On ne risque pas alors de perturber les habitudes thérapeutiques du patient, ni de modifier des taux plasmatiques antérieurement stabilisés. On se trouve ici dans le domaine de prédilection de la prescription en DCI. Elle peut permettre au patient de bien comprendre comment il a été traité, et d'identifier la substance en d'autres occasions de sa vie, ou de celle de ses proches.

Traitement de longue durée. Lorsqu'il s'agit d'instaurer un traitement de longue durée, on se retrouve dans la situation décrite ci-dessus : le patient n'a encore jamais pris le médicament. On peut, comme pour un traitement ponctuel, choisir une forme adaptée, vérifier l'absence de risque connu lié à un excipient, écarter tout obstacle psychologique, et prescrire en DCI. Cela peut être souhaitable pour que le patient connaisse bien son traitement, en particulier s'il se déplace et est amené à demander une nouvelle dispensation dans d'autres pays.
Lors du premier renouvellement du traitement, la prescription est à reconduire si le médicament a été bien supporté et a eu l'efficacité attendue. Elle peut, là encore, se faire en DCI, mais divers arguments pharmacocinétiques, psychologiques ou pratiques peuvent nécessiter de prescrire plutôt, sous son nom de marque, la spécialité déjà prise par le patient, ou de dispenser cette spécialité et pas une autre, même si l'ordonnance est rédigée en DCI.
Prendre en compte les excipients à effet néfaste potentiel

Chaque soignant connaît des patients (enfants ou adultes) que gênent certains arômes ou odeurs. Pour aider alors à la bonne acceptation du traitement, le prescripteur ou le pharmacien peut facilement exclure les spécialités en contenant.

Formes pharmaceutiques. D'autres patients apprécient, pour des raisons personnelles, culturelles, religieuses ou autres, des formes pharmaceutiques plus que d'autres : sèches plutôt que buvables, crèmes plutôt que solutions topiques, formes non alcoolisées, ou sans gélatine d'origine animale, etc. D'autres encore peuvent être contrariés par le conditionnement d'un médicament : flacon de collyre difficile à ouvrir, pipette doseuse peu explicite, etc.
Prescripteurs et pharmaciens doivent tenir compte de tous ces éléments, tout en vérifiant que la forme préférée n'expose pas à des risques inutiles : risques liés à une injection intramusculaire plutôt qu'à une prise orale par exemple.

Excipients. Mises à part ces questions pratiques ou de "confort", certains patients doivent éviter des excipients tels que saccharose, alcool éthylique, sodium, potassium, par exemple (s'il y a contre-indications ou risques d'interactions) ; ou encore certains conservateurs tels que dérivés mercuriels ou ammoniums quaternaires en ophtalmologie, sulfites par voie injectable, lanoline en application sur la peau, par exemple (quand le patient a une allergie connue).

Dans ces différents cas, la DCI ne suffit pas forcément à définir correctement le médicament adapté, exempt de tel ou tel inconvénient. Il faut être plus précis. Et le plus simple peut consister alors à choisir précisément une spécialité pharmaceutique qui ne présente pas ces inconvénients.
Prendre en compte les facteurs psychologiques

La prescription en DCI peut éclairer la plupart des patients ; ou même renforcer leur confiance dans un médicament mieux connu, et dans les professionnels qui prescrivent et dispensent ce médicament. Elle peut cependant en inquiéter d'autres, même lors de traitements ponctuels.
Le nom de marque d'une spécialité déjà utilisée avec satisfaction par un parent peut avoir un effet favorable et faciliter l'adhésion au traitement. À l'inverse, les critiques de l'entourage sur tel autre nom de marque peuvent être à l'origine d'une méfiance néfaste. Quand ces réticences s'avèrent insurmontables, il peut être préférable pour le prescripteur de désigner une spécialité précise, ou pour le pharmacien de choisir, à partir d'une prescription en DCI, le nom de marque qui est bien accepté par le patient.
La non-bioéquivalence fait parfois courir un risque clinique

Les définitions de la bioéquivalence de deux médicaments diffèrent en partie selon les sources, mais se rejoignent sur l'essentiel. Ainsi, en France, le Code de la santé publique (article R. 5143-9) appelle bioéquivalence : « l'équivalence des biodisponibilités », et biodisponibilité : « la vitesse et l'intensité de l'absorption dans l'organisme à partir d'une forme pharmaceutique, du principe actif ou de sa fraction thérapeutique destinée à devenir disponible au niveau des sites d'action ».
Pour la Cour de justice des communautés européennes, « deux médicaments sont bioéquivalents s'il s'agit de produits pharmaceutiques équivalents ou alternatifs et si leur biodisponibilité (degré et vitesse) après administration, dans la même dose molaire, est à tel point similaire que leurs effets, tant du point de vue de leur efficacité que de leur sécurité, sont essentiellement les mêmes ».

La stricte bioéquivalence est rarement indispensable pour assurer la bonne continuité d'un traitement. Mais, dans certaines situations, elle doit être recherchée afin d'éviter un risque de surdosage (avec effets indésirables éventuels), ou de sous-dosage (avec inefficacité éventuelle). C'est le cas des médicaments à marge thérapeutique étroite et/ou chez certains patients à risque particulier.

Même si les publications d'incidents liés à l'absence de bioéquivalence et ayant eu un impact clinique tangible sont rares, les recommandations en vigueur dans de nombreux pays convergent : soit éviter de changer de spécialité pour ces médicaments et chez ces patients ; soit accompagner le changement d'une surveillance accrue et d'une information du patient sur les risques encourus.

Certaines formes pharmaceutiques et voies d'administration ne permettent pas facilement de démontrer une bioéquivalence par les méthodes classiques. C'est notamment le cas lorsque les concentrations plasmatiques atteintes sont faibles (avec des formes pour application locale ou des aérosols-doseurs par exemple). Le changement de spécialité n'est de ce fait pas recommandé avec ces formes.
C'est également le cas avec toutes celles qui impliquent un apprentissage spécifique d'utilisation (par exemple les dispositifs inhalateurs), qu'il serait regrettable d'imposer de façon réitérée aux patients, et qui peut s'avérer source d'erreurs.
Une modification de l'aspect du médicament risque de troubler le patient

Les détracteurs de la prescription en DCI citent souvent les personnes âgées ou atteintes d'affections psychiatriques comme exemples de patients chez lesquels tout changement de spécialité est risqué. Il est possible en effet de perturber une personne non avertie, psychologiquement fragile ou atteinte de troubles de la mémoire ou de l'attention, en changeant ne serait-ce que la couleur des comprimés.
Cependant, il revient toujours aux prescripteurs, aux pharmaciens et aux autres soignants de porter leur attention sur le niveau d'information de ces personnes, en tâchant de l'élever, et sur la manière dont elles utilisent leurs médicaments.
Même si la prescription n'est pas en DCI mais en nom de marque, il faut expliquer, surveiller et préparer aux changements de conditionnement, de couleur, de forme, de sécabilité, etc. qui surviennent de temps à autre, y compris pour une même spécialité.
Ces changements ne sont pas toujours clairement et largement annoncés par les firmes pharmaceutiques, et requièrent beaucoup d'attention, notamment lors de la dispensation.

Prendre en compte le choix du patient

Il est normal qu'à partir d'une prescription en DCI (ou en nom de marque), le patient lui-même puisse demander à choisir parmi différentes spécialités contenant la même substance, à la même dose, et pour la même voie d'administration, en exprimant ainsi sa préférence en matière de forme, d'arôme, de prix, etc.
C'est par exemple le cas pour les antalgiques courants (une personne peut ainsi préférer une certaine forme orale de paracétamol), ou pour des antibiotiques prescrits de façon itérative (des parents peuvent préférer certaines présentations d'amoxicilline pour leurs enfants, car ils en connaissent bien le dispositif de mesure des doses à type de pipette ou de cuillère). Il arrive également que des patients demandent des spécialités dont ils savent le coût moins élevé.
Tous les risques pharmacothérapeutiques cités précédemment étant pris en compte, il n'y a pas de raison de rejeter de telles demandes. Elles peuvent poser au pharmacien des problèmes de stockage de diverses spécialités similaires, alors que la prescription en DCI permet en général de réduire les stocks. Un dialogue avec le patient aide alors à trouver des compromis raisonnables.

 

© La revue Prescrire 15 août 2002