La campagne de promotion des anti-inflammatoires non stéroïdiens
(AINS) du groupe des coxibs, en particulier du rofécoxib (Vioxx°
- MSD Chibret) et du célécoxib (Celebrex° - Pharmacia
puis Pfizer) fut l'une des plus retentissantes du début des
années 2000. Pour en rappeler le thème porteur, on peut
citer les leaders d'opinion français du domaine : « Les
coxibs sont des anti-inflammatoires aussi efficaces que les anti-inflammatoires
conventionnels mais beaucoup mieux tolérés au plan gastrique » (1).
Battage médiatique et obtention de prix
disproportionnés
Dans le concert enthousiaste des médias professionnels et grand
public, les synthèses de la revue Prescrire consacrées
à ces médicaments et intitulées "rofécoxib :
un antalgique AINS décevant" et "célécoxib :
aussi décevant que le rofécoxib" sont apparues
bien négatives (2,3). Elles constataient simplement que,
lors de l'évaluation clinique de ces coxibs, les comparaisons
adéquates n'avaient pas été faites pour juger
de leur efficacité et de leur profil d'effets indésirables,
et que leur supériorité n'était pas démontrée.
Tout en pratiquant l'échantillonnage intensif ou, ce qui revient
au même, la vente aux hôpitaux à 1 centime le comprimé (4),
les firmes ont obtenu des prix très élevés pour
leurs spécialités, sur la base d'une amélioration
du service médical rendu (ASMR) cotée à III,
c'est-à-dire modeste, par la Commission de la transparence.
Et depuis trois ans, Vioxx° a été vendu au prix
de 32,70 euros les 28 comprimés à 12,5 mg et de 39,80
euros les 28 comprimés à 25 mg (5). Celebrex°,
arrivé ensuite, a été vendu 18,13 euros les 30
gélules à 100 mg et 35,20 euros les 30 gélules
à 200 mg (6).
Pour la seule année 2001, la Caisse nationale d'assurance maladie
des travailleurs salariés a ainsi remboursé 125 millions
d'euros pour Celebrex° (d'emblée à la 3e place des
dépenses en médicaments) et 29 millions d'euros pour
Vioxx° (a)(7).
L'extension des indications de Vioxx° dans les symptômes
de la polyarthrite rhumatoïde, indication qui figurait déjà
sur le RCP de Celebrex°, ne s'est pas accompagnée d'une
baisse de prix (8). Mieux : la baisse qui était prévue
initialement au 3 janvier 2003 a purement et simplement été
annulée (9) !
La baudruche se dégonfle
À la suite d'un réexamen des données d'évaluation
du célécoxib par la Food and Drug Administration américaine,
des révélations accablantes de manipulations d'un essai
(essai CLASS) ont fait naître des doutes sérieux sur
les supposés avantages de ce coxib (10). Des défauts
méthodologiques dans un essai portant sur le rofécoxib
ont également été révélés (11).
Pendant ce temps, les données de pharmacovigilance sur les
coxibs s'accumulaient (12).
Les questions sur la véritable balance bénéfices-risques
des coxibs sont devenues si pressantes que l'Agence européenne
du médicament (EMEA) s'est décidée à réévaluer
ces AINS. Après la publication des conclusions de cette réévaluation,
en avril 2004, la baudruche est totalement dégonflée.
La balance bénéfices-risques des coxibs n'est pas plus
favorable que celle des autres AINS (lire dans le numéro 253
page 589). L'Agence française des produits de santé
a publié le 2 juillet 2004 une mise au point qui l'explique
et rappelle aux patients les règles de bon usage de l'ensemble
des AINS (13).
Suite à une saisine conjointe de la Direction de la Sécurité
sociale et de la Direction générale de la santé
de 2002, et suite à la réévaluation de l'EMEA,
la Commission de la transparence française a rendu deux nouveaux
avis sur Vioxx° et Celebrex°. La conclusion est la même
dans les deux cas : « la meilleure tolérance
digestive [NDLR : qualifiée plus loin de « probable »]
est minime », et l'ASMR descend de III à IV (14,15).
Leçons à tirer
Il est à notre avis grand temps de tirer les conclusions qui
s'imposent : les coxibs n'apportent pas d'avantage tangible aux patients
par rapport aux AINS déjà disponibles ; et l'écart
de prix entre coxibs et autres AINS n'est pas justifié. Quand
les firmes concernées vont-elles rembourser la collectivité
du trop-versé ? Quand le prix des coxibs sera-t-il ramené
au même niveau que celui des anti-inflammatoires plus anciens ?
À titre d'exemple, le prix des génériques à
base d'ibuprofène est aujourd'hui de l'ordre de 3,20 euros
la boîte de 30 unités de prise à 400 mg. La baisse
de prix intervenue pour Celebrex° le 9 juillet 2004, comme prévu
lors de la fixation de son prix en 2000 (passage à 14,87 euros
pour 30 gélules à 100 mg et à 29,20 euros pour
30 gélules à 200 mg) est dérisoire (16).
©La revue Prescrire 1er septembre 2004
Rev Prescrire 2004 ; 24 (253) : 579.
__________
Notes
a- À titre d'exemple, selon la Commission de la transparence,
1 088 000 patients ont été exposés au rofécoxib
entre juillet 2001 et juin 2002, et 2 216 000 patients l'ont été
au célécoxib entre janvier 2001 et décembre
2002 (réf. 14,15).
________
Références
1- "Que sont les coxibs ?". In : Dougados M
et coll. "Arthrose en 100 questions" Assistance Publique
des Hôpitaux de Paris en partenariat avec Searle Pfizer 2000 :
64 pages.
2- Prescrire Rédaction "rofécoxib - Vioxx°.
Un antalgique AINS décevant" Rev Prescrire 2000 ;
20 (208) : 483-488.
3- Prescrire Rédaction "célécoxib - Celebrex°.
Aussi décevant que le rofécoxib" Rev Prescrire
2000 ; 20 (212) : 803-808.
4- Prescrire Rédaction "Vioxx° à 1 centime
le comprimé !" Rev Prescrire 2001 ; 21 (215) :
193.
5- Prescrire Rédaction "Vioxx° remboursable"
Rev Prescrire 2001 ; 21 (220) : 589-590.
6- Prescrire Rédaction "célécoxib. Celebrex°
100 mg" Rev Prescrire 2001 ; 21 (217) : 345.
7- Prescrire Rédaction "Medic'am 2001 : la déferlante
de Celebrex°" Rev Prescrire 2002 ; 22 (231) :
625.
8- Prescrire Rédaction "rofécoxib - Vioxx°
et polyarthrite rhumatoïde. Pas mieux qu'un autre AINS"
Rev Prescrire 2003 ; 23 (235) : 11-13.
9- Prescrire Rédaction "La non-baisse du prix de Vioxx°"
Rev Prescrire 2003 ; 23 (236) : 110.
10- Prescrire Rédaction "Célécoxib et
"essai CLASS" : un exemple de manipulations industrielles"
Rev Prescrire 2002 ; 22 (231) : 623-625.
11- Prescrire Rédaction "Une firme attaque en justice
un bulletin indépendant membre de l'ISDB, et perd
"
Rev Prescrire 2004 ; 24 (249) : 298-299.
12- Prescrire Rédaction "Effets indésirables
cardiovasculaires des coxibs" Rev Prescrire 2002 ; 22
(231) : 596-597.
13- Agence française de sécurité sanitaire
des produits de santé "Mise au point sur la sécurité
d'emploi des coxibs" 2 juillet 2004 : 7 pages.
14- Commission de la transparence "Avis de la Commission -
Vioxx°" 16 juin 2004 : 24 pages.
15- Commission de la transparence "Avis de la Commission -
Celebrex°" 16 juin 2004 : 29 pages.
16- "Avis relatif aux prix des spécialités pharmaceutiques"
Journal Officiel du 9 novembre 2000 : 17791.
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