Au cours des dernières années, partout dans le monde,
les "partenariats" entre firmes pharmaceutiques et associations
de patients se sont multipliés. Une analyse de la situation
britannique attire l'attention sur les dangers d'une telle collaboration,
faussée à la base par la différence entre les
objectifs et les moyens des "partenaires".
Des intérêts divergents
Que ce soit à court, moyen ou long terme, les firmes et les
associations de patients suivent leurs logiques propres, qui ne sont
pas aussi convergentes que certains veulent bien le croire ou le dire.
Les firmes comptent sur les associations de patients pour augmenter
leurs ventes, notamment en promouvant l'usage de leurs médicaments
auprès des clients potentiels, et en faisant pression sur les
pouvoirs publics lorsque ceux-ci envisagent des mesures restrictives
visant les médicaments. En "aidant" les associations
de patients, les firmes cherchent à être perçues
comme des acteurs sociaux responsables de la santé (1).
Les associations de patients désirent notamment connaître
les projets en cours des firmes, et l'avancement des recherches. Elles
souhaitent obtenir des informations sur les traitements, une aide
financière pour leurs membres en difficulté, un financement
de leurs activités, etc. (1).
Défaut d'indépendance et de transparence
Le financement d'associations de patients par des firmes pharmaceutiques
n'est pas toujours explicite. La "Lymphoma Association",
par exemple, propose un portail internet dont le site réservé
aux professionnels de santé révèle un lien avec
la firme Roche (dont le Mabthera° (rituximab) est destiné
au traitement de certains lymphomes), mais pas le site grand public
(a)(1).
Il arrive même que des firmes créent purement et simplement
"leur" association de patients. Ainsi, la firme Biogen a
créé en 1999 l'association "Action for Access",
dans le cadre de ses pressions sur le National Health Service britannique,
pour que l'interféron bêta (comme Avonex°, de Biogen)
soit pris en charge dans la sclérose en plaques (1). Aux États-Unis
d'Amérique, la firme Eli Lilly (qui vend l'olanzapine (Zyprexa°),
un neuroleptique, et la fluoxétine (Prozac° ou autres),
un antidépresseur, a organisé le financement par 18
firmes de "The National Alliance for the mentally Ill" (1).
Mélange des genres au niveau européen
Les firmes ne se limitent pas à soutenir des associations nationales
de patients. Sachant que de nombreuses politiques se décident
au niveau international, les firmes soutiennent aussi de multiples
associations ou fédérations d'associations internationales.
C'est le cas par exemple de l'"International Alliance of Patients'
Organisation" (IAPO, financée par un consortium de 30
firmes) et de la "Global Alliance of mental Illness Advocacy"
(GAMIAN, créée à l'origine par la firme Novartis),
deux coalitions internationales influentes (1).
Il est regrettable que des représentants de la Commission européenne
préfèrent souvent s'adresser à ces coalitions
plutôt qu'à d'autres groupes de patients et de consommateurs,
prétextant que ces coalitions ont une assise européenne
plus large. On comprend mieux dès lors que la Commission européenne
ait pu proposer d'autoriser la publicité grand public pour
des médicaments de prescription, en prétendant répondre
simplement à la demande d'associations de patients (b)(1).
Vivent les associations indépendantes !
Les associations de patients ont un rôle important à
jouer pour aider les patients à défendre leurs besoins
et leurs intérêts. Mais ce n'est pas en se reposant sur
les firmes pour leur financement et leur information que les associations
défendront le mieux ces intérêts. L'auteur britannique
préconise un financement public des associations de patients,
comme cela est organisé pour les partis politiques (1).
Quoi qu'il en soit, pouvoirs publics, patients, professionnels de
santé, et d'une façon générale toute personne
ou institution soucieuse de l'intérêt public, doivent
s'enquérir de l'indépendance des associations de patients
qu'ils rencontrent. Qui représentent-elles vraiment : les patients,
les firmes, ou un mélange ambigu voire douteux des deux ?
©La revue Prescrire 15 février
2005
Rev Prescrire 2005 ; 25 (258) : 133-134.
__________
Notes
a- Une étude réalisée en 2004 auprès
de 68 associations de patients d'Amérique du nord, d'Australie
et d'Europe a montré que les deux tiers (45) recevaient de
l'argent de firmes pharmaceutiques ou du matériel médical,
mais qu'aucune n'en révélait le montant exact dans
son rapport annuel (réf. 2).
b- Sur ce sujet et d'une manière générale sur
la révision des Règlement et Directive européens,
voir les nombreux articles publiés dans la revue Prescrire
et disponibles sur le Site internet Prescrire (www.prescrire.org).
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Références
1- Herxheimer A "Relationships between the pharmaceutical industry
and patients' organisations" BMJ 2003 ; 326 :1208-1210.
2- Patient View "Health campaigners, fundraising and the growth
of industry involvement" Health and social campaigners' News
2004 ; (6) : 7-62.
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