Longtemps,
la perception des effets indésirables des soins, et des erreurs qui les
provoquent lorsqu'ils sont évitables, a relevé principalement de
l'expérience personnelle de chaque soignant, en l'absence de données
épidémiologiques permettant d'estimer l'étendue des dégâts.
À partir du poste
d'observation hospitalier, plusieurs photographies de la situation française
proviennent des résultats de l'étude Eneis. Selon cette étude,
chaque année en France, 70 000 à 110 000 hospitalisations,
ainsi que 120 000 à 190 000 effets indésirables graves
des soins hospitaliers semblent évitables. Il reste maintenant à
ne plus s'en tenir aux conséquences repérables par les effets indésirables
graves des soins, les plus visibles, et à s'engager dans une analyse plus
systématique et plus approfondie de l'ensemble des erreurs liées
aux soins, notamment les erreurs en soins ambulatoires.
Cette
connaissance de l'étendue des dégâts ne peut contribuer de
manière tangible à la sécurité des patients que si
elle motive les décisions de réorganisation des soins qui s'imposent,
comme ce fut le cas en anesthésie : la prise de conscience à partir
d'une enquête de l'Inserm portant sur l'année 1980 avait conduit
à un décret sur la sécurité anesthésique, publié
en 1994 ; les mesures prises pour la réduction de ce risque ont fait la
preuve de leur efficacité avec une réduction tangible de la mortalité,
constatée en 2003.
À
l'inverse, rien ne change en ce qui concerne le soin médicamenteux en France.
Les constats d'erreurs se succèdent depuis un quart de siècle sans
entraîner d'amélioration tangible de la prise en charge thérapeutique
des patients. L'incapacité à améliorer la qualité
de ces soins est-elle imputable à l'absence d'évaluation des conséquences
sociales et économiques de leurs effets indésirables ? Parfois médiatisée,
la réparation des préjudices causés par les effets indésirables
des soins n'en représente qu'une petite partie. Dans l'ignorance, les mesures
de réorganisation des soins nécessaires à la prévention
des erreurs semblent trop coûteuses aux yeux des gestionnaires du système
de santé. À ce renoncement à gérer le système
de soins par la qualité s'ajoute la pérennisation des défaillances
et des dysfonctionnements qu'aucune alerte, même économique, ne vient
interrompre.
Si corriger
une erreur est un coût, éviter une erreur est un gain : un gain qualitatif
pour chaque patient épargné, un gain économique pour la collectivité. ©La
revue Prescrire 1er décembre 2005 |