Revue Prescrire, Cahier Législation européenne sur le médicament Commission européenne et santé publique janvier 2006
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Europe et médicamenteurope et médicament
AMM et santé publique :
les recommandations minimalistes de la Commission européenne
 
Souci essentiel de la Commission européenne : ne pas gêner la libre circulation des marchandises.
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Les firmes pharmaceutiques ne peuvent commercialiser leurs médicaments en Europe qu'après l'obtention d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) censée apporter aux patients des garanties, en termes d'efficacité et d'effets indésirables.

Trois procédures peuvent être suivies pour l'obtention d'une autorisation : la procédure centralisée (AMM octroyée par la Commission européenne - Direction générale Entreprises, sur avis de la Commission d'AMM auprès de l'Agence européenne du médicament, et s'imposant à tous les États membres de l'Union) ; la procédure nationale (AMM octroyée par l'Agence du médicament d'un État, et valant seulement à l'intérieur de cet État) ; la procédure par reconnaissance mutuelle au cours de laquelle les différents États concernés par la commercialisation d'un médicament reconnaissent l'AMM octroyée par un des États membres.

Appréciée par les firmes pharmaceutiques pour sa "flexibilité", la procédure par reconnaissance mutuelle a été vivement critiquée depuis les années 1990 par différents observateurs, dont le Collectif Europe et Médicament (1,2). L'opacité de cette procédure à tous les stades, et le jeu dangereux du "marché aux AMM" mettant en concurrence perverse les agences nationales (a), sont particulièrement préoccupants (2).

La Directive 2004/27/CE et le Règlement 726/2004 sur le médicament ont élargi le champ d'application de la procédure centralisée, sans pour autant supprimer la procédure par reconnaissance mutuelle (3,4). Cette dernière a toutefois été précisée, et on peut espérer un peu plus de transparence sur les décisions de reconnaissance mutuelle si les nouvelles dispositions sont correctement transposées dans tous les États.

L'article 29 de la Directive 2004 indique ce qui se passe quand, au cours d'une procédure de reconnaissance mutuelle, un État membre refuse d'approuver le rapport d'évaluation de l'agence d'un autre État, ainsi que les projets de résumé des caractéristiques du produit (RCP), et de notice du médicament « en raison d'un risque potentiel grave pour la santé publique » (3). Ce même article de la Directive précise : « la Commission [NDLR : la Commission européenne - Direction générale Entreprises] adopte des lignes directrices qui définissent le risque potentiel grave pour la santé publique » (4).

Principal souci de la Commission : ne pas gêner la libre circulation des marchandises

En février 2005, la Commission européenne a publié son projet de lignes directrices (alias "guidelines" ou "recommandations") définissant le "risque grave pour la santé publique" applicable dès novembre 2005 (5). On peut lire sur la couverture de ce document que les seules contributions à son élaboration ont émané des trois principales organisations représentatives des firmes pharmaceutiques en Europe : l'European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations (EFPIA), l'European Generic medicines Association (EGA), l'European self-medication industry alias Association européenne des producteurs de spécialités Pharmaceutiques grand public (AESGP).

L'introduction du document insiste sur la nécessité, pour un État qui refuse de reconnaître l'évaluation d'un autre État en vue de l'octroi d'une AMM, de motiver sa position de manière détaillée et substantielle, pour ne pas gêner « la libre circulation des marchandises ». Suivent certaines définitions dont celle d'un "risque grave" : « celui qui pourrait se traduire par un décès, ou une menace vitale, ou un handicap ou une incapacité significative, ou une anomalie congénitale, ou une hospitalisation, ou des troubles permanents ou prolongés chez les êtres humains exposés ». Une telle définition englobe la plupart des conséquences négatives potentielles de la prise d'un médicament. Elle donne en théorie aux États membres les moyens de faire objection chaque fois que nécessaire.

Mais pour la pratique, l'interprétation de cette définition par la Commission a de quoi surprendre.

Une évaluation a minima des médicaments admise comme suffisante pour protéger les patients

L'annexe jointe aux lignes directrices liste des exemples de cas qui ne doivent pas être considérés comme pouvant entraîner un "risque grave pour la santé publique". On y découvre que, selon la Commission européenne, il n'y a pas de risque de mise en danger des populations dans les situations suivantes :
• l'absence de comparaison d'un médicament nouveau avec un autre principe actif (différent d'un placebo) ;
• l'absence de démonstration d'une valeur thérapeutique ajoutée par le nouveau médicament, par rapport aux médicaments déjà existants ;
• une durée préconisée pour le traitement différente des habitudes nationales dans différents États membres ;
• le fait que la population sur laquelle a été évalué le médicament soit trop étroite (par exemple ne comportant pas de patients allergiques ou intolérants aux médicaments autorisés pour la même indication) ;
• le fait, pour des médicaments d'usage « bien établi », que la posologie recommandée soit seulement basée sur les habitudes constatées, ou que les données sur le risque
reposent uniquement sur les données existantes de pharmacovigilance ;
• l'absence de mention d'une contre-indication commune à une classe thérapeutique, si les données fournies par la firme ne « donnent pas de raison de croire » que la contre-indication vaut pour le nouveau médicament (5).

Des patients exposés à des médicaments sans avantage thérapeutique démontré

Ainsi, selon la Direction générale Entreprises de la Commission européenne, des insuffisances majeures en matière d'évaluation clinique ne font pas courir de risque aux patients.
En pratique, un médicament évalué seulement versus placebo, seulement chez des adultes sans facteur de risque particulier, dont on ne sait pas ce qu'il apporte par rapport aux médicaments de la même classe déjà disponibles, et dont on ne connaît pas la posologie optimale, devrait être accepté sans mot dire par un État membre, y compris pour des durées de traitement différentes de celles habituellement recommandées dans cet État.

À la lumière des dégâts provoqués par certains médicaments récents, dont l'évaluation initiale avait été insuffisante ou inadéquate, on perçoit aisément les dangers de telles "lignes directrices" (6). Elles conduisent à exposer les patients à des risques par la prise d'un nouveau médicament alors que celui-ci n'a pas d'avantage thérapeutique démontré.

Réagir

Le médicament n'est pas une "marchandise" que l'on peut faire circuler librement sans de strictes précautions. Et si les "lignes directrices" de la Commission s'écartent à ce point de l'intérêt des patients, les États membres les plus scrupuleux s'honoreront à ne pas les appliquer et à les contester (b).

Il revient aux citoyens européens de peser sur les institutions européennes et sur les gouvernements de leurs pays pour obtenir que, dans le domaine du médicament et des produits de santé, l'intérêt des patients passe avant la "libre circulation des marchandises".

©La revue Prescrire 1er janvier 2006
Rev Prescrire 2006 ; 26 (268) : 63-64.

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Notes
a- Les agences du médicament sont financées majoritairement par les redevances payées par les firmes pour l'examen de leurs demandes d'AMM, et pour les conseils prodigués par les agences avant dépôt des demandes d'AMM.
b- Quand les États ne parviennent pas à se mettre d'accord sur une reconnaissance d'AMM en raison d'un risque potentiel, la Directive 2004 prévoit un arbitrage par la Commission d'AMM de l'Agence européenne du médicament. Toutefois, les États qui acceptent l'AMM peuvent autoriser la commercialisation du médicament sur leur territoire "sans attendre l'issue de la procédure [NDLR : d'arbitrage]" (article 29-6 de la Directive) (réf.3).
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Références
1- Prescrire Rédaction "En pratique, la politique du médicament tourne le dos à la santé publique" Rev Prescrire 2002 ; 22 (229) : 464-466.
2- Prescrire Rédaction "Les dangers de la procédure d'AMM par reconnaissance mutuelle" Rev Prescrire 2002 ; 22 (230) : 542.
3- "Directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 modifiant la Directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain" Journal Officiel de l'Union européenne du 30 avril 2004 : L136/34 - L 136/57.
4- "Règlement (CE ) N° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 établissant des procédures communautaires pour l'autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments" Journal Officiel de l'Union européenne du 30 avril 2004 : L 136/1 - L 136/33.
5- European Commission - Enterprise and industry Directorate general - Consumer goods - Pharmaceuticals "Proposal for a guideline on the definition of a potential serious risk to public health" February 2005 : 5 pages.
6- Prescrire Rédaction "Comment éviter les prochaines affaires Vioxx°" Rev Prescrire 2005 ; 25 (259) : 222-225.