Revue Prescrire, article en une, Publicité médicaments récents septembre 2005
Prescrire  Accueil 
 
Article en Une - Archive
La publicité des firmes pharmaceutiques,
facteur essentiel de prescription des médicaments récents
 
Deux enquêtes ont montré que par la visite médicale, les encarts dans la presse professionnelle, etc., la publicité joue un rôle majeur dans la prescription des médicaments récents en France. Une réalité à prendre en compte par les praticiens, et par les pouvoirs publics.
Pour en savoir plus

 


2004 : la visite médicale
trompe toujours énormément

Accès libre
Cliquez ici

Consternant :
La Haute autorité de santé envisage d'utiliser les représentants commerciaux des firmes pharmaceutiques

Accès libre
Cliquez ici

La visite médicale n'est pas une source fiable d'information
Accès libre
Itinéraire (13 articles au 1er mars 2005)

Visite médicale = publicité : elle attrape les praticiens là où ils ne l'attendent pas
Accès libre
Itinéraire (15 articles au 1er novembre 2004)

En France, les médecins se singularisent depuis longtemps par la forte proportion moyenne de médicaments récents qu'ils prescrivent (1). En 2001 par exemple, les spécialités pharmaceutiques remboursables de moins de 10 ans et de moins de 5 ans représentaient respectivement 38 % et 22 % du montant des médicaments remboursables (2).
La même année, en Allemagne, la part de marché des spécialités remboursables de moins de 10 ans était de 26 % seulement (2).

Lien entre promotion des firmes, visite médicale et prescription
Une équipe de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) (ex-Centre de recherche, d'études et de documentation en économie de la santé (Credes)) a cherché à analyser la pénétration des médicaments dits "innovants" dans les prescriptions des médecins libéraux, en France, au regard notamment de l'investissement promotionnel des firmes pharmaceutiques lors du lancement d'une spécialité sur le marché (a)(2).
Les auteurs ont comparé les prescriptions colligées sur la période fin 1992 à mi-1998 par l'"Enquête permanente sur la prescription médicale" de la société IMS-Health (panel de 1 600 prescripteurs) aux investissements promotionnels des firmes (2).
Les auteurs ont identifié 179 nouvelles spécialités contenant un nouveau principe actif et mises sur le marché pendant leur période d'étude (soit 7 % de l'ensemble des spécialités mises sur le marché). Ils ont retenu deux classes de médicaments (antidépresseurs thymoanaleptiques et macrolides) permettant d'avoir des effectifs suffisants de médecins prescripteurs (b)(2). Sur la période d'étude, cinq nouveaux macrolides et six nouveaux antidépresseurs ont été mis sur le marché (2).
L'étude a comparé le nombre total de lignes prescrites par les médecins, par trimestre, avec l'investissement promotionnel global des firmes pharmaceutiques pour les médicaments concernés, et avec l'investissement pour la visite médicale. Quel que soit le médicament étudié, le nombre de lignes prescrites par trimestre a été fortement corrélé à l'investissement promotionnel des firmes. À chaque action promotionnelle correspondait une augmentation du nombre de prescriptions des médecins, lequel nombre décroissait entre deux campagnes (courbes en dents de scie parallèles) (2).

Lien entre encarts publicitaires et chiffre d'affaires d'un médicament
L'enquête de l'Irdes a l'intérêt de montrer l'impact global de la promotion des firmes sur les prescriptions en France. Une autre enquête a été réalisée, en France, dans le cadre d'une thèse de médecine, portant sur la classe des antihypertenseurs (3).
L'auteur a comparé le nombre d'encarts publicitaires publiés dans la presse médicale française entre 1991 et 2001, et le chiffre d'affaires des médicaments correspondants (diurétiques, inhibiteurs de l'enzyme de conversion (IEC), antagonistes de l'angiotensine II (alias sartans), etc.). Le parallélisme entre la publicité dans les journaux professionnels et la prescription de certains médicaments est frappant.
Entre 1991 et 2001, dans le nombre total d'encarts consacrés à des médicaments antihypertenseurs, la proportion d'encarts pour diurétiques a régressé de 15,5 % à 8,7 %, et celle pour IEC a régressé de 43,3 % à 23,6 %. Entre 1995 et 2001, le nombre d'encarts pour les "sartans" a progressé de 8,6 % à 35,6 % du total des encarts pour antihypertenseurs (3).
Les chiffres d'affaires dégagés par ces différents médicaments ont évolué de manière parallèle à l'évolution des encarts : le chiffre d'affaires a stagné pour les diurétiques (1 016 millions de francs en 1991 à 998 millions en 2001), peu progressé pour les IEC (de 2,3 milliards à 2,7 milliards de francs), sur un marché des antihypertenseurs en nette croissance. Le chiffre d'affaires des "sartans" a bondi de 43 millions de francs en 1995 à 2,6 milliards de francs en 2001 (c)(3).

La publicité est efficace
Visite médicale et encarts publicitaires ne sont bien sûr pas les seuls déterminants de la prescription de nouveaux médicaments. Mais ils sont suffisamment influents pour justifier de lourds investissements de la part des firmes. Les firmes et les agences de publicité disposent d'ailleurs de nombreuses études montrant l'efficacité de leurs actions promotionnelles. L'une de ces études a ainsi montré que les encarts publicitaires étaient efficaces et rentables par eux-mêmes (retour sur investissement de 2,39 dollars par dollar dépensé en promotion) et accroissaient également l'efficacité des autres tactiques commerciales (4).
En 2001, les firmes pharmaceutiques ont déclaré avoir consacré 11 % de leur chiffre d'affaires France à l'"information" et à la publicité (visite médicale, échantillons, congrès, presse médicale, etc.), soit la somme considérable d'environ 2,2 milliards d'euros (5).
Les médicaments de moins d'un an ont été à l'origine de 32 % de la croissance globale du marché pharmaceutique français en 2003, contre 21 % en 2002 (d)(6).
Une matière à réflexion pour ceux qui prétendent conserver leur "libre arbitre" et ne pas céder aux sirènes de la publicité. Une matière à réflexion surtout pour ceux qui en France acceptent que les firmes fixent des prix très élevés pour les nouveaux médicaments, leur permettant ainsi d'investir massivement en promotion.

©La revue Prescrire 15 septembre 2005
Rev Prescrire 2005 ; 25 (264) ; 623.

_________
Notes
a- Les auteurs de l'enquête de l'Irdes ont retenu comme définition du médicament "innovant", un médicament composé d'au moins un nouveau principe actif (réf. 2). Selon l'International Society of Drug Bulletins, le terme "innovation" recouvre trois concepts : commercial (nouveaux produits), technologique, et celui de progrès thérapeutique (par comparaison avec les traitements déjà existants) (réf. 7).
b- Les prescriptions incluses dans l'étude ont été, pour les antibiotiques, les prescriptions réalisées par les médecins généralistes, les oto-rhino-laryngologistes et les pneumologues chez les patients de plus de 18 ans, et, pour les antidépresseurs, celles réalisées par les médecins généralistes et les psychiatres pour la même tranche d'âge (réf. 2).
c- Cette évolution n'est pas justifiée par l'évaluation clinique de ces antihypertenseurs récents. En 2005, certains diurétiques thiazidiques sont toujours les antihypertenseurs qui ont la meilleure balance bénéfices-risques (réf. 8, et dans le numéro 264 de la revue Prescrire page 615).
d- Au-delà des différences entre les appréciations de la revue Prescrire, de la Commission de la transparence en France, ou de l'Agence suédoise du médicament, il apparaît pourtant sans conteste que seule une petite minorité de médicaments récemment mis sur le marché apportent des progrès thérapeutiques tangibles (réf. 9, et dans le numéro 264 de la revue Prescrire, pages 622-623).
_________
Références
1- Prescrire Rédaction "Consommation pharmaceutique en France et ailleurs" Rev Prescrire 1996 ; 16 (159) : 165.
2- Auvray L et coll. "La diffusion de l'innovation pharmaceutique en médecine libérale : revue de la littérature et premiers résultats français" Centre de recherche, d'études et de documentation en économie de la santé Questions d'économie de la santé 2003 ; (73) : 1-8.
3- Charbit O "Influence de la publicité pharmaceutique sur la prescription" Thèse de doctorat en médecine générale. Université Paul Sabatier Toulouse III 2003 : 136 pages.
4- AMP "The value of medical journal advertising". Site internet http://www.amponline.org consulté le 18 août 2004 (sortie papier disponible : 10 pages).
5- LEEM "L'information médicale et la publicité" Site internet http://www.leem.org consulté le 18 août 2004 (sortie papier disponible : 1 page).
6- Amar E "Les dépenses de médicaments remboursables en 2003" Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques Études et Résultats 2004 (324) : 8 pages.
7- International Society of Drug Bulletins "Ce que sont les véritables progrès thérapeutiques dans le domaine du médicament"Rev Prescrire 2002 ; 22 (225) : 140-145.
8- Prescrire Rédaction "Hypertension artérielle de l'adulte" Rev Prescrire 2004 ; 24 (253) : 601-611 + 2005 ; 25 (257) : II de couverture.
9- Prescrire Rédaction "Amélioration du service médical rendu (ASMR) : en France, la Commission de la transparence n'est pas assez exigeante" Rev Prescrire 2004 ; 24 (256) : 859-864.