Revue Prescrire, article en une, Pharmacovigilance en Europe, fevrier 2008
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Pharmacovigilance en Europe
et sécurité des patients :
refuser la déréglementation

   

Sous couvert de simplification administrative et de "rationalisation du système", la Commission européenne a rendu public des propositions réglementaires visant à affaiblir les systèmes de pharmacovigilance et l'évaluation des médicaments.

Pour en savoir plus
 


Pharmacovigilance en Europe : ne pas se tromper d'exigences pour une nouvelle réglementation
Medecines in Europe Forum, HAI Europe et ISDB. Texte complet de la contribution conjointe à la consultation relative à la pharmacovigilance en Europe du 5 décembre 2007
(pdf 181 Ko)
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New European pharmacovigilance legislation:
getting it right

Medecines in Europe Forum, HAI Europe and ISDB. Full text of the response to the EC's public consultation on legislative proposals for pharmacovigilance
(pdf 137 Ko)
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Strategy to better protect public health by strengthening and rationalising EU pharmacovigilance: Public consultation on legislative proposals
European Commission, Enterprise and Industry Directorate
(pdf 257 Ko)
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Différents désastres de santé publique ont sans cesse rappelé la nécessité d'une pharmacovigilance efficace pour protéger les citoyens.
Le Collectif Europe et Médicament, HAI Europe et l'ISDB, désapprouvent fortement les propositions de la Commission et appellent à la réorientation de ses travaux. Voici les points principaux de leur contribution conjointe adressée à la Commission européenne.

Évaluation des médicaments avant mise sur le marché : affaiblie au profit de la compétitivité des firmes pharmaceutiques

Les propositions de la Commission européenne exposent les citoyens européens à des médicaments moins bien évalués avant mise sur le marché.

Des AMM au rabais
L'objectif annoncé de la Commission est d'accélérer la mise sur le marché de nouveaux médicaments : « des autorisations de mise sur le marché (AMM) plus précoces permettent un retour sur investissement plus rapide, une augmentation de la confiance des investisseurs, donc la réduction du coût total de développement du produit ».
Pour atteindre cet objectif, la Commission propose d'affaiblir l'évaluation réalisée avant commercialisation en généralisant les AMM conditionnelles : il ne s'agirait plus d'une exception motivée par l'existence d'un besoin thérapeutique pressant, comme c'est le cas actuellement, mais la nouvelle règle.
Pour favoriser ce glissement tout en rassurant l'opinion, la Commission s'abrite derrière la mise en place de "systèmes de gestion du risque", pilotés par les firmes pharmaceutiques. Malheureusement, ces systèmes dits de "gestion du risque" ne sont pas conçus pour protéger efficacement les patients.

Des médicaments autorisés malgré un
« manque de preuves d'efficacité »

La Commission propose de supprimer le « manque de preuves d'efficacité » de la liste des motifs pour lesquelles une AMM peut être refusée ou retirée. Or seule une efficacité démontrée peut justifier d'exposer les patients aux effets indésirables d'un médicament.
Et comment les autorités pourront-elles évaluer la balance bénéfices-risques d'un nouveau médicament si elles ne disposent pas de données probantes quant à son efficacité ?

Mainmise des firmes sur la pharmacovigilance :
à toutes les étapes aux dépens de la protection des patients

Confier aux firmes les missions de recueil, d'alerte, d'analyse, et d'information sur les effets indésirables de leurs médicaments n'est pas une situation acceptable en raison des conflits d'intérêts majeurs qu'elle comporte. Pourtant, les propositions de la Commission prévoient l'intervention des firmes, juges et parties, à tous les niveaux de décision.

Recueil des données issues de l'évaluation des risques : exigences minimalistes
Selon les propositions de la Commission, les études post-AMM et les plans de gestion du risque ne pourront être demandés par les Commissions d'AMM que dans des cas restreints, et le système dit de "gestion du risque" devra « être proportionné aux risques identifiés et potentiels tenant compte des informations disponibles sur le médicament ». Les effets indésirables inattendus ou tardifs, même graves, risquent d'être exclus de fait de ces systèmes, qui ne sont pas conçus pour mettre en évidence des effets indésirables rares sur le long terme.

Recueil des données en routine :
centralisation et dilution des responsabilités

La centralisation de la pharmacovigilance auprès du titulaire de l'AMM, la "maison mère", risque de déresponsabiliser les exploitants au niveau national. Les conditions dans lesquelles sont enregistrées et traitées ces données sont incertaines, ne permettant pas de contrôle externe valable.
Demander aux patients de notifier des effets indésirables pour les médicaments sous surveillance particulière auprès des firmes est inacceptable.
Le système de pharmacovigilance des firmes ne doit en aucun cas se substituer aux systèmes publics de pharmacovigilance de chaque pays, qui, eux, sont conçus au service de l'intérêt général.

Alertes sous-traitées aux firmes : danger
La Commission prévoit de sous-traiter aux firmes, pourtant juges et parties, la surveillance de « toutes les données pertinentes incluant celles contenues dans Eudravigilance pour repérer les signaux des risques (…) ». C'est aussi aux firmes qu'il reviendrait d'alerter les autorités en cas d'information nouvelle susceptible de modifier la balance bénéfices-risques de leur médicament.

Analyse des données : opacité
Selon le projet de la Commission, concernant les résultats des études post-AMM, c'est encore aux firmes qu'il revient de : « considérer si les résultats de l'étude sont susceptibles d'entraîner une éventuelle modification de l'étiquetage » ou de « la balance bénéfices-risques » de leur médicament. La sous-traitance de l'interprétation des données fait perdre compétences et expertises aux Agences du médicament et aux systèmes de pharmacovigilance.

Processus de décision : qui paie décide...
La réglementation de 2004 a renforcé les moyens dévolus à la pharmacovigilance en exigeant son financement public pour garantir son indépendance : « les activités liées à la pharmacovigilance (...) bénéficient d'un financement public suffisant à la hauteur des tâches conférées » (article 67.4 du Règlement (CE) 726/2004).
Mais la Commission prépare l'annulation de cette exigence d'un financement public, autorisant le financement de la pharmacovigilance directement par les firmes via les redevances payées aux Agences pour l'octroi d'une AMM.

Information relative aux effets indésirables :
confusion des rôles

Il est de la responsabilité des autorités de traiter et d'interpréter les données, puis de communiquer sur leurs résultats. La diffusion actuelle des informations aux soignants par les firmes ("Dear Doctor Letters") confie à ces dernières le rôle de porte-parole des Agences sanitaires, et peut être source de dérives promotionnelles.

Redresser le cap

Pour réellement renforcer la pharmacovigilance, leurs propositions concrètes s'articulent autour de 4 axes :
•renforcer les critères pour permettre l'octroi d'une AMM plus sûre, pour des médicaments apportant un réel progrès thérapeutique ;
•garantir la transparence des données, des informations et des décisions de pharmacovigilance ;
•donner les moyens aux autorités d'être financièrement et intellectuellement indépendantes des firmes ;
•se donner les moyens d'une pharmacovigilance efficace.
Ces propositions sont détaillées dans leur réponse à la consultation (voir la rubrique "Pour en savoir plus" ci-contre).

©Collectif Europe et Médicament 5 février 2008.