Revue Prescrire, article en une, suite, Europe et médicament juillet 2004
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Europe et médicament :
Ce qui change avec la nouvelle législation
AMM : le pire a été évité

Jusqu'à présent, la procédure européenne centralisée d'AMM n'était obligatoire que pour les médicaments fabriqués par biotechniques. La procédure nationale restait la plus couramment utilisée, avec de plus en plus souvent une reconnaissance mutuelle des AMM nationales entre États, procédure à la réglementation peu précise, et en pratique très opaque (4). Un délai de 210 jours devait être respecté pour l'examen des dossiers de demande d'AMM. Les AMM devaient faire l'objet d'un renouvellement quinquennal pour qu'un médicament puisse rester sur le marché. Tous ces points ont fait l'objet de modifications importantes.

Procédure européenne centralisée  : plus souvent obligatoire
Le champ d'application de la procédure centralisée, qui repose sur l'expertise de la Commission d'AMM européenne (alias CPMP et qui devient CHMP, pour Committee for Medicinal Products for Human Use), et pas sur celle d'un seul État, a été élargi. En plus des médicaments fabriqués par biotechniques, à compter du 20 novembre 2005, elle deviendra obligatoire pour toute nouvelle substance dont l'indication revendiquée concerne : le sida, un cancer, une maladie neurodégénérative, le diabète, les médicaments ayant le statut de médicaments orphelins (d). Et à compter du 20 mai 2008, elle sera aussi obligatoire pour les médicaments des maladies auto-immunes et « autres dysfonctionnements immunitaires », ainsi que pour les médicaments des maladies virales (R article 3-1 et annexe).

Malgré les pressions en faveur de la procédure par reconnaissance mutuelle, jugée plus "flexible" pour les firmes et plus lucrative pour les agences les plus souvent sollicitées comme "État membre de référence", la procédure centralisée s'impose peu à peu. C'est ce que le Collectif Europe et Médicament avait demandé.

Procédures nationales : un peu moins opaques

Les procédures nationales, strictement ou par reconnaissance mutuelle, restent optionnelles dans tous les autres cas. Mais le "groupe de coordination" européen chargé d'examiner « toute question » relative à la reconnaissance mutuelle d'une AMM, et jusqu'à présent informel, a maintenant une existence légale : la Directive 2004 le définit, précise sa composition et stipule que son règlement intérieur sera rendu public (D article 27). Et selon le Règlement 2004, l'avis de la Commission d'AMM de l'Agence européenne (CHMP) sera sollicité « chaque fois qu'il existe un désaccord concernant l'évaluation d'un médicament dans le cadre de la procédure de reconnaissance mutuelle ». Cela se pratiquait déjà en principe, mais le Règlement 2004 précise que cet avis « est mis à la disposition du public » (R article 5-3).

Pour peu que les agences soient contraintes de respecter les nouvelles exigences en matière de transparence, chacun devrait enfin avoir un peu plus de visibilité sur ce qui se passe entre les agences nationales en cas de reconnaissance mutuelle d'une AMM.

Maintien du délai de 210 jours pour l'examen des demandes d'AMM
Le délai de 210 jours à respecter pour l'examen d'une demande d'AMM est maintenu, aussi bien pour la procédure centralisée que pour la procédure nationale (D article 17 ; R article 6-3). Ceci correspondant à un succès des citoyens, car les firmes tenaient à raccourcir ce délai, et la Commission européenne proposait 150 jours pour la procédure nationale.
En cas de procédure centralisée, le Règlement 2004 autorise un délai de 150 jours, uniquement s'il s'agit d'un médicament « présentant un intérêt majeur du point de vue de la santé publique et notamment du point de vue de l'innovation thérapeutique », et si la demande est « dûment motivée » (R article 14-9).

Pas moins de 80 jours pour l'analyse des données scientifiques par les rapporteurs
Des garanties sont données par le Règlement 2004 pour que, dans tous les cas, lors de l'examen d'une demande par la procédure centralisée, les rapporteurs auprès de la Commission d'AMM européenne aient le temps de faire leur travail : « la durée de l'analyse des données scientifiques du dossier (…) (NDLR : à l'intérieur du délai de 150 ou 210 jours) ne peut pas être inférieure à quatre-vingts jours, sauf dans le cas où le rapporteur et le co-rapporteur déclarent avoir terminé leur évaluation avant la fin de ce délai » (R article 6-3).
Dans la procédure par reconnaissance mutuelle, en cas d'arbitrage, la Commission d'AMM de l'Agence européenne peut avoir »jusqu'à quatre-vingt-dix jours" pour rendre son avis (D article 32-1).

Malgré la volonté industrielle de faire autoriser les médicaments le plus vite possible, seuls certains délais de transmission administrative ont été raccourcis, mais l'évaluation scientifique ne devrait pas être bâclée par manque de temps.

Obligation d'information sur les retraits de demandes et les refus d'AMM européenne centralisée
Jusqu'à présent, le retrait d'une demande d'AMM par une firme pouvait passer inaperçu. Désormais, dans le cas d'une demande par la procédure centralisée, les firmes doivent informer l'Agence européenne de leurs motivations, et l'agence doit rendre ces informations accessibles au public (R article 11).
De même, en cas de refus d'octroi d'une AMM européenne centralisée, l'Agence doit rendre accessibles au public les raisons de sa décision (R article 12-3).

Accès du public aux conditions qui suspendent l'AMM
Désormais, quand une AMM est octroyée sous conditions (par exemple à condition de réaliser des essais cliniques complémentaires, ou de mettre en œuvre un suivi spécifique de pharmacovigilance), les agences (nationales ou européenne selon la procédure) doivent rendre accessibles au public la liste des conditions, les délais et les dates d'exécution. Le maintien de l'AMM est lié à la réévaluation annuelle de ces conditions (D article 22 ; R article 14-7).
La publication au Journal Officiel de l'Union européenne des AMM octroyées par la procédure centralisée doit, selon le Règlement 2004, comporter la dénomination commune internationale (DCI) de la substance active (R article 13-2), ce qui n'était même pas obligatoire jusqu'à présent.

Pas d'AMM "éternelle" : réévaluation obligatoire au bout de 5 ans

Un moyen de diminuer les contraintes qui s'imposent aux firmes était de supprimer le renouvellement quinquennal des AMM, souvent réduit jusqu'à présent à une formalité administrative, mais qui peut aussi être l'occasion d'une réévaluation. La Commission avait proposé que l'AMM devienne à durée illimitée. In fine, la Directive et le Règlement 2004 stipulent que : l'AMM « est valable pendant cinq ans » et qu'elle « peut être renouvelée au terme des cinq ans, sur la base d'une réévaluation du rapport bénéfice/risque effectuée par l'autorité compétente » (D article 24-2 ; R articles 14-1 et 14-2). Les nouveaux textes mentionnent la possibilité d'une seconde réévaluation : « Une fois renouvelée, l'autorisation (…) est valable pour une durée illimitée, sauf si l'autorité compétente décide, pour des raisons justifiées ayant trait à la pharmacovigilance, de procéder à un nouveau renouvellement quinquennal (…) » (D article 24-3 ; R article 14-3).

La réévaluation de la balance bénéfices-risques des médicaments après 5 ans de commercialisation aura une importance stratégique. Il est nécessaire de veiller à ce que les agences ne la transforment pas en une simple formalité administrative, mais au contraire prennent en compte toutes les données disponibles.

Accès au médicament avant AMM  : l'"usage compassionnel" reconnu
Un article du Règlement 2004 introduit un concept nouveau dans la réglementation européenne : celui d'"usage compassionnel". Il autorise la mise à disposition de médicaments qui font l'objet soit d'une demande d'AMM européenne centralisée en cours, soit d'une évaluation clinique en cours, pour des patients « souffrant d'une maladie invalidante, chronique ou grave, ou d'une maladie considérée comme mettant la vie en danger » et « ne pouvant pas être traités de manière satisfaisante par un médicament autorisé » (R article 83-2).
Les avis de la Commission d'AMM de l'Agence européenne sur ces autorisations exceptionnelles doivent être rendus publics (R article 83-6). L'accès des patients au médicament doit être maintenu entre l'octroi de la véritable AMM et la commercialisation effective du médicament, pour éviter toute interruption du traitement (R article 83-8).

Il s'agit là d'un premier pas, à l'échelle européenne, en faveur des patients en impasse thérapeutique, à rapprocher du concept d'"autorisation temporaire d'utilisation" (ATU) qui existe en France (14). Mais le texte ne concerne pas les médicaments passant par la procédure nationale, et il ne répond pas à toutes les attentes des associations de patients mobilisées pour préciser les propositions de la Commission. Ainsi, il ne mentionne pas qui peut être à l'initiative d'une demande d'usage compassionnel, ni comment seront financés les programmes d'usage compassionnel.

©La revue Prescrire 1er juillet 2004
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Notes
d- En Europe, un médicament peut avoir le statut de médicament orphelin s'il a pour indication une affection qui ne touche pas plus de 5 personnes sur 10 000 habitants dans l'Union. À propos du Règlement spécifique à ces médicaments, lire la réf. 22.
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Références
4- Prescrire Rédaction "Redresser le cap de la politique du médicament (suite)" Rev Prescrire 2002 ; 22 (230)  : 540-547.
14- Prescrire Rédaction "Médicaments sans AMM mais avec ATU (autorisation temporaire d'utilisation)" Rev Prescrire 1996 ; 16 (158) : 41-43 et (166) : 693-694.
22- Prescrire Rédaction "Médicaments orphelins - Le règlement européen enfin adopté" Rev Prescrire 2000 ; 20 (206) : 382-383.