Le Règlement européen sur les médicaments
orphelins, en application depuis maintenant 4 ans, avait été
conçu pour favoriser le développement de médicaments
permettant de traiter les patients atteints de maladies rares et
sans traitement disponible. On peut aujourd'hui en mesurer les effets
positifs : de petits groupes de patients bénéficient
de quelques médicaments qui améliorent leur vie quotidienne,
même s'ils ne les guérissent pas. Mais on mesure aussi
ses effets négatifs : statut de médicament orphelin,
et prix fort, accordé à des médicaments qui
servent in fine à traiter des groupes de patients beaucoup
plus larges que prévu ; médicaments très largement
vendus et rentabilisés (tels le célécoxib ou
le sildénafil) pour lesquels des firmes demandent un statut
d'orphelin pour d'autres indications ; défaillances dans
l'examen de dossiers d'évaluation (tel celui de l'agalsidase).
Le Collectif Europe et Médicament considère que l'adoption
d'un règlement sur les médicaments pédiatriques
doit tenir compte des problèmes rencontrés avec celui
sur les médicaments orphelins, et propose les modifications
ou précisions qui suivent.
Transparence des procédures et motivation
des décisions
Le Règlement 726/2004 sur les autorisations de mises sur
le marché européennes prévoit des garanties
importantes en matière de transparence et d'accès
aux données, même si elles sont encore insuffisantes
dans le domaine de la pharmacovigilance. La proposition de règlement
sur les médicaments pédiatriques renvoie au Règlement
726/2004 et devrait donc apporter les mêmes garanties. Toutefois,
certains des articles proposés ne sont pas suffisamment clairs
et précis.
Le projet d'article 5 qui traite du fonctionnement du Comité
pédiatrique de l'Agence européenne du médicament
stipule que si le consensus n'est pas atteint sur un avis, "
l'avis est constitué par la position de la majorité
des membres et les positions divergentes, avec leurs motifs ".
Le Collectif considère qu'une formulation plus claire est
nécessaire, garantissant que le détail des votes soit
mentionné et rendu public en même temps que la décision
finale. (Amendement 3 du Collectif)
Le projet d'article 15 indique que l'Agence européenne du
médicament " tient une liste de toutes les dérogations
", c'est-à-dire de tous les cas dans lesquels une firme
n'aura pas à fournir de données d'évaluation
pédiatriques car le médicament n'offre pas d'intérêt
pour les enfants. La publication de cette liste peut être
comprise comme implicite s'agissant d'un document administratif
de l'Agence, mais le projet ne le précise pas.
Le Collectif considère que l'article doit mentionner précisément
: " Cette liste, régulièrement mise à
jour, est rendue accessible au public ". (Amendement
4 du Collectif)
Précision des critères d'évaluation
Dans la présentation de la proposition de règlement,
il est dit que " les études ne doivent être réalisées
que si l'on peut en escompter un avantage thérapeutique pour
les enfants (en évitant tout double emploi) ". Mais
d'après l'article 7.1.d de la proposition de règlement,
le Comité pédiatrique qui évalue le plan d'investigation
émet un avis " sur la qualité, la sécurité,
et l'efficacité " du médicament. Disparaît
ainsi dans le corps du texte l'idée de démonstration
d'un progrès thérapeutique pour les enfants concernés.
Dans ce projet, si un avantage thérapeutique était
recherché, par rapport aux moyens déjà disponibles,
et qu'il n'est pas démontré, le Comité pourra
néanmoins donner un avis favorable, considérant le
médicament comme efficace et sûr. Certes l'article
7.2 stipule que le Comité examinera si les données
permettent " d'escompter un bénéfice thérapeutique
important " et l'article 12.1.c prévoit une dérogation
à l'obligation de présenter des données d'évaluation
pédiatriques si " le médicament en cause n'apporte
pas de bénéfices thérapeutiques importants
par rapport aux traitement existants pour les patients pédiatriques
" mais le mot "important" est vague.
Le Collectif considère qu'il n'y a pas lieu d'attribuer une
récompense à une firme pour un médicament n'apportant
aucun avantage aux enfants par rapport aux moyens thérapeutiques
déjà disponibles. Le risque est de voir les enfants
confrontés, comme les adultes, à la multiplication
de médicaments similaires, source de confusions, de surconsommation,
voire d'accidents. La valeur thérapeutique ajoutée
doit faire partie des critères d'attribution des récompenses
pour le développement d'un médicament pédiatrique.
(Amendement 5 du Collectif)
Délai d'examen des dossiers
Si le projet d'article 18 est précis sur les délais
d'examen des plans d'investigation pédiatriques, et sur leur
prolongation en cas de demande d'informations supplémentaires,
le projet d'article 23, qui concerne la modification d'un plan d'investigation,
est beaucoup trop vague. Les essais cliniques en pédiatrie
sont délicats à réaliser, et il peut être
fréquent de devoir modifier un plan d'investigation. Le Comité
pédiatrique doit alors disposer de délais suffisants
pour examiner les modifications proposées et leurs conséquences
sur la qualité et la pertinence de l'évaluation.
Le Collectif considère que des délais précis
doivent être introduits dans l'article 23. (Amendement
6 du Collectif)
Délais de mise à disposition du médicament.
Le projet d'article 34 indique que, quand un médicament a
déjà été mis sur le marché avec
d'autres indications (chez l'adulte), et que la firme obtient une
autorisation pour une indication pédiatrique, elle doit mettre
le médicament avec indication pédiatrique sur le marché
dans les deux ans qui suivent l'autorisation. Ce délai n'a
aucun sens si l'on part du principe que l'autorisation pédiatrique
a été accordée parce que le médicament
apporte un avantage aux enfants. La mise sur le marché devrait
être la plus précoce possible après autorisation.
Cet article demande à être clarifié. (Demande
de précision du Collectif)
Information du public sur les données d'évaluation
Le projet d'article 29.1 stipule que les résultats des études
réalisées selon le plan d'investigation pédiatrique
" sont inclus dans le résumé des caractéristiques
du produit et, le cas échéant, figurent sur la notice
du médicament, que toutes les indications pédiatriques
en cause aient été approuvées ou non ".
Il est en effet important que professionnels de santé et
patients soient informés des données d'évaluation,
mais ce libellé appelle deux remarques.
D'une part, les mêmes informations (résultats des essais,
mais aussi protocole) doivent être mises à la disposition
du public et des professionnels et les mots " le cas échéant
" n'ont pas lieu d'être. Même si le texte d'une
notice doit être clair, concis et compréhensible, il
ne doit pas occulter une partie des données.
D'autre part, il convient de bien séparer les données
qui ont conduit à l'octroi d'une autorisation de mise sur
le marché, de celles qui ont conduit à un refus. La
tendance est aujourd'hui à l'utilisation par les firmes de
toutes les données, à des fins promotionnelles, grâce
à une présentation floue et ambiguë des différents
chapitres des résumés des caractéristiques.
Le Collectif considère que la rédaction de l'article
29.1 doit être plus précise et contraignante. (Amendement
7 du Collectif)
Renforcement de la pharmacovigilance
Dans la présentation de la proposition de règlement,
tout est fait pour rassurer le public quant au renforcement de la
pharmacovigilance en cas d'usage pédiatrique d'un médicament.
Mais le projet d'article 35 consacré à la pharmacovigilance
ne prévoit guère de mesures nouvelles par rapport
à ce qui existe déjà pour les médicaments
destinés aux adultes.
Le demandeur est simplement tenu de fournir " des informations
précises sur les mesures mises en uvre pour assurer
le suivi de l'efficacité et des éventuels effets indésirables
". Et l'autorité compétente peut exiger des études
spécifiques après autorisation de mise sur le marché,
ou un " système de gestion du risque ". Et le projet
d'article 35.4 indique que l'Agence européenne du médicament
sera chargée d'établir des lignes directrices pour
la mise en uvre de cet article.
Le Collectif considère que cet article est beaucoup trop
vague. Les affaires de pharmacovigilance qui se multiplient aujourd'hui
doivent provoquer un sursaut et un véritable renforcement
de la recherche des effets indésirables et de leur prévention.
Il convient de joindre le projet de lignes directrices au projet
de règlement, et de rendre publiques les exigences (à
court et à long terme) accompagnant une autorisation de mise
sur le marché pédiatrique. (Amendement
8 du Collectif)
Un autre article doit en outre traiter du recueil des effets indésirables
en cours d'investigation et de la visibilité de ces données
une fois le médicament commercialisé. (Amendement
9 du Collectif)
Enfin, l'article 33 de la proposition de règlement, qui concerne
l'identification des médicaments à usage pédiatrique
sur leur conditionnement, doit prévoir une obligation de
mentionner des mises en garde et des précautions d'emploi
bien visibles sur le conditionnement lorsque le médicament
peut provoquer des effets indésirables graves.
(Amendement 10 du Collectif)
Incitations financières proportionnelles aux frais de recherche
L'examen attentif des dossiers d'évaluation des médicaments
pédiatriques déjà disponibles sur le marché
européen montre des différences importantes entre
eux. Dans certains cas, la firme n'a réalisé qu'une
mise au point pharmaceutique et une étude de bioéquivalence.
Dans d'autres, elle a fait réaliser des essais cliniques,
plus ou moins larges, selon un protocole plus ou moins complexe,
et sur une durée plus ou moins longue.
Si la rémunération des efforts de recherche paraît
nécessaire, il est clair que cette récompense doit
être proportionnelle aux efforts consentis. Un nivellement
des récompenses, tel que prévu dans la proposition
de règlement (+ 6 mois de protection pour les médicaments
encore protégés, + 2 ans pour les médicaments
orphelins (déjà protégés pendant 10
ans), et 8 + 2 ans pour les médicaments qui ne sont plus
protégés) risque d'induire deux phénomènes
: d'une part une distorsion au profit des médicaments aux
chiffres d'affaires les plus importants, pour les médicaments
encore protégés et dont les firmes souhaiteront allonger
la protection ; d'autre part un nivellement par le bas de la qualité
de l'évaluation.
Le Collectif considère que les projets d'articles 36, 37
et 38 doivent comporter des mesures permettant de moduler les récompenses
octroyées en fonction du plan d'investigation mis en uvre,
et non du chiffre d'affaires global du médicament.
(Amendement 11 du Collectif)
Pour mémoire, le Collectif rappelle que, dans l'article 14.11
du Règlement 726/2004 auquel renvoie l'article 38 du projet,
l'allongement de la durée de protection des données
pour une nouvelle indication ne vaut que si l'indication est "
jugée apporter un bénéfice clinique important
par rapport aux thérapeutiques existantes ". Ce principe
devra donc être respecté s'agissant des nouvelles indications
pour usage pédiatriques.
Le Collectif considère en outre que, si les exigences des
firmes privées vont au delà des incitations financières
proposées, comme le montrent les récentes prises de
position des organismes représentatifs des grandes firmes,
la limite de la sous-traitance de la recherche aux seules firmes
privées aura été atteinte. Les incitations
devront alors être réorientées en priorité
vers les organismes de recherche publics. Dans tous les cas, l'attribution
des incitations devra se faire dans la plus grande clarté,
de même que l'évaluation des résultats obtenus.
©Collectif Europe et Médicament 1er janvier
2005
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