Les limites de la prescription en DCI |
|
|
|
Prescrire en dénomination commune internationale
(DCI) rend aux prescripteurs et aux pharmaciens leurs rôles
respectifs dans le choix du traitement et dans sa mise en uvre.
C'est l'occasion pour le prescripteur de s'intéresser à
l'essentiel de sa tâche, le diagnostic et la stratégie
thérapeutique, et de concentrer son attention sur les bonnes
pratiques de prescription. Mais dans certains cas, prescrire en DCI
peut avoir plus d'inconvénients que d'avantages. |
|
|
Distinguer traitements ponctuels
et traitements au long cours
Prendre
en compte les excipients à effet néfaste potentiel
Prendre
en compte les facteurs psychologiques
La
non-bioéquivalence fait parfois courir un risque clinique
Une modification
de l'aspect du médicament risque de troubler le patient
Prendre
en compte le choix du patient
En pratique :
les limites pharmacothérapeutiques de la prescription
en DCI
|
|
Distinguer traitements ponctuels et traitements
au long cours
On peut distinguer deux types de situations : la prescription
des traitements ponctuels et la prescription des traitements
au long cours, pour des affections chroniques ou récidivantes.
La distinction est bien sûr schématique :
tout dépend du patient, de sa proximité avec le
prescripteur et avec le pharmacien, de sa manière d'aborder
les traitements, etc. Mais elle permet de clarifier la réflexion.
Traitement ponctuel : domaine de prédilection
de la prescription en DCI. Lorsqu'un patient a besoin
d'un traitement ponctuel, de durée relativement courte,
pour traiter par exemple une infection aiguë, ou une douleur
aiguë liée à un traumatisme, l'essentiel
tient dans le choix de la substance active et de la posologie.
On ne risque pas alors de perturber les habitudes thérapeutiques
du patient, ni de modifier des taux plasmatiques antérieurement
stabilisés. On se trouve ici dans le domaine de prédilection
de la prescription en DCI. Elle peut permettre au patient de
bien comprendre comment il a été traité,
et d'identifier la substance en d'autres occasions de sa vie,
ou de celle de ses proches.
Traitement de longue durée. Lorsqu'il
s'agit d'instaurer un traitement de longue durée, on
se retrouve dans la situation décrite ci-dessus :
le patient n'a encore jamais pris le médicament. On peut,
comme pour un traitement ponctuel, choisir une forme adaptée,
vérifier l'absence de risque connu lié à
un excipient, écarter tout obstacle psychologique, et
prescrire en DCI. Cela peut être souhaitable pour que
le patient connaisse bien son traitement, en particulier s'il
se déplace et est amené à demander une
nouvelle dispensation dans d'autres pays.
Lors du premier renouvellement du traitement, la prescription
est à reconduire si le médicament a été
bien supporté et a eu l'efficacité attendue. Elle
peut, là encore, se faire en DCI, mais divers arguments
pharmacocinétiques, psychologiques ou pratiques peuvent
nécessiter de prescrire plutôt, sous son nom de
marque, la spécialité déjà prise
par le patient, ou de dispenser cette spécialité
et pas une autre, même si l'ordonnance est rédigée
en DCI. |
|
Prendre en compte les excipients à
effet néfaste potentiel
Chaque soignant connaît des patients (enfants ou adultes)
que gênent certains arômes ou odeurs. Pour aider
alors à la bonne acceptation du traitement, le prescripteur
ou le pharmacien peut facilement exclure les spécialités
en contenant.
Formes pharmaceutiques. D'autres
patients apprécient, pour des raisons personnelles, culturelles,
religieuses ou autres, des formes pharmaceutiques plus que d'autres :
sèches plutôt que buvables, crèmes plutôt
que solutions topiques, formes non alcoolisées, ou sans
gélatine d'origine animale, etc. D'autres encore peuvent
être contrariés par le conditionnement d'un médicament :
flacon de collyre difficile à ouvrir, pipette doseuse
peu explicite, etc.
Prescripteurs et pharmaciens doivent tenir compte de tous ces
éléments, tout en vérifiant que la forme
préférée n'expose pas à des risques
inutiles : risques liés à une injection intramusculaire
plutôt qu'à une prise orale par exemple.
Excipients. Mises à part ces
questions pratiques ou de "confort", certains patients
doivent éviter des excipients tels que saccharose, alcool
éthylique, sodium, potassium, par exemple (s'il y a contre-indications
ou risques d'interactions) ; ou encore certains conservateurs
tels que dérivés mercuriels ou ammoniums quaternaires
en ophtalmologie, sulfites par voie injectable, lanoline en
application sur la peau, par exemple (quand le patient a une
allergie connue).
Dans ces différents cas, la DCI ne suffit pas forcément
à définir correctement le médicament adapté,
exempt de tel ou tel inconvénient. Il faut être
plus précis. Et le plus simple peut consister alors à
choisir précisément une spécialité
pharmaceutique qui ne présente pas ces inconvénients. |
|
Prendre en compte les facteurs psychologiques
La prescription en DCI peut éclairer la plupart des patients ;
ou même renforcer leur confiance dans un médicament
mieux connu, et dans les professionnels qui prescrivent et dispensent
ce médicament. Elle peut cependant en inquiéter
d'autres, même lors de traitements ponctuels.
Le nom de marque d'une spécialité déjà
utilisée avec satisfaction par un parent peut avoir un
effet favorable et faciliter l'adhésion au traitement.
À l'inverse, les critiques de l'entourage sur tel autre
nom de marque peuvent être à l'origine d'une méfiance
néfaste. Quand ces réticences s'avèrent
insurmontables, il peut être préférable
pour le prescripteur de désigner une spécialité
précise, ou pour le pharmacien de choisir, à partir
d'une prescription en DCI, le nom de marque qui est bien accepté
par le patient. |
|
La non-bioéquivalence fait parfois
courir un risque clinique
Les définitions de la bioéquivalence de deux médicaments
diffèrent en partie selon les sources, mais se rejoignent
sur l'essentiel. Ainsi, en France, le Code de la santé
publique (article R. 5143-9) appelle bioéquivalence :
« l'équivalence des biodisponibilités »,
et biodisponibilité : « la vitesse et
l'intensité de l'absorption dans l'organisme à
partir d'une forme pharmaceutique, du principe actif ou de sa
fraction thérapeutique destinée à devenir
disponible au niveau des sites d'action ».
Pour la Cour de justice des communautés européennes,
« deux médicaments sont bioéquivalents
s'il s'agit de produits pharmaceutiques équivalents ou
alternatifs et si leur biodisponibilité (degré
et vitesse) après administration, dans la même
dose molaire, est à tel point similaire que leurs effets,
tant du point de vue de leur efficacité que de leur sécurité,
sont essentiellement les mêmes ».
La stricte bioéquivalence est rarement indispensable
pour assurer la bonne continuité d'un traitement. Mais,
dans certaines situations, elle doit être recherchée
afin d'éviter un risque de surdosage (avec effets indésirables
éventuels), ou de sous-dosage (avec inefficacité
éventuelle). C'est le cas des médicaments à
marge thérapeutique étroite et/ou chez certains
patients à risque particulier.
Même si les publications d'incidents liés à
l'absence de bioéquivalence et ayant eu un impact clinique
tangible sont rares, les recommandations en vigueur dans de
nombreux pays convergent : soit éviter de changer de
spécialité pour ces médicaments et chez
ces patients ; soit accompagner le changement d'une surveillance
accrue et d'une information du patient sur les risques encourus.
Certaines formes pharmaceutiques et voies d'administration ne
permettent pas facilement de démontrer une bioéquivalence
par les méthodes classiques. C'est notamment le cas lorsque
les concentrations plasmatiques atteintes sont faibles (avec
des formes pour application locale ou des aérosols-doseurs
par exemple). Le changement de spécialité n'est
de ce fait pas recommandé avec ces formes.
C'est également le cas avec toutes celles qui impliquent
un apprentissage spécifique d'utilisation (par exemple
les dispositifs inhalateurs), qu'il serait regrettable d'imposer
de façon réitérée aux patients,
et qui peut s'avérer source d'erreurs. |
|
Une modification de l'aspect du médicament
risque de troubler le patient
Les détracteurs de la prescription en DCI citent souvent
les personnes âgées ou atteintes d'affections psychiatriques
comme exemples de patients chez lesquels tout changement de
spécialité est risqué. Il est possible
en effet de perturber une personne non avertie, psychologiquement
fragile ou atteinte de troubles de la mémoire ou de l'attention,
en changeant ne serait-ce que la couleur des comprimés.
Cependant, il revient toujours aux prescripteurs, aux pharmaciens
et aux autres soignants de porter leur attention sur le niveau
d'information de ces personnes, en tâchant de l'élever,
et sur la manière dont elles utilisent leurs médicaments.
Même si la prescription n'est pas en DCI mais en nom de
marque, il faut expliquer, surveiller et préparer aux
changements de conditionnement, de couleur, de forme, de sécabilité,
etc. qui surviennent de temps à autre, y compris pour
une même spécialité.
Ces changements ne sont pas toujours clairement et largement
annoncés par les firmes pharmaceutiques, et requièrent
beaucoup d'attention, notamment lors de la dispensation. |
|
Prendre en compte le choix du patient
Il est normal qu'à partir d'une prescription en DCI
(ou en nom de marque), le patient lui-même puisse demander
à choisir parmi différentes spécialités
contenant la même substance, à la même
dose, et pour la même voie d'administration, en exprimant
ainsi sa préférence en matière de forme,
d'arôme, de prix, etc.
C'est par exemple le cas pour les antalgiques courants (une
personne peut ainsi préférer une certaine forme
orale de paracétamol), ou pour des antibiotiques prescrits
de façon itérative (des parents peuvent préférer
certaines présentations d'amoxicilline pour leurs enfants,
car ils en connaissent bien le dispositif de mesure des doses
à type de pipette ou de cuillère). Il arrive
également que des patients demandent des spécialités
dont ils savent le coût moins élevé.
Tous les risques pharmacothérapeutiques cités
précédemment étant pris en compte, il
n'y a pas de raison de rejeter de telles demandes. Elles peuvent
poser au pharmacien des problèmes de stockage de diverses
spécialités similaires, alors que la prescription
en DCI permet en général de réduire les
stocks. Un dialogue avec le patient aide alors à trouver
des compromis raisonnables.
|
© La revue Prescrire 15 août 2002
|
|
|
|
|
|