Revue Prescrire, article en une, DES (Diéthylstilbestrol) septembre 2007
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Diéthylstilbestrol (DES) :
des dommages trente ans plus tard
 
Une monumentale erreur médicale.
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Diéthylstilbestrol (DES) : des dommages trente ans plus tard
Rev Prescrire 2007 ; 27 (287) : 700-702.
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DES France : des patients à la pointe du combat
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Depuis le 2 juillet 2006, le bénéfice du congé de maternité est accordé dès le premier jour de l'arrêt de travail aux femmes exposées in utero au diéthylstilbestrol, alias DES (Distilbène°). Cette mesure intervient près de 30 ans après l'arrêt des prescriptions et la mise en évidence d'anomalies utérines, sources de risques obstétricaux chez les filles exposées au DES in utero.
L'histoire du DES est toujours à rappeler et à enseigner pour réfléchir aux conséquences du manque de rigueur de l'évaluation clinique avant la mise sur le marché, et de la lenteur à prendre en compte des effets indésirables après commercialisation.

Après la parution en 1983 dans le journal Le Monde d'un article marquant intitulé "Une monumentale erreur médicale. Les enfants du distilbène", la toute jeune revue Prescrire a consacré un premier dossier à "L'affaire Distilbène°". D'autres textes ont suivi ; celui du numéro 109 de 1991 se concluait par cette recommandation : " l'exemple du DES devra encore être enseigné et médité dans l'avenir ". Cette remarque est toujours d'actualité.

Utilisé pour prévenir
les complications de la grossesse

Très vite, la synthèse aisée des stilbestrols, alliée à un prix de revient réduit, poussa de nombreuses firmes pharmaceutiques à en commercialiser et les médecins à les essayer dans différentes situations, telles que, selon la terminologie de l'époque, la carence folliculinique après la ménopause, les phénomènes d'insuffisance estrogène, l'inhibition de la fonction galactogène, etc. En 1946, un couple de chercheurs de Boston, les Smith, publient dans The American Journal of Obstetrics and Gynecology les résultats favorables qu'ils ont obtenus en administrant le DES à des femmes enceintes pour diminuer la fréquence de certaines complications de la grossesse : avortements, accouchements prématurés, morts in utero. Dès 1947, des études menées par d'autres scientifiques ne confirment pas les travaux des Smith. Mais les Smith persistent et, en 1948, publient de nouveaux résultats favorables à l'utilisation du DES.

Malgré une étude négative bien menée,
l'usage du DES pendant la grossesse continua

En 1953, une équipe universitaire de Chicago publie, également dans The American Journal of Obstetrics and Gynecology, les résultats d'un essai comparatif randomisé et en double aveugle.
C'est la première étude rigoureuse sur l'utilisation du DES pendant la grossesse. Non seulement elle ne confirme pas la thèse des Smith, mais elle révèle que certaines complications de la grossesse sont plus fréquentes chez les femmes qui ont pris du DES que chez les femmes du groupe placebo (avortement, prématurité, surmortalité périnatale).
Pourtant, le "schéma des Smith", un calendrier des doses de DES à administrer au cours de la grossesse, continua à être enseigné dans les universités, et l'utilisation du diéthylstilbestrol resta recommandée par les autorités médicales.
À la fin des années 1950, une publicité pharmaceutique n'hésita pas à présenter le DES comme un remède miracle recommandé "pour une prophylaxie de routine dans toutes les grossesses".

Beaucoup de temps perdu
En 1971, une équipe de gynécologues de Boston émit l'hypothèse d'un lien entre l'administration de DES et la survenue, chez les filles issues de ces grossesses, d'adénocarcinomes à cellules claires du vagin à un âge se situant entre 15 ans et 22 ans. C'est la mère de l'une des jeunes filles qui les avait mis sur la voie. Le lien DES-cancer du vagin fut confirmé, notamment grâce à un registre mis sur pied aux États-Unis d'Amérique pour colliger tous les cas d'adénocarcinomes du vagin survenant chez les jeunes femmes.
La survenue d'un adénocarcinome du vagin se révéla heureusement rare, le risque étant estimé de l'ordre de 1/1 000 à 1/10 000 filles exposées, de la naissance à l'âge de 34 ans.

Des grossesses à haut risque
En 1977, une nouvelle publication dans The American Journal of Obstetrics and Gynecology signala, chez les jeunes filles exposées in utero au DES, une fréquence élevée d'anomalies morphologiques au niveau de l'utérus. Ces anomalies furent confirmées par plusieurs études ultérieures : hypoplasie du col ou de l'utérus, utérus en T.
Les femmes exposées au DES in utero voient également leur fécondité affectée, comme leur avenir obstétrical : accroissement du risque de grossesse extra-utérine, d'avortement spontané et d'accouchement prématuré.

La France fut lente à réagir
Aux États-Unis d'Amérique, l'usage du DES fut contre-indiqué pendant la grossesse, dès 1971, par la Food and Drug Administration (FDA). Il a fallu attendre 6 ans de plus avant que la mention de la contre-indication pendant la grossesse n'apparaisse dans le dictionnaire Vidal. En France, les prescriptions de Distilbène° se sont étalées de 1948 à 1981 et on estime qu'environ 160 000 enfants y ont été exposés in utero. Le premier cas de cancer du vagin lié au DES a été publié en France en 1975.
Les femmes exposées in utero doivent bénéficier d'une surveillance gynécologique et d'une prise en charge obstétricale adaptée. Suite au décret de juillet 2006, elles peuvent bénéficier d'un congé de maternité plus précoce. Mieux vaut tard que jamais.

©La revue Prescrire 15 septembre 2007
Rev Prescrire 2007 ; 27 (287) : 700-702 (24 références).