Revue Prescrire, article en une,Evaluer les bénéfices d'un traitement, janvier 2008
Prescrire  Accueil 
 
Article en Une - Archive
Évaluer les bénéfices d'un traitement
   
D'abord les critères cliniques utiles aux patients.
Pour en savoir plus
 


Évaluer les bénéfices d'un traitement : d'abord les critères cliniques utiles aux patients
Rev Prescrire 2008 ; 28 (291) : 69-70.
Réservé aux abonnés
Cliquez ici

Progrès thérapeutique
Accès libre
Cliquez ici

Est-ce que je vais moins souffrir ou être moins handicapé(e) ou moins gêné(e) par la maladie avec ce traitement ? Est-ce que je vais guérir avec ce traitement ? Est-ce que ce traitement va réduire substantiellement mon risque d'avoir telle ou telle maladie ?

Répondre à ces questions élémentaires, que formulent plus ou moins explicitement les patients, est une des tâches des professionnels de santé.

Les bases de ces réponses sont à tirer des données d'évaluation du traitement. Pour analyser ces données, qu'il s'agisse d'un traitement, curatif ou préventif, médicamenteux ou non, la première étape est de définir les objectifs du point de vue des patients (1).

Sur quels critères juger alors l'efficacité thérapeutique d'un traitement ?

Critères cliniques utiles aux patients
D'une manière générale, la mortalité, la souffrance, le handicap, la gêne fonctionnelle ou la qualité de vie sont des critères utiles aux patients (1). Un critère utile est le plus souvent un critère clinique, généralement perceptible par le patient lui-même (a).

Pour bien choisir les critères d'évaluation d'un traitement, il est nécessaire de connaître l'évolution naturelle de la maladie.

Par exemple, pour évaluer un traitement après un infarctus du myocarde, souvent mortel, la mortalité est un critère manifestement utile au patient. Après pose d'un "stent" coronaire, mieux vaut chercher à évaluer le risque d'infarctus du myocarde ou la mortalité que l'incidence de nouvelles sténoses détectées par angiographie.

Par contre, la mortalité n'est sûrement pas le critère d'évaluation d'efficacité le plus utile pour des patients ayant de l'arthrose, alors que la douleur, la mobilité articulaire ou la qualité de vie le sont manifestement.

Prudence avec les critères intermédiaires
Des critères intermédiaires sont souvent utilisés dans les essais cliniques, car il est plus facile et plus rapide de montrer par exemple qu'un médicament baisse la pression artérielle ou la cholestérolémie que d'attendre une éventuelle diminution du nombre d'accidents cardiovasculaires.

Pour la firme qui tire ses revenus du médicament, c'est un moyen de retour sur investissement plus rapide. Et pour les soignants, il est bien plus facile de mesurer l'effet d'un traitement sur un critère intermédiaire, effet mesurable dans un court intervalle de temps.

Mais c'est beaucoup plus discutable pour les patients, puisqu'un traitement efficace sur un critère intermédiaire est parfois inefficace, voire délétère, sur des critères qui importent pour les patients (2,3).

Ainsi, ce qui est utile aux patients hypertendus, c'est de prévenir l'accident vasculaire cérébral (AVC), l'infarctus du myocarde, etc. La mesure isolée de la pression artérielle dans un essai ne permet pas de répondre au patient sur les bénéfices cardiovasculaires du traitement testé. Par exemple, la doxazosine, un alphabloquant, et l'hydrochlorothiazide, un diurétique thiazidique, abaissent tous deux la pression artérielle. Mais l'hydrochlorothiazide est beaucoup plus efficace en termes de prévention des complications cardiovasculaires chez les patients hypertendus (4,5).

Autre exemple, le tériparatide, un dérivé de l'hormone parathyroïde humaine, et l'acide alendronique, un diphosphonate, augmentent tous deux la densité minérale osseuse des femmes ménopausées qui ont une ostéoporose. Mais seul l'acide alendronique a une efficacité prouvée en prévention des récidives de fractures non vertébrales (6).

Critères de substitution
Dans certains cas cependant, force est d'utiliser des critères intermédiaires pour évaluer un traitement. À condition qu'il existe des données solides démontrant une bonne corrélation entre la modification du critère intermédiaire choisi et l'évolution clinique de la maladie (2,3,7).

Par exemple, compte tenu de la gravité du sida en l'absence de traitement, pas question de risquer une perte de chance pour les malades en attendant des résultats d'essais versus placebo basés sur la mortalité. Il a fallu trouver des critères intermédiaires utiles pour évaluer les médicaments antirétroviraux. La mesure de la charge virale et le taux de lymphocytes CD4 sont des critères intermédiaires qui se sont avérés satisfaisants pour évaluer l'efficacité des médicaments antirétroviraux car ils sont bien corrélés à l'évolution du sida, c'est-à-dire aux risques de maladies opportunistes ou de décès (8,9).

Ainsi, certains critères intermédiaires sont des critères d'évaluation des bénéfices d'une intervention utiles aux patients, particulièrement lorsque les critères cliniques d'évaluation sont éloignés dans le temps ou comportent un caractère particulièrement grave (tels que la mort ou un handicap sévère) ; on les appelle des critères de substitution.

La balance bénéfices-risques a deux plateaux
Cependant, un critère de substitution bien choisi pour sa bonne corrélation avec l'évolution de la maladie ne suffit pas.

Un tel critère risque fort de méconnaître les effets du traitement dans d'autres domaines que celui de la maladie traitée.

Ainsi, une autorisation de mise sur le marché avait été accordée pour le clofibrate, un fibrate, sur la foi de l'effet constaté en termes de baisse du taux sanguin de cholestérol. Ce n'est qu'après sa commercialisation qu'a été mise en évidence une augmentation de la mortalité dans les groupes de patients prenant ce médicament, du fait d'un excès de cancers (10,11).

De même, le torcétrapib augmente la HDL cholestérolémie, mais il a aussi augmenté la mortalité dans un essai clinique, d'où l'arrêt de son développement (12).

Lorsqu'on mesure la pression artérielle ou la cholestérolémie ou lorsqu'on compte les extrasystoles ventriculaires sur un enregistrement électrocardiographique, ou encore lorsqu'on mesure la densité osseuse, on utilise des critères intermédiaires qui ne suffisent pas à prouver l'utilité des traitements pour les patients.

En conclusion
Pour bien cerner les bénéfices d'une intervention préventive ou curative, mieux vaut donner la priorité aux critères cliniques utiles aux patients. Cependant, la décision thérapeutique doit aussi prendre en compte les risques et les options thérapeutiques, en comparant les balances bénéfices-risques. Pour cela, il est nécessaire d'évaluer les risques d'une intervention. Nous y reviendrons dans un futur numéro.

©Prescrire 15 janvier 2008
Rev Prescrire 2008 ; 28 (291) : 69-70.

_________
Notes
a- Il existe quelques cas particuliers où un critère est utile sans concerner directement la personne qui reçoit le traitement. Ainsi, la mortalité des personnes âgées en institution est un critère utile pour évaluer les bénéfices de la vaccination antigrippale du personnel travaillant dans ces institutions (réf. 13).
_________
Références
1- Prescrire Rédaction "Critères cliniques" Rev Prescrire 1989 ; 9 (84) : 150.
2- Prescrire Rédaction ""Critères intermédiaires", "critères de substitution". À ne pas confondre avec "critères cliniques"" Rev Prescrire 1989 ; 9 (85) : 200.
3- Greenhalgh T "Les articles qui décrivent des essais thérapeutiques". In : Greenhalgh T "Savoir lire un article médical pour décider" RanD, Meudon 2000 : 79-87.
4- Prescrire Rédaction "Hypertension artérielle : diurétique en première ligne. Confirmation par un grand essai" Rev Prescrire 2003 ; 23 (238) : 299-301.
5- Prescrire Rédaction "HTA : l'essai ASCOT-BPLA ne change pas la stratégie thérapeutique" Rev Prescrire 2006 ; 26 (270) : 205-206.
6- Prescrire Rédaction "Ostéodensitométrie chez les femmes ménopausées en bonne santé. Utile pour éviter des traitements inutiles" Rev Prescrire 2007 ; 27 (285) : 516-521.
7- Kassaï B et coll. "Critères intermédiaires et critères de substitution" Médecine thérapeutique 2006 ; 12 (2) : 96-103.
8- Prescrire Rédaction "Les lymphocytes T CD4+ dans l'infection HIV" Rev Prescrire 1993 ; 13 (132) : 467-469.
9- Prescrire Rédaction "Antirétroviraux : de nouveaux critères européens d'AMM" Rev Prescrire 1998 ; 18 (181) : 117.
10- Prescrire Rédaction "Médicaments hypocholestérolémiants. Une efficacité démontrée pour certaines substances, mais un intérêt différent en prévention primaire ou secondaire" Rev Prescrire 1999 ; 19 (194) : 282-288.
11- Prescrire Rédaction "Hyperlipidémies. Quelle place pour les fibrates en prévention cardiovasculaire ?" Rev Prescrire 2001 ; 21 (219) : 555-556.
12- Prescrire Rédaction "Torcetrapib : arrêt du développement d'un hypolipidémiant" Rev Prescrire 2007 ; 27 (280) : 108.
13- Prescrire Rédaction "Soignants : se faire vacciner contre la grippe. Un service rendu aux patients à risque" Rev Prescrire 2000 ; 20 (209) : 603-604.