Revue Prescrire, article en une, Agalsidase juillet 2003
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Agalsidase :
Une affaire de "médicament orphelin" révélatrice
 
Depuis l'examen du dossier d'évaluation clinique de l'agalsidase par la revue Prescrire, en 2002, il est apparu que certaines données de ce dossier étaient trompeuses.
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Avec du recul : les conclusions de la revue Prescrire en 2003

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Les conclusions de la revue Prescrire en 2002
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L'agalsidase ne concerne que quelques dizaines de patients en France, mais les enseignements à tirer de son histoire valent pour tous les patients et les soignants.

Sous-traitance de la recherche clinique
L'agalsidase est destinée au traitement substitutif au long cours de la maladie de Fabry, une maladie due à un déficit enzymatique qui touche environ 1 homme sur 50 000. Actuellement, les pouvoirs publics sous-traitent aux firmes l'essentiel de la recherche clinique en thérapeutique. Pour les intéresser aux maladies rares, qui constituent un marché a priori peu rentable du fait du petit nombre de malades concernés, la réglementation européenne prévoit depuis quelques années un statut particulier de "médicament orphelin" destiné à ce type d'affections. Ce statut dispense les firmes de divers frais avant d'obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM), et leur permet de gagner dès lors de l'argent par la vente du médicament. Une réglementation similaire existe aux États-Unis d'Amérique depuis 1983.
Dans le cas de la maladie de Fabry, deux firmes ont été attirées, au point d'entrer en concurrence frontale, chacune développant en parallèle sa spécialité pharmaceutique. Cette concurrence, mal encadrée, a causé de nombreux dégâts.

Confusion autour de la dénomination commune internationale
Dans les deux cas, la substance commercialisée est l'enzyme humaine qui manque aux malades, produite par biotechniques. Les assertions d'originalité revendiquées par chaque firme ont conduit à la création de deux dénominations communes internationales (DCI), agalsidase alfa et agalsidase bêta.
À la mi-2003, il est certes acquis que le mode de production est différent, mais que des points de vue biochimique et effet thérapeutique, les deux substances dénommées "agalsidase" sont interchangeables. Il ne devrait exister qu'une seule DCI.

Mépris des vrais besoins des patients
La rareté de la maladie limite fortement le nombre de personnes susceptibles d'être incluses dans des essais comparatifs, et doit particulièrement stimuler l'ingéniosité des chercheurs pour mettre au point des protocoles intelligents et pertinents. Mais la concurrence non encadrée entre les firmes les a poussées à des essais évaluant des posologies différentes sur des critères différents.
Le morcellement des connaissances peu ou pas comparables ajoute à la confusion pour les patients et les soignants.

Opacité et légèreté inadmissibles de l'Agence européenne du médicament
L'une des deux firmes a présenté un dossier faisant état de résultats cliniques : réduction des douleurs, préservation de la fonction rénale, au terme d'un essai versus placebo. L'Agence européenne a entériné ces résultats et les a rapportés sans contestation ni analyse détaillée des données dans le rapport d'évaluation qu'elle diffuse en annexe de chaque avis favorable à l'octroi d'une AMM européenne par procédure centralisée. Le médicament concurrent a reçu une AMM quasi simultanément, et tous deux ont été vendus à prix d'or (selon les prix catalogues, près de 200 000 euros par an et par patient).
La revue Prescrire a publié sa synthèse sur la question, à partir du rapport de l'Agence européenne, des publications de la presse biomédicale, et des documents fournis par les firmes. Plusieurs mois plus tard, l'Agence américaine du médicament a rendu publique son analyse de ce dossier. À l'inspection des données de chaque patient inclus dans l'essai, les données concernant la douleur se sont révélées mal recueillies, au point de les rendre non probantes. Le fait que les résultats de l'essai apparaissent favorables en ce qui concerne la fonction rénale s'est révélé tenir à une donnée, apparue au moment précis de la date d'évaluation prévue au protocole, donnée aberrante et discordante par rapport aux données recueillies jusque-là. Au point que les résultats en question ne peuvent pas être tenus pour fiables.
Ceux qui, comme la Rédaction de la revue Prescrire, privilégient les résultats cliniques par rapport aux résultats sur des critères intermédiaires, notamment biologiques, avaient été trompés dans leurs analyses et leurs choix thérapeutiques.

Enseignements à tirer
Tous les acteurs du système de santé ont matière à réflexion dans cette affaire.
Patients et soignants ont intérêt à exiger la transparence maximale de la part des agences du médicament. Ils ont intérêt aussi à ne pas se précipiter pour examiner le dossier d'un nouveau médicament, ne pas se contenter des données publiées par la presse biomédicale, ni des données fournies par les firmes, et savoir réviser leur jugement et leurs choix quand les données évoluent.
Les autorités sanitaires, si elles persistent à vouloir sous-traiter la recherche clinique aux industriels, ont intérêt à encadrer sérieusement les activités des firmes, y compris la concurrence qui s'ensuit. Faute de quoi les économies réalisées en dépenses de recherche sont dilapidées en dépenses de prise en charge de traitements mal évalués et mal adaptés. Cet encadrement passe par des agences du médicament solides, ayant les moyens financiers et humains de leur indépendance, les moyens et le temps d'un travail au fond, et fonctionnant sans perdre de vue qu'elles doivent rendre des comptes aux citoyens, avant tout.
Les firmes ont intérêt à jouer le jeu de la qualité et du professionnalisme, si elles veulent disposer d'un minimum de crédibilité chez les patients et les soignants.

©La revue Prescrire 1er juillet 2003
Rev Prescr 2003 ; 23 (241) : 499.