« Les médicaments de la maladie d'Alzheimer disponibles début 2018 ont une efficacité minime et transitoire. Ils sont peu maniables en raison d'effets indésirables disproportionnés et exposent à de nombreuses interactions. Aucun de ces médicaments n'a d'efficacité démontrée pour ralentir l'évolution vers la dépendance et ils exposent à des effets indésirables graves, parfois mortels. Or ils sont utilisés en traitement prolongé et impliqués dans des interactions dangereuses. Mieux vaut se concentrer sur l'aide à l'organisation du quotidien, le maintien d'activité, l'accompagnement et l'aide de l'entourage ». Ce constat figure depuis 2014 dans le dossier Prescrire "Pour mieux soigner, des médicaments à écarter", téléchargé des centaines de milliers de fois sur le site www.prescrire.org (1).
En France, en mai 2018, la ministre de la santé en a tenu compte. Elle a décidé qu'à partir du 1er août 2018 ces médicaments ne seraient plus remboursables ni agréés aux collectivités : donépézil (Aricept° ou autre), galantamine (Reminyl° ou autre), rivastigmine (Exelon° ou autre), et mémantine (Ebixa° ou autre) (2,3). Cette mesure était prévisible. Fin 2016, la Commission de la transparence de la Haute autorité de santé (HAS) avait conclu que leur service médical rendu (SMR) est insuffisant, et elle avait en conséquence demandé leur déremboursement (4,5).
Données de plus en plus préoccupantes au fil du temps. Les premiers médicaments autorisés dans la maladie d'Alzheimer, apparus au milieu des années 1990, ont suscité un réel espoir. Mais, en 1998, après analyse des données d'évaluation clinique, Prescrire avait conclu que leur efficacité n'était que symptomatique et modeste ; en regard, leur profil d'effets indésirables semblait acceptable au vu des données connues à l'époque (4).
Avec le temps, les données concernant les effets indésirables graves, voire mortels, se sont accumulées, alors que les données concernant l'efficacité sur les symptômes, la dépendance et l'évolution de la maladie se sont avérées plus décevantes que prévu. Sans compter que ces médicaments sont impliqués dans de nombreuses interactions médicamenteuses (4). Face à cette accumulation, en 2012, Prescrire a appelé à protéger les patients en évitant ces médicaments plus dangereux qu'utiles (6).
Une Haute autorité longtemps en défaut. En 2008, la HAS a publié un premier guide de pratique clinique sur la prise en charge de la maladie d'Alzheimer, qui faisait une place excessive et non fondée aux médicaments. Prescrire a alors appelé à ne pas tenir compte des recommandations de la HAS (7). Et le Formindep, association agissant pour plus d'indépendance dans le domaine de la santé, a saisi le Conseil d'État et demandé le retrait de ce guide, en raison d'un manque de prise en compte des liens d'intérêts de contributeurs à son élaboration. Sans attendre la décision du Conseil d'État, la HAS a abrogé son guide en 2011 (8). Mais dans la version suivante, la HAS a continué de passer sous silence l'extrême minceur de l'efficacité de ces médicaments, et leurs très nombreux et très fréquents effets indésirables (9).
Ce n'est qu'en 2016, après réévaluation de leur balance bénéfices-risques par la Commission de la transparence, que la HAS a finalement reconnu que ces médicaments n'avaient pas de place dans la prise en charge de la maladie d'Alzheimer et qu'elle a demandé leur déremboursement (4,5). Et en mai 2018, la HAS a publié un guide de parcours de soins affirmant qu'il n'y a rien à attendre du côté de ces médicaments (10).
En pratique. La maladie d'Alzheimer est une épreuve pour les patients qui subissent le déclin de leurs facultés, et pour leur entourage confronté à une dépendance croissante. En 2018, aucun médicament n'apporte d'amélioration durable. Ces médicaments déremboursés hâtent même la mort de certains patients. Ce déremboursement est justifié. Il serait logique qu'il soit suivi par un retrait du marché, y compris au niveau européen.
Ce déremboursement signale clairement qu'il n'est plus question de faire reposer l'accompagnement des patients et de leur entourage désemparé sur une illusoire médicamentation. Les soins à ces patients, et le soutien à l'entourage, sont autres et nécessitent des moyens d'abord humains, concrets : aide pratique dans les tâches quotidiennes, activités stimulantes pour les patients, soutien psychologique à l'entourage, capacité à prendre un relais temporaire ou durable de l'entourage, etc. Utiliser les ressources économiques, jusque-là gaspillées dans le remboursement de ces médicaments, pour financer des initiatives dans ce sens est un minimum.
©Prescrire 5 juin 2018
Références :
1- Prescrire Rédaction "Bilan 2014 des médicaments à écarter : neurologie" Rev Prescrire 2014 ; 34 (364) : 142 + "Bilan 2018 des médicaments à écarter : neurologie" Rev Prescrire 2018 ; 38 (412) : 142-143.
2- APM "Les médicaments anti-Alzheimer bientôt déremboursés" 28 mai 2018 : 1 page.
3- "Arrêté du 29 mai 2018 portant radiation de spécialités pharmaceutiques de la liste mentionnée au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale" + "Arrêté du 29 mai 2018 portant radiation de spécialités pharmaceutiques de la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivités publiques prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique" Journal Officiel du 1er juin 2018 : 16 pages.
4- Prescrire Rédaction "Médicaments de la maladie d'Alzheimer" Rev Prescrire 2016 ; 36 (398) : 904.
5- HAS - Commission de la transparence "Avis-Aricept + Ebixa + Exelon" 19 octobre 2016 + "Avis-Reminyl" 6 juillet 2016 : 17 pages.
6- Prescrire Rédaction "Médicaments de la maladie d'Alzheimer : à éviter" Rev Prescrire 2012 ; 32 (340) : 105.
7- Prescrire Rédaction "Maladie d'Alzheimer et autres démences : un guide HAS biaisé, des affirmations hasardeuses" Rev Prescrire 2009 ; 29 (304) : 150.
8- Prescrire Rédaction "Guides de pratique clinique de la Haute autorité de santé : trop de conflits d'intérêts cachés" Rev Prescrire 2009 ; 29 (309) : 546.
9- Prescrire Rédaction "Guide "Maladie d'Alzheimer" : gare aux malfaçons (suite)" Rev Prescrire 2012 ; 32 (343) : 387.
10- HAS "Guide parcours de soins des patients présentant un trouble neurocognitif associé à la maladie d'Alzheimer ou à une maladie apparentée" mai 2018 : 37 pages.
Source : "Médicaments de la maladie d'Alzheimer : enfin non remboursables en France !" Rev Prescrire 2018 ; 38 (416).
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