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Liens experts/firmes : pourquoi se gêner ?

Les révélations de Mediapart sur un système d'ententes entre des hauts responsables du médicament en France et des firmes appellent une réaction forte des autorités politiques et du monde médico-pharmaceutique. Une première étape consiste à faire que le "sunshine act à la française" permette réellement de connaître les plus gros liens d'intérêts des soignants avec des firmes, tout autant que les plus petits.

Une enquête de Mediapart publiée le 24 mars 2015 met en cause le comportement de plusieurs membres des commissions d'autorisation de mise sur le marché de l'Agence française du médicament et de la commission de la transparence de la Haute autorité de la santé, qui a un rôle clé dans la détermination du prix et du taux de remboursement des médicaments en France, dans les années 1990-2000 (1). Selon cette enquête, des membres de ces commissions, dont un président et un vice-président, ont conseillé secrètement pendant des années des firmes pharmaceutiques : « ce groupe de consultants, qui recevaient souvent à Marseille des représentants de laboratoires, ne garantissait pas une décision favorable. Les laboratoires le savaient. Ils espéraient juste que le regard de la commission soit plus bienveillant à leur égard. Sans garantie aucune » (1).

Ces comportements allégués, dont la justice va être saisie, sont inacceptables et montrent une fois de plus l'étendue de la complaisance voire du déni pour les conflits d'intérêts, dans le monde médical et pharmaceutique français. Cette complaisance et ce déni sont de fait enseignés à la faculté, entretenus lors de la formation continue, récompensés dans la carrière et la médiatisation des leaders d'opinions. Aux dépens des patients, qui au bout du compte se retrouvent trop souvent exposés à des choix qui ne sont pas les meilleurs pour eux, et sont parfois même injustifiables.

Les soignants et leurs formateurs n'en sont pas les seuls responsables. Qu'attendent les autorités publiques et le monde politique pour défendre l'intérêt général et être plus fermes sur l'éviction des conflits d'intérêts dans le domaine de la santé et du médicament ? Pourquoi le financement public n'est-il pas assuré à hauteur des besoins de la formation des soignants, notamment de la formation continue ? Quand les autorités publiques et le monde politique vont-ils comprendre que les "économies" procurées par le financement par les firmes ne sont qu'une illusion, puisque les firmes répercutent la charge sur le prix et l'augmentation des ventes des médicaments remboursés par les assureurs maladie ? Et surtout une illusion nocive, puisqu'elle sape la qualité des soins.

La transparence sur les liens d'intérêt des soignants avec des firmes doit être totale : aujourd'hui, le "sunshine act à la française" censé assurer cette transparence n'est qu'un faux semblant, puisque les sommes les plus importantes restent dissimulées. On apprend l'existence de repas à 11 euros, qui influencent inconsciemment des soignants. Mais on ne sait rien de contrats de "travail" ou de "conseil" à plusieurs milliers ou dizaines de milliers d'euros, qui influencent des décideurs à grande échelle.

Les discussions parlementaires autour de la loi de santé sont une occasion unique pour mettre enfin en lumière l'ensemble des liens entre les firmes de produits de santé et les professionnels de santé, notamment ceux qui ont des responsabilités d'expertise, d'enseignement, dans les instances de régulation, etc.

C'est l'occasion pour les politiques de montrer qu'ils ont compris que le désastre du Mediator° n'est pas une exception, mais le résultat d'un système nocif, à l'œuvre en France et bien au-delà. Une occasion que la France soit dans ce domaine un exemple à suivre, et non une championne des conflits d'intérêts et de la médicamentation à tort et à travers. 

©Prescrire 27 mars 2015

Référence :
1- Hajdenberg M et Pascariello P "Les gendarmes du médicament faisaient affaire avec les labos" Mediapart 24 mars 2015 : 7 pages.

Dimanche 29 mars de 18 heures à 19 heures, émission en direct sur le site de Mediapart, avec la participation de Bruno Toussaint, directeur de Prescrire, Anne Chailleu, membre du Formindep et Philippe Even, président de l'Institut Necker
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