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Médicaments : priorité à l'intérêt des patients et à la santé publique

Après Mediator°, les propositions Prescrire pour redresser le cap de la politique du médicament.

Le désastre sanitaire du Mediator° (benfluorex) a montré l’ampleur de l’insuffisance de l’encadrement du marché du médicament, et la gravité de ses conséquences humaines.

Voici un ensemble de mesures dont Prescrire demande la mise en oeuvre pour protéger la population de futurs Mediator°, et plus largement pour redresser le cap de la politique du médicament en priorité vers les besoins de santé des patients et la santé publique.

Ces préconisations s’appuient sur l’expérience et l’analyse de l’équipe Prescrire au cours des 30 dernières années, exprimées dans de très nombreux textes publiés par Prescrire. Elles recoupent de nombreuses recommandations formulées en France par le rapport sénatorial de Mmes Hermange et Payet (2006) et le rapport de l’Assemblée nationale de Mme Lemorton (2008).

Des critères de mise sur le marché plus exigeants
> Propositions 1 à 3

Un financement public des activités de formation et d’information sur les médicaments
> Proposition  4

Une forte expertise des agences et autres institutions compétentes en matière de médicament
> Propositions 5 à 10

Transparence générale des agences et autres institutions compétentes en matière de médicament 
> Propositions 11 à 19

Une pharmacovigilance soutenue et active
> Propositions 20 à 33

Une formation initiale des professionnels de santé libre de l’influence des firmes
> Propositions 34 à 40 

Une formation continue des professionnels de santé réellement au service de l’amélioration des pratiques
> Propositions 41 à 45

Une information du public de qualité pour des décisions partagées soignant-patient 
> Propositions 46 à 52

Des pratiques professionnelles dans l’intérêt premier des patients
>  Propositions 53 à 57

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Des critères de mise sur le marché plus exigeants

1. Dans les dossiers de demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM) constitués par les firmes pharmaceutiques, rendre obligatoire la mise à disposition de résultats complets d’essais cliniques comparant le nouveau médicament au(x) médicament(s) de référence, dans leurs conditions optimales d’emploi.

2. Assurer au niveau européen une évolution de la législation exigeant que soit documentée avec un fort niveau de preuves dans les demandes d’AMM la valeur thérapeutique ajoutée du nouveau médicament et sa praticité dans ses conditions normales d’emploi.

3. Financer publiquement des essais cliniques comparatifs permettant de situer de manière objective les médicaments dans les stratégies thérapeutiques, en termes de bénéfices et de risques.

Un financement public des activités de formation et d’information sur les médicaments

4. Financer publiquement des activités actuellement financées apparemment par les firmes, mais qui sont de facto financées par la solidarité nationale par l’intermédiaire de la prise en charge des dépenses pharmaceutiques en ville et à l’hôpital : activités de recherche dans les hôpitaux ; formations des professionnels de santé à l’université, à l’hôpital et en ville ; fonctionnement des associations de patients ; etc.

Une forte expertise des agences et autres institutions compétentes en matière de médicament

5. Renforcer le nombre et la compétence des experts indépendants des firmes, notamment en développant une recherche clinique financée sur fonds publics.

6. Valoriser la participation en tant qu’expert externe des agences publiques dans la carrière des soignants notamment hospitaliers et hospitalo-universitaires, davantage que la participation aux travaux financés par les firmes.

7. Renforcer considérablement l’expertise interne des agences.

8. Favoriser le développement d’une expertise indépendante au niveau international, notamment européen.

9. Diversifier et croiser les compétences des experts dans les commissions et groupes de travail (épidémiologistes, soignants de premier recours, patients, etc.).

10. Renouveler régulièrement les responsables des groupes de travail et des commissions, les représentants d’institutions dans les commissions, etc., pour augmenter le nombre des personnes expérimentées et enrichir les compétences.

Transparence générale des agences et autres institutions compétentes en matière de médicament

11. Étendre l’obligation de transparence à l’intégralité des travaux de toutes les agences et autres institutions compétentes (en incluant la mise à disposition des documents utilisés pour la prise de positions ou de décisions).

12. Mettre en place un système indépendant de contrôle des déclarations des liens d’intérêts.

13. Mettre en place un système de sanctions en cas de non-divulgation de lien d’intérêts.

14. Lors des réunions des commissions, comités et autres groupes de travail, auditionner les personnes ayant au moins un lien d'intérêt avec une firme concernée (directement ou en tant que concurrente) ( par exemple médecin investigateur) ; puis rendre obligatoire la sortie de la salle des personnes  (experts ou autres) ayant au moins un lien d’intérêt (qu’il soit majeur ou mineur) avec au moins une firme concernée, lors de la discussion de prise de position ou de décision.

15. Mettre en place et appliquer des sanctions en cas de participation à une prise de position ou de décision en situation de lien d’intérêts avec une firme concernée par la position ou la décision.

16. Développer la transparence des débats et des prises de positions ou de décisions : ordre du jour détaillé des réunions connu à l’avance ; documents sur lesquels se sont prononcé les experts (documents fournis par les firmes ou obtenus par ailleurs). Tout ce qui concerne les données cliniques ou autres données importantes pour fonder le jugement (présentations, etc.) doit être publié.

17. Assurer l’expression des opinions minoritaires des experts en rendant obligatoires le relevé des votes dans les comptes rendus, le détail des opinions minoritaires avec leur motif, position par position ou décision par décision (l’enregistrement vidéo ou le verbatim des travaux permettent d’atteindre cet objectif).

18. Mettre en ligne et de façon facilement accessible les comptes rendus des réunions dans les deux semaines qui suivent ces réunions.

19. Assurer le suivi (la traçabilité) des recommandations formulées à chaque niveau des agences et autorités administratives et ministérielles compétentes en matière de médicament, avec publication le cas échéant des motivations de la nonprise en compte des recommandations.

Une pharmacovigilance soutenue et active

20. Autonomiser les responsabilités en matière de pharmacovigilance par rapport aux autorités et commissions compétentes en matière d’autorisation de mise sur le marché (AMM).

21. Faciliter l’obligation de notification d’effets indésirables des professionnels de santé par des moyens simplifiés (en particulier télédéclaration).

22. Valoriser, dans le cadre de la formation permanente des soignants, leurs notifications et leur participation à des études/enquêtes de pharmacovigilance avec leur centre régional de pharmacovigilance, davantage que pour la participation aux travaux menés par les firmes.

23. Encourager la notification par les patients des effets indésirables des médicaments aux centres régionaux de pharmacovigilance.

24. Encourager particulièrement la notification par les soignants et les patients des effets indésirables des médicaments sous surveillance particulière (anciens ou nouveaux), grâce à un pictogramme sur le conditionnement de ces médicaments et à une information sur la notice.

25. Informer régulièrement les professionnels de santé de la suite donnée à leurs signalements, grâce notamment à un accès facilité aux travaux des centres de pharmacovigilance (de niveau régional ou national), notamment sous la forme d’un bulletin d’information.

26. Développer la mise en route et le financement public d’études post-AMM, décidées sur avis de la commission d’AMM ou de pharmacovigilance.

27. Appliquer des sanctions, notamment financières, en cas de non-réalisation dans les délais prévus d’études post-AMM demandées aux firmes par les commissions d’AMM ou de pharmacovigilance.

28. Développer les capacités d’analyse des prescriptions et de réalisation d’études de pharmacoépidémiologie par les assureurs maladie et les établissements de soins.

29. Donner les moyens humains et financiers suffisants aux centres régionaux de pharmacovigilance pour traiter les notifications des soignants et des patients, mener des études de pharmacovigilance indépendantes et assurer une activité de formation et d’information des soignants et du public.

30. Rendre accessibles en ligne toutes les données et les notifications enregistrées dans les bases de données des centres de pharmacovigilance (régionaux, nationaux, internationaux) ; toutes les données recensées dans les rapports périodiques de type Periodic safety update reports (PSUR) ; toutes les mesures de suivi détailléees nationales et internationales (“follow up measures”).

31. Publier rapidement les données de pharmacovigilance susceptibles d’inciter les soignants et les patients : à notifier des effets indésirables ressentis avec tel ou tel médicament ; à prendre des précautions particulières ; ou à reconsidérer un traitement en cours.

32. Prendre sans retard les décisions de suspension ou de retrait d’AMM, sur la base d’une balance bénéfices-risques défavorable, notamment en cas d’alternative thérapeutique à meilleure balance bénéfices-risques ; le doute bénéficiant au patient et non au médicament.

33. Faire précéder le retrait d’un médicament du marché par la mise en ligne sans délai du compte rendu de la commission de pharmacovigilance ayant préconisé le retrait, ainsi que des documents sous-tendant cette décision.

Une formation initiale des professionnels de santé libre de l’influence des firmes

34. Rendre obligatoire l’emploi de la dénomination commune internationale (DCI) dans l’enseignement initial des professionnels de santé sur les médicaments, et l’accompagner de l’enseignement de la signification des segments-clés des DCI.

35. Développer considérablement l’enseignement de la pharmacologie et tout particulièrement de la pharmacologie clinique au cours des études médicales, pharmaceutiques et paramédicales.

36. Développer, au cours des études médicales, pharmaceutiques et paramédicales, un enseignement spécifique de la pharmacovigilance :son intérêt, ses concepts, ses méthodes, ses grands dossiers exemplaires (thalidomide, diéthylstilbestrol (DES), rofécoxib, fenfluramines inclus benfluorex, etc.).

37. Instaurer, au cours des études médicales, pharmaceutiques et paramédicales, un enseignement relatif à la sécurité des patients et à la gestion des risques d’erreurs liées aux soins et aux produits de santé.

38. Développer l’indépendance et la transparence des liens d’intérêt des enseignants.

39. Exiger des universités et des établissements hospitalo-universitaires la mise en place d’un fichier accessible au public des liens d’intérêt de leur personnel avec des firmes du domaine de la santé (produits de santé en général, matériel, etc.).

40. Rendre les lieux de formation des professionnels de santé indépendants des firmes des produits de santé (“fac et hôpital sans promo ni cadeau”) par un financement public suffisant des activités d’enseignement et de recherche : matériel, documentation, participation aux congrès, préparations aux examens, etc.

Une formation continue des professionnels de santé réellement au service de l’amélioration des pratiques

41. Mettre effectivement en place la formation permanente obligatoire des professionnels de santé, sur financement public.

42. Développer un réseau de délégués indépendants des firmes, chargés notamment de la diffusion d’informations de référence auprès des soignants.

43. Développer des formations pluriprofessionnelles associant médecins, pharmaciens, infirmiers, etc.

44. Renforcer les conditions d’agrément des organismes de formation : cahier des charges plus précis, référentiel de qualité, indépendance à l’égard des firmes, contrôle, sanctions.

45. Développer les outils permettant aux professionnels de santé d’évaluer leurs pratiques et de les faire évoluer dans l’intérêt des patients.

Une information du public de qualité pour des décisions partagées soignant-patient

46. Développer l’enseignement à l’école sur la santé, la maladie, la prévention, les moyens thérapeutiques médicamenteux ou non, de manière indépendante des firmes (pharmaceutiques, agro-alimentaires, etc.).

47. Multiplier les campagnes publiques d’information de qualité à destination du grand public pour un bon usage des médicaments.

48. Mettre en place une base publique, exhaustive et gratuite d’information sur les médicaments commercialisés (rapport d’évaluation, résumé des caractéristiques du produit, avis de la commission de transparence, bibliographie pertinente de qualité, etc.).

49. Associer davantage les patients et les usagers à la définition des campagnes d’information sur les médicaments.

50. Obliger les associations de patients ou d’usagers à rendre publiques leurs sources de financement.

51. Favoriser l’adhésion à des associations de patients ou d’usagers.

52. Financer l’éducation thérapeutique sur fonds publics.

Des pratiques professionnelles dans l’intérêt premier des patients

53. Publier en ligne le financement des soignants par les firmes (liste des contrats par soignant et par firme).

54. Appliquer les règles de transparence et de gestion des liens d’intérêts des structures nationales aux structures régionales et locales compétentes en matière de médicament : Commission médicale d’établissement ; groupements d’achats ; Observatoire des médicaments, des dispositifs médicaux et des innovations thérapeutiques (Omédit) ; etc.

55. Assurer l’indépendance des logiciels d’aide à la prescription, à la dispensation et à la gestion des officines par rapport aux firmes de produits de santé.

56. Valoriser l’acte de soins des pharmaciens d’officine et d’hôpital pour optimiser les prescriptions et les suivis thérapeutiques : conseil, éducation thérapeutique, aide et accompagnement des patients.

57. Faire évoluer en conséquence le mode de rémunération des pharmaciens d’officine pour concilier les missions présentées ci-dessus et l’équilibre financier des officines.

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Prescrire et les Assises du médicament

  • Prescrire a accepté l’invitation de participer aux Assises du médicament parce que l’affaire Mediator°, en révélant de nombreux dysfonctionnements dans la chaîne du médicament, ouvre une crise de confiance des patients et des soignants qui nécessite la mobilisation de toutes les énergies.
  • Prescrire, forte de son analyse approfondie du marché du médicament depuis 30 ans, fait partie des acteurs qui proposent des améliorations du système dans l’intérêt des patients.
  • Prescrire participe en toute indépendance et en toute liberté de parole.
  • Prescrire contribuera aux travaux des Assises tant que les conditions de sa participation lui permettront d’être utile pour l’accès de tous à des soins de qualité.
  • Les représentants de Prescrire aux Assises du médicament défendent les propositions présentées ci-dessus.
  • Prescrire a demandé que les Assises du médicament se déroulent en toute transparence devant l’ensemble de la société (par enregistrement vidéo). Demande restée vaine jusqu’à présent.
  • En publiant ses propositions, Prescrire donne à tous l’occasion de s’approprier les termes du débat et de pouvoir juger les propositions à venir des Assises du médicament.

©Prescrire 8 mars 2011

English version:

Prescrire's proposals to
France’s national conference
on medicines policy:
patients' interests and
public health should come first
www.english.prescrire.org
(March 2011)
Free