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Prix Prescrire : les Prix antérieurs

Prix Prescrire 2010 : 5 ouvrages primés

Prix Prescrire 2010 : des ouvrages primés par la Rédaction
Comment la psychiatrie et l’industrie pharmaceutique ont médicalisé nos émotions

Comment la psychiatrie et l'industrie pharmaceutique ont médicalisé nos émotionsCet ouvrage est la traduction de l’ouvrage d’un historien étatsunien, paru en 2007 sous le titre “Shyness, how behavior became a sickness” (1). Il retrace, grâce à des archives de l’Association américaine de psychiatrie jamais analysées auparavant, l’histoire du DSM (Diagnostic and Statistical Manual). Le DSM est considéré comme le manuel de référence à des fins de recherche et de diagnostic en psychiatrie dans le monde entier, et contesté notamment par les psychiatres et les psychologues à orientation psychanalytique.

L’auteur montre comment les différentes versions du DSM ont été élaborées, et s’attache plus particulièrement aux évolutions de la définition de l’angoisse, notamment sous sa forme de phobie sociale (a).

Un DSM plein d’arbitraire. Les archives consultées par l’auteur et les interviews qu’il a menées avec les principaux acteurs de l’évolution du DSM révèlent une histoire du DSM pleine d’arbitraire.

Par exemple, pour la révision du DSMII, une seule personne a été à l’origine de la suppression du mot “réaction” de tous les diagnostics, transformant par exemple la “réaction schizophrénique” en “schizophrénie”.

Un même arbitraire a présidé à l’élaboration du DSM-III puis du DSM-IV, qui ont eu tant d’influence sur la psychiatrie dans le monde entier, avec une augmentation considérable du répertoire des troubles mentaux (de 180 en 1968 (DSM-II) à 350 en 1994 (DSM-IV)), ouvrant la voie à une médicalisation croissante de l’existence.
La méthode n’a guère évolué au cours du temps depuis le DSM-II, avec le rôleclé de quelques personnes seulement, étatsuniennes exclusivement, attribuant des causes biochimiques aux maladies mentales, hostiles à la psychanalyse, et se référant fortement à leur expérience personnelle, parfois sur quelques cas.
La névrose, trop connotée “psychanalyse” au goût des auteurs du DSM mais encore présente dans le DSM-II sous la seule forme de névrose d’angoisse, disparaît dans le DSM-III pour donner naissance à sept nouvelles maladies : l’agoraphobie, la panique, l’état de stress post-traumatique, le trouble obsessionnel compulsif, le trouble anxieux généralisé, la phobie ordinaire et la phobie sociale.

Façonnage de maladies. La transformation de multiples états psychiques en troubles mentaux supposés avoir une base organique, ignorant tout lien avec le vécu de la personne, a ouvert la porte aux firmes pharmaceutiques.

Plusieurs firmes ont très largement contribué à universaliser et amplifier les dérives de la vision de l’homme et du psychisme sous-tendue par le DSM, notamment en faisant élargir les critères de diagnostic et en s’associant fortement aux travaux de l’Association américaine de psychiatrie.

L’auteur décrit le scénario qui s’est mis en place, et qui fonctionne encore en 2010 : « Première étape : prendre pour preuve les résultats d’un questionnaire ambigu afin de montrer que le nouveau trouble excède de loin les prévisions déjà alarmantes des psychiatres, en droit de penser qu’ils se trouvent face à un problème répandu et sous-diagnostiqué. Deuxième étape : inscrire le trouble dans le DSM, suggérant ainsi à l’industrie pharmaceutique de le traiter. Troisième étape : inonder les médecins d’échantillons gratuits ou de pilules toutes neuves, en bombardant simultanément les téléspectateurs de publicités sur mesure. Quatrième étape : confondre les dissidents en prétendant qu’ils nient l’évidence, à savoir la gravité de la maladie, ou bien qu’ils n’ont pas de scrupules à prolonger inutilement les souffrances des patients » (1). Selon ce même scénario, l’apathie et quelques autres nouveaux “troubles mentaux” devraient intégrer le DSM-V, attendu en 2012.

Cet ouvrage passionnera toute personne concernée par la psychiatrie, c’està- dire pratiquement tout le monde, selon les critères mêmes du DSM.

©Prescrire 7 octobre 2010

"Prix Prescrire 2010" Rev Prescrire 2010; 30 (324): IV.

"Comment la psychiatrie et l’industrie pharmaceutique ont médicalisé nos émotions" Rev Prescrire 2010 ; 30 (317) : 230. (pdf, réservé aux abonnés)

a- “La fatigue d’être soi. Dépression et société”, un autre ouvrage passionnant sur la psychiatrie écrit par un auteur français, est centré non sur l’angoisse mais sur la dépression, à laquelle sont souvent assimilées en France des difficultés de la vie quotidienne. Il correspond plus aux particularités sociologiques de la psychiatrie en France (réf. 2).

Extraits de la veille documentaire Prescrire.
1- Lane C “Comment la psychiatrie et l’industrie pharmaceutique ont médicalisé nos émotions” Flammarion, Paris 2009 ; 379 pages, 26 euros.
Disponible par correspondance auprès de l’Appel du Livre.
2- Ehrenberg A “La fatigue d’être soi. Dépression et société” Odile Jacob, Paris 2010 ; 448 pages, 9,50 euros.