prescrire.org > Tous les articles en Une > Les 100 derniers > Affaire Mediator° : en sortir par le haut

Article en Une

Chaque mois, la Rédaction publie des informations en accès libre.

Les 100 derniers :  1 | 10 | 20 | 30 | 40 | 50 | 60 | 70 | 80 | 90

Affaire Mediator° : en sortir par le haut

L'affaire Mediator° a révélé aux yeux de tous de graves défaillances dans l'encadrement du marché du médicament soumis à de fortes pressions exercées par les firmes pharmaceutiques. Ce désastre est aussi une opportunité historique de renforcer la santé publique et de replacer l’intérêt des patients en priorité de la politique pharmaceutique.

Prescrire salue le rapport de l'IGAS sur le benfluorex-Mediator°. Il détaille précisément les comportements inadmissibles de la firme Servier et de très nombreux dysfonctionnements, eux aussi inadmissibles, dans les administrations du médicament ; comportements qui ont exposé les patients à des dangers totalement injustifiés et ont provoqué tant de victimes.

Ce rapport doit être complété utilement par les enquêtes parlementaires. Elles devront répondre à des questions laissées en suspens par l'IGAS : pourquoi à de nombreuses reprises des décisions évidentes n'ont pas été prises ? Pourquoi le Mediator° a-t-il si largement été prescrit comme coupe-faim, alors que la firme Servier avait réussi de manière incroyable à persuader de nombreux experts et une grande partie des autorités de santé qu'il n'en était pas un ?

Prescrire ne commentera pas dans le détail chacune des informations établies par l'IGAS sur Mediator°. Les faits pharmacologiques sont établis, le benfluorex est un coupe-faim amphétaminique qui expose aux dangers de la norfenfluramine comme y exposent la fenfluramine (ex-Ponderal°) et la dexfenfluramine (ex-Isomeride°).

Il s'agit désormais de tout mettre en œuvre pour que de tels désastres ne se reproduisent pas. Quand les médicaments sont correctement évalués, fabriqués, surveillés, prescrits, dispensés et utilisés, les médicaments sont des moyens thérapeutiques qui méritent de la confiance.

Prescrire demande d’abord qu'il soit pris une exacte mesure des conclusions générales du rapport de l'IGAS. Ces conclusions correspondent à l’expérience de Prescrire depuis 30 ans.

- « Surchargée de travail, empêtrée dans des procédures juridiques lourdes et complexes, en particulier à cause de l’articulation de ses travaux avec l’Agence européenne, bridée par la crainte des contentieux avec les firmes, l’Agence [française] est apparue à la mission, dans le cas étudié, comme une structure lourde, lente, peu réactive, figée, malgré la bonne volonté et le travail acharné de la plupart de ses agents, dans une sorte de bureaucratie sanitaire (...)

- « Le dispositif de pharmacovigilance a failli à sa mission, qui est d’identifier et d’instruire, dans un délai raisonnable, et afin d’éclairer la décision des responsables sanitaires, les cas d’effets indésirables graves liés à l’usage du médicament. La raison principale de cet échec collectif est à rechercher dans l’insuffisance de culture de santé publique et en particulier dans un principe de précaution fonctionnant à rebours (...)

- « Dans cette affaire comme dans d’autres passées et malheureusement à venir, ce n’est pas l’excès de principe de précaution qui est en cause mais le manque de principe de précaution (...)

- « La multiplicité des instances sanitaires chargées du médicament, leur cloisonnement et la complexité de leur fonctionnement rendent le système lent, peu réactif et contribuent à une dilution des responsabilités (...)

- « La chaîne du médicament fonctionne aujourd’hui de manière à ce que le doute bénéficie non aux patients et à la santé publique mais aux firmes. Il en va ainsi de l’autorisation de mise sur le marché qui est conçue comme une sorte de droit qu’aurait l’industrie pharmaceutique à commercialiser ses produits, quel que soit l’état du marché et quel que soit l’intérêt de santé publique des produits en question. La réévaluation du bénéfice/risque est considérée comme une procédure exceptionnelle. La prise en compte du risque nécessite de fortes certitudes scientifiques, l’existence d’un bénéfice étant, elle, facilement reconnue. Dans ces conditions, le retrait d’une AMM est perçu comme une procédure de dernier recours et comme une sorte de dédit pour la commission qui a accordé l’autorisation (...)

- « L’Agence est trop souvent caractérisée dans son fonctionnement, par, pour reprendre une expression entendue plusieurs fois, une « accoutumance au risque ». Cette accoutumance est incompatible avec l’exercice d’une mission de sécurité sanitaire (...)

- « Le fonctionnement des commissions de l’AMM et de la pharmacovigilance est marqué par la recherche d’un consensus scientifique, ce qui conduit en l’occurrence à un allongement des délais nécessaires à la prise de décision. Le rôle des demandes successives d’études pour alimenter ce processus a des effets pervers graves. C’est particulièrement frappant dans le cas du Mediator° où les laboratoires Servier ont multiplié ce type de démarches. À ceci s’ajoute un légalisme qui, concernant une agence qui prend 80 000 décisions par an, conduit à un enlisement de trop de dossiers (...)

- « S’ajoute à ceci, malgré les progrès accomplis dans ce domaine depuis 1993, le poids des liens d’intérêt des experts contribuant aux travaux de l’Afssaps. Il s’agit des liens d’intérêts financiers ou d’autres natures tels qu’ils devraient être signalés à l’Agence, ce qui n’est pas à l’heure actuelle systématiquement le cas, selon les déclarations mêmes de l’actuel président de la commission d’AMM (...)

- « De manière plus globale, l’Afssaps, qui est une agence de sécurité sanitaire, se trouve à l’heure actuelle structurellement et culturellement dans une situation de conflit d’intérêt. Pas en raison de son financement qui s’apparente à une taxe parafiscale, mais par une coopération institutionnelle avec l’industrie pharmaceutique qui aboutit à une forme de coproduction des expertises et des décisions qui en découlent. A cet égard, la présence encore aujourd’hui d’un représentant institutionnel du LEEM (Les entreprises du médicament) dans les commissions, et parfois les groupes de travail, paraît inacceptable ».

Des rapports parlementaires sur le médicament (2006 pour le Sénat et 2008 pour l’Assemblée nationale) montrent que la représentation nationale est prête pour de profonds et salutaires changements.

Prescrire a noté avec grand intérêt les premières déclarations du Ministre de la santé, et lui demande de mettre en œuvre rapidement et fermement les changements annoncés, en particulier :

  • la gestion des conflits d’intérêts : mise en place et enrichissement permanent d’une base de données des déclarations aux diverses agences et commissions, aux revues scientifiques, en France et ailleurs, aussi bien par les personnes que par les firmes, base de données devant être d’accès public et facile ; gestion exigeante de non-conflit d’intérêts pour participer aux réunions ; etc. ; il est capital de mettre fin à toute collusion entre firmes et agences, comme entre firmes et organes de pharmacovigilance ;
  • les comptes rendus de réunions de groupes de travail et des commissions, détaillés, comportant en particulier les opinions minoritaires et publiés en quelques semaines, avec les documents sur lesquels les travaux ont porté ;
  • la prise en compte dans des délais raisonnables des alertes argumentées, avec réévaluation de la balance bénéfices-risques ; sans engorger le système par de trop nombreuses alertes examinées dans la hâte ;
  • le signalement très apparent aux patients et aux professionnels de santé qu’un médicament fait l’objet d’une surveillance particulière du point de vue de ses effets indésirables ;
  • la facilitation et la valorisation des travaux de pharmacovigilance par les professionnels de santé ;
  • le renforcement énergique des équipes des centres régionaux de pharmacovigilance, sur fonds publics ;
  • la mise en place effective d’un enseignement de pharmacologie clinique dans la formation initiale des professionnels de santé.

Prescrire demande aussi au ministre d’affirmer sa détermination en agissant fortement au niveau européen :

  • en montrant l’exemple sur les points précédents ;
  • en défendant activement les évolutions nécessaires à ce niveau décisif de responsabilité : AMM accordées seulement en cas d’avantage tangible sur le traitement de référence ; pouvoirs aussi importants pour la commission de pharmacovigilance que la pour commission d’AMM ; financement exclusivement public de la pharmacovigilance.

Quoi qu’il en soit, Prescrire poursuivra ses actions d’information et de formation, toujours au service de l’amélioration des soins dans l’intérêt premier des patients.

© Prescrire 17 janvier 2011

Pour en savoir plus :

L'année 2010 du médicament :
évaluation insuffisante,
patients trop exposés
Rev Prescrire 2011 ;
31 (328) : 134-141.
Pdf, accès libre