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Thème : Influences

Cadeaux, leaders d'opinion, soutien des firmes aux associations de patients et de soignants, etc. mettent patients et soignants sous influences.

Prescripteurs sous influences

Un document de référence de l’Inspection générale française des affaires sociales (IGAS) pour mieux comprendre la place de la visite médicale dans la stratégie marketing des firmes.

Le rapport 2007 de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur l’information des médecins généralistes est un document de référence pour mieux comprendre les mécanismes des influences auxquelles sont soumis les professionnels de santé. Pour exemple, voici un extrait expliquant la place de la visite médicale dans la stratégie marketing des firmes.

« La visite médicale s’inscrit dans une stratégie promotionnelle très large qui englobe la presse médicale, les divers dispositifs de formation médicale et les leaders d’opinion. Cette stratégie débute dès la formation à l’université (41). Elle peut prendre des formes plus “subtiles”, comme l’insertion des médecins dans des études dont l’intérêt scientifique est limité, soit avant la sortie du médicament (une étude ou un réseau de médecins permettant de mesurer mieux tel symptôme préparent la sortie du médicament qui traite le symptôme), soit suivant cette sortie (une partie des études de phase IV) (42). La publicité ou les messages « santé » passés dans les médias grand public viennent compléter ce dispositif et impactent les médecins directement et indirectement via les patients. (...)

Cette omniprésence de l’industrie pharmaceutique autour des médecins permet d’abord de répondre au souci de la répétitivité des messages qui est une des conditions de la mémorisation par le médecin, étape nécessaire pour la prise en compte dans la pratique médicale. Elle répond également à une stratégie de crédibilisation croisée des différents outils utilisés. Si les médecins conservent une certaine méfiance vis-à-vis du discours tenu par les visiteurs médicaux, la présence du message dans la presse et l’expression des leaders d’opinions (43) concourent à la crédibilité recherchée.

Ce croisement entre les différents médias contribue à un certain brouillage des lignes séparant l’information de la promotion commerciale (proximité des articles et des publicités dans la presse ; absence de mention des intérêts du leader d’opinion qui s’exprime, diffusion par le visiteur médical au médecin d’une étude publiée dans un supplément à une revue scientifique anglo-saxonne qui n’engage pas la revue elle-même ; choix d’un thème de congrès répondant à la sortie du médicament du laboratoire qui apporte son soutien financier au congrès ; etc.).

Parmi les outils utilisés, deux mériteraient des investigations complémentaires tant leur importance potentielle est soulignée par l’ensemble des acteurs et par les études économiques disponibles.

Le premier est celui des leaders d’opinion. Les études montrent qu’ils jouent un rôle majeur en crédibilisant les messages des laboratoires et par un effet d’entraînement/imitation sur la prescription des médecins de base. Si la question de l’indépendance des leaders d’opinion et de leur objectivité scientifique a été souvent posée, les mesures publiques restent à ce jour assez limitées. Alors que les experts auprès des autorités sanitaires doivent déclarer publiquement leurs intérêts depuis la loi du 1er juillet 1998 sur la sécurité sanitaire, l’article 26 de la loi du 4 mars 2002 n’a été mis en œuvre qu’en 2007. Ainsi, le décret du 25 mars 2007 impose à tous les professionnels de santé la mention de leurs intérêts lorsqu’ils s’expriment (voir annexe n° 10) (44). Aucune disposition particulière ne semble avoir été prise dans les administrations pour veiller au respect de cette disposition.

Le second a trait à la prescription hospitalière. Les médecins de ville hésitent à modifier les prescriptions initialisées à l’hôpital. La prescription hospitalière a donc un impact beaucoup plus important que son seul montant. Selon IMS [NDLR : fournisseur de données commerciales pour les firmes pharmaceutiques], jusqu’à la moitié de la prescription des généralistes peut être prédéterminée par la prescription hospitalière. La promotion de l’industrie pharmaceutique trouve donc dans l’hôpital un outil de démultiplication de son action. Elle y est présente avec une visite médicale « haut de gamme » en direction des médecins et des pharmaciens hospitaliers. Les pouvoirs publics s’y sont peu intéressés jusqu’à présent. Ainsi, alors qu’il est prévu d’étendre la charte de la visite médicale à l’hôpital, aucun accord sur un texte spécifique et adapté à l’exercice hospitalier n’a encore été adopté ».

Notes du texte :
41- Notamment via la visite médicale présente à l’hôpital.
42- Une partie des études de phase IV correspondent à des études permettant de surveiller l’utilisation du médicament en vie réelle et les risques identifiés le cas échéant lors de l’AMM. (...) Les autres études de phase IV sont réalisées à l’initiative des laboratoires et représentent souvent un produit d’appel pour les médecins, demandeurs d’entrer dans de telles études, alors même que l’intérêt scientifique est limité. Le caractère promotionnel d’une partie des études de phase IV est reconnu par un grand nombre d’acteurs et la charte de la visite médicale proscrit désormais le recrutement des médecins via les visiteurs médicaux.
43- Les leaders d’opinion correspondent aux professionnels qui sont susceptibles de représenter une référence pour les médecins, que ce soit au niveau national (principalement des PUPH [NDLR : professeur des universités, praticien hospitalier]) ou au niveau local.
44- Art. R. 4113-110 du CSP [NDLR : code de la santé publique]: « L’information du public sur l’existence de liens directs ou indirects entre les professionnels de santé et des entreprises ou établissements mentionnés à l’article L. 4113-13 est faite, à l’occasion de la présentation de ce professionnel, soit de façon écrite lorsqu’il s’agit d’un article destiné à la presse écrite ou diffusé sur internet, soit de façon écrite ou orale au début de son intervention, lorsqu’il s’agit d’une manifestation publique ou d’une communication réalisée pour la presse audiovisuelle ».

©Prescrire 2008

Rev Prescrire 2008 ; 28 (299) : 705.

1- Bras PL et coll. “L’information des médecins généralistes sur le médicament” IGAS 2007. Site lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr consulté le 27 février 2008 : 252 pages.

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